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Bruno Odent : « les économies de guerre contre les peuples et l'écologie » - Saint-Maximin, 22 juin 2023

Partie 1/2 - Conférence

Partie 2/2 - Débat

Bruno Odent, journaliste à l’Humanité, spécialiste des questions internationales et en particulier de l’Allemagne, était invité le 22 juin par Espace Marx60-Bernard de La Sala pour une conférence-débat « Des économies de guerre contre les peuples » et c’est avec plaisir que les participant·e·s ont retrouvé Bruno, déjà venu en 2019 et plus récemment à l’occasion de l’assemblée générale de cette association se définissant comme une université populaire.

 

Conférence

La dimension de classe du conflit en Ukraine

Dès son introduction, Bruno a posé la dimension de classe du conflit en Ukraine, qui sera le fil conducteur de son intervention. La course aux armements et les dépenses inhérentes mettent à mal les dépenses sociales et les salaires, ainsi que les celles nécessaires pour agir face au changement climatique. En effet, les dépenses guerrières amplifient les logiques d’austérité. Il pose la paix comme un enjeu de survie, quand dans ce conflit la menace d’utilisation de l’arme nucléaire a été proférée par V. Poutine.

L’intervenant présente cette guerre comme un affrontement entre deux impérialismes, ayant chacun en fond la crise du capitalisme. D’un côté la Fédération de Russie, un pays-continent ayant un PIB équivalent à celui de l’Espagne, spécialisé dans les matières premières, rentier des hydrocarbures, ayant quelques restes d’industries de pointe issues de l’URSS, dont l’armement, pays dans lequel prolifère le nationalisme grand-russe, fruit de cette crise du système capitaliste. La question de la nature du groupe paramilitaire Wagner a été posée par Yvette, ainsi que celle de son rôle, sans que des réponses précises soient apportées [ceci 24 heures avant le lancement du coup de force contre le Kremlin de ces mercenaires, pour « libérer le peuple russe »]. Il rappellera les accointances entre V. Poutine et les personnalités et mouvements d’extrême droite, en particulier en Europe, dont la France. De l’autre côté, les États-Unis avec l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Cette dernière organisation, obsolète avec l’effondrement de l’URSS, a été maintenue et depuis plus de trente ans, l’Alliance atlantique a poursuivi son élargissement vers la Russie, contrairement aux engagements pris avec M. Gorbatchev en 1990 : il y a là une véritable forfaiture. (voir par exemple le site internet du Monde diplomatique)

Une folle course aux armements

Bruno Odent donne ensuite des chiffres sur cette course aux armements record, aussi bien du côté russe avec l’offensive en Ukraine, que du côté OTAN avec la contre-offensive, répétant à l’envi qu’« il n’y a pas d’autres solutions que militaire ». Ainsi, d’après le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), en 2022, les dépenses militaires ont bondi à 2 113 milliards de dollars – bien supérieures qu’au plus fort de la guerre froide, atteignant alors l’équivalent de 1 500 milliards de dollars. Combien en 2023, avec encore une accélération ? Les États-Unis sont bien évidemment à la pointe, avec 858 milliards et + 8 %, et un budget prévisionnel supérieur à 900 milliards en 2024. Comme d’usage aux États-Unis, le plafond de la dette du pays fait l’objet d’un compromis bi-partisan entre les démocrates et les républicains. Celui juste trouvé début juin comprend le gel de toutes les dépenses publiques – en tenant compte de l’inflation, ce gel correspond à une coupe – sauf celles pour les dépenses militaires. Même le droit à l’aide alimentaire se voit conditionner à la réalisation d’un travail d’utilité publique ! On est bien dans une dimension de classe.

Nous avons peu de données du côté de la Russie, mais les effets de la guerre sur le niveau de vie du peuple sont sans doute plus terribles.

Les marchands d’armes profitent à plein de la guerre : le constructeur russe d’avions Soukhoï (consortium OAK) – dont le patron a échappé à la réquisition de sa villa sur la Côte d’Azur ; le consortium Rheinmetall AG avec les chars d’assaut Leopard, qui vient de faire son entrée au DAX 30 – l’équivalent du CAC 40 ; Lockheed Martin principalement et Boeing aux États-Unis…

Le tournant pris par l'Allemagne

Bruno Odent pointe le rôle très important joué par l’Allemagne dans la poussée du surarmement en Europe. Dès le lendemain de l’invasion russe, le chancelier Scholz a débloqué une enveloppe de 100 milliards d’euros supplémentaires à la Bundeswehr, devenant l’armée la plus puissante d’Europe, avec des dépenses d’armes allant principalement vers les États-Unis. Dans la partie débat de cette soirée, Bruno précisera que le chancelier Scholz a lui-même employé en allemand le terme équivalent à « tournant » qui avait été utilisé à l’occasion de la réunification du pays, montrant l’importance de ce revirement militaire, dans une Allemagne imprégnée par la politique de détente de Willi Brandt et qui consacrait nettement moins des 2 % de son PIB aux dépenses militaires exigées par les États-Unis aux membres de l’OTAN.

Pour le journaliste, E. Macron mène une politique différente, mettant en avant « l’Europe de la défense » et une dose d’autonomie par rapport à l’OTAN, mais dans l’idée de servir plus efficacement l’Alliance atlantique. Bernard se différenciera plus tard dans la discussion de Bruno en affirmant que pour lui, E. Macron est « un simple commis des États-Unis ».

La montée du mouvement de la paix et des pays du « Sud global »

Même si ce n’est pas encore assez marqué, Bruno Odent sent monter la convergence entre les luttes sociales en France, comme lors des retraites, et en Allemagne, en lien avec le niveau d’inflation, et la lutte pour la paix, surtout ces dernières semaines.

De même, les pays du « Sud global », en dépit de leur hétérogénéité, portent des initiatives de paix, eux qui représentent l’immense majorité de la population terrestre. Ces pays paient en effet un lourd tribut à la guerre en Ukraine, avec les hausses des prix de l’énergie et des matières premières alimentaires, en particulier des céréales, mettant en péril la sécurité alimentaire des peuples. Ainsi lors du sommet du G20 à Bali en novembre dernier, les Occidentaux ont été critiqués pour leur escalade militaire, en particulier par l’Indonésie. La Chine a présenté fin février un plan de paix en douze points. (voir plus loin, dans la partie « Débat » les conditions stratégiques dans lesquelles la Chine met ce plan sur la table) 

Lula a porté lui en mars-avril la proposition d’un « G20 de la paix ». L’Inde, allié des États-Unis par ailleurs, appuie ces démarches de la Chine ou du Brésil, ce qui montre les contradictions à l’œuvre. Début juin, c’est l’Indonésie qui a proposé un processus de cessez-le-feu, mise en place de zones démilitarisées sur les territoires contestés, avec les casques bleus de l’ONU, puis réalisation de référendum. Quelques jours avant cette conférence d’Espace Marx60, une délégation de cinq chefs d’État africains menée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa a été en Ukraine et en Russie, pour plaider la mise en place d’un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations. Il faut voir le « sommet pour un nouveau pacte financier mondial » – réuni à Paris au palais Brongniart ! - les 22 et 23 juin, comme une tentative d’E. Macron et du G7 isolé de renouer le contact avec les pays du Sud, qui souhaitent par ailleurs la dédollarisation du monde et la mise en place leur propre monnaie commune. Ce sera l’objet du sommet des BRICS (groupe constitué du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud) en août prochain.

Les 10 et 11 juin, les pacifistes du monde entier se sont retrouvé·e·s pour un sommet de la paix à Vienne. La participation a été supérieure à celle attendue, avec une surreprésentation du Sud global et la présence de pacifistes états-unien·ne·s. Le vice-président amérindien de la Bolivie, David Choquehuanca, a lié la paix au bien-être des peuples du Sud et à l’écologie. Des pacifistes ukrainiens et russes étaient aussi présent·e·s, dont le russe Oleg Bodrov qui dira la répression à l’œuvre dans son pays, et l’importance du vocabulaire utilisé, entre le mot suspect « guerre » et l’expression officielle « opération spéciale ».

Pour Bruno, nous assistons donc ces dernières semaines à un tournant, y compris dans nos pays, par rapport au début de la guerre, où les mobilisations pour la paix étaient difficiles.

 

Débat

Jean-Michel est intervenu pour dire qu’il pensait que l’Ukraine et l’OTAN avaient également des responsabilités dans le déclenchement de cette guerre, par l’expansion de l’Alliance atlantique, par les bombardements et autres exactions sur les populations à l’Est de l’Ukraine depuis 2014, ainsi qu’avec les accords de Minsk qui ont donné du temps à l’Ukraine pour s’armer. Gil demande lui aussi que l’on fasse attention à la chronologie des événements et au vocabulaire utilisé.

Gil suggère une analogie entre l’Ukraine, la Russie et le réarmement de l’Allemagne et la situation à Taiwan avec la Chine et le réarmement du Japon. Pour Bruno Odent, la priorité stratégique des États-Unis est la Chine et d’ailleurs avant la guerre en Ukraine, des tentatives de conciliation Biden-Poutine se sont déroulées à Genève en juin 2021. Le déclenchement de la guerre donne une opportunité aux États-Unis d’endiguer la Chine, en pariant sur l’effondrement de la Russie et la mise en place d’une influence états-unienne sur certaines des républiques de l’actuelle Fédération de Russie. Le plan de paix proposé par la Chine doit aussi se lire en prenant en compte cet enjeu.

Hélène cite la formule de Jean Jaurès « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage », pointe les enjeux de pouvoir, alors que les États-Unis sont concurrencés par la Chine, ainsi que les peuples victimes des guerres, aussi bien physiquement que socialement. Elle s’inquiète du réarmement de l’Allemagne et du Japon, qui ne devaient pas réarmer et s’interroge quant aux contradictions à l’œuvre entre les pays européens et leur unité.

L’OTAN ou l’ONU

Norbert note que les guerres n’ont jamais cessé depuis la Seconde Guerre mondiale, et que le capitalisme intervient par la force et la puissance, plutôt que par la diplomatie et l’ONU, comme l’ont montré les nombreuses guerres des États-Unis. Bruno Odent cite la première de l’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie, qui n’a rien réglé, comme en attestent les fortes tensions actuelles au Kosovo, avec des nationalistes kosovars alliés de l’OTAN qui rêvent de Grande Albanie. Cette première sera suivie d’autres, comme en Irak sous le prétexte fallacieux de fabrication d’armes de destruction massive. L’OTAN pilotée par les États-Unis, agit à un niveau mondial, concurrençant l’ONU, le multilatéralisme et la diplomatie. Bruno Odent différencie le conflit en Ukraine des autres actuellement en cours, d’abord bien évidemment car il se déroule en Europe, que la Russie a déclenché la guerre, mais aussi par le fait qu’un des protagonistes possède la bombe atomique.

Bernard répétera son optimisme à voir les idées de paix émerger, même si nous ne sommes encore qu’au début. Il se félicite qu’Espace Marx60 ait eu comme intervenant Alain Rouy, président du Mouvement de la Paix, lors du débat « Osons la paix » à l’occasion de la dernière Fête de la Paix organisée par la Fédération de l’Oise du Parti communiste français le 28 mai, le même Alain Rouy participant au sommet de la paix organisé quelques jours plus tard à Vienne. Pour Bernard, la guerre en Ukraine dépasse des enjeux territoriaux, et montre bien « les enjeux du capitalisme dans sa crise ». Il conclut en disant « Le mouvement de la paix doit reprendre toute sa dimension. »

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Site internet du Mouvement de la Paix 

Voir la page consacrée au

Forum international des peuples pour la paix en Ukraine (Vienne 2023)

 

 

 

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)