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Migrations : l'objectif de l'ouverture des frontières pour permettre la circulation et l'accès au travail des personnes - Saint-Maximin, 27 avril 2023

La première visite de Catherine Wihtol de Wenden en 2015 à l'invitation d'Espace Marx60-Bernard de la Sala sur le thème « les migrations internationales, leur histoire, leurs raisons, relation entre migrations et politique internationale de la France », avait marqué les participant·e·s qui s'accordaient sur le besoin d'un deuxième rendez-vous avec cette spécialiste des migrations. C'est donc avec la certitude de passer à nouveau une soirée riche d'enseignements que les membres de l'association, des citoyen·ne·s engagé·e·s dans des associations de lutte en soutien aux migrant·e·s et d'autres visiteur·euse·s ont répondu présent·e·s à la nouvelle conférence-débat avec Mme Wihtol de Wenden, intitulée « Les migrations sur la planète », qui se tenait le 27 avril 2023 à Saint-Maximin, en présence du maire (PCF) de la commune, Serge Macudzinski.

Nos ami·e·s de la librairie associative Graines de Mots proposaient à la vente des ouvrages sur cette thématique, dont ceux de l'invitée, tandis qu'une exposition réalisée il y a quelques années par le collectif Femmes Communistes Solidarité Migrantes était installée dans la salle.

Nous vous proposons ci-dessous le compte-rendu non exhaustif de cette conférence-débat, et nous l'espérons le plus fidèle possible

 

------- Vidéo 1/3 - 1re partie de la conférence

 

Migrant·e·s et migrations : de qui et de quoi parle-t-on ?

Lors de cette conférence qui a exploré le thème migratoire du global au local, en passant par les échelles régionale et nationale, l'intervenante a tout d'abord présenté des définitions ainsi que des données chiffrées.

Les migrant·e·s sont des personnes voyageant, sur une durée supérieure à un an. Ce terme regroupe les réfugié·e·s, les étudiant·e·s, les regroupements familiaux, les travailleur·euse·s, les sans papiers, les apatrides, les déplacé·e·s environnementaux·ales…

Le nombre de migrant·e·s internationaux·ales dans le monde est estimé à 284 millions, soit 3,7 % des 8 milliards d'habitant·e·s sur notre Terre. Les migrant·e·s internes sont eux·elles 750 millions.

Les migrant·e·s internationaux·ales se répartissent de la façon suivante : 55 à 60 millions en Europe ; même ordre de grandeur aux États-Unis ; 26 millions en Afrique ; 80 millions en Asie ; 13 millions en Russie… Avec en tête et par ordre décroissant : États-Unis, Europe, pays du Golfe, Russie…

Les plus nombreux·euse·s sont les Indien·ne·s, environ 37 millions - ce qui représente un faible taux en regard de la population de l'Inde. Les Chinois·es sont également très nombreux·euse·s, là aussi représentant un taux relativement faible.

À la fin du XXe siècle, le nombre de migrant·e·s internationaux·ales était plus de deux fois moindre, avec 120 millions de personnes : la chute de l'URSS a entraîné une révolution migratoire dans les années 1990. Une inversion s'est produite, avec aujourd'hui des droits de sortie aisés des pays, mais des droits d'entrée rendus difficiles, avec le système des visas.

Les marchés des matières premières peuvent influer sur les migrations, à l'exemple des prix du coton ou encore du café, ruinant les petits cultivateurs d'Amérique centrale, entraînant une migration vers le Mexique et les États-Unis.

Les flux migratoires sont issus de facteurs structurels du monde : les inégalités de développement humain, quantifiables avec des outils comme l'indice de développement humain (IDH) ; la démographie, avec une population des pays du Nord plus âgée que celle du Sud, même si une transition démographique est à l'œuvre dans les pays du Sud, comme ceux du pourtour méditerranéen ; les crises et les conflits, comme ces dernières années avec des réfugié·e·s issu·e·s d'Afghanistan, de Syrie, du Venezuela, d'Irak, d'Ukraine… ; les dérèglements climatiques et environnementaux ; le sentiment de proximité accru avec les autres pays, par la diffusion des images etc. ; la mobilité accrue par l'éducation et l'information ; le maillage de la diaspora…

 

Comment s'organisent les migrations internationales ?

Il est possible de définir des espaces migratoires mondiaux : espace Euroméditerranée ; espace États-Unis-latino-canadien ; Amérique-du-Sud, généralement en son sein ; espace CEI-Russie, avec l'Asie centrale et le Sud-Caucase ; Asie, généralement vers l'Asie, aux exceptions de la Chine et de l'Inde ; Afrique, au sein de l'Afrique.

Cela déqualifie l'idée fausse de « grand remplacement » en France, avec seulement 250 000 entrées légales par an, pour 68 millions d'habitant·e·s.

Des espaces de circulation régionaux sont également identifiables, à la circulation facilitée : Europe, Canada-USA, l'UNASUR pour l'Amérique du Sud, l'ASEAN pour l'Asie du Sud-Est ou encore la CEDEAO pour l'Afrique de l'Ouest.

Des tendances nouvelles sont à noter : le tourisme, notamment avec les séniors du Nord s'établissant, complètement ou en partie, dans les pays du Sud ; les jeunes diplômés au chômage.

 

Pourquoi le système migratoire fonctionne mal ?

Dans les années 1980, le thème des migrations est devenu hautement politique, sécuritaire et militarisé, avec des notions de « guerre aux migrants » portées par certain·e·s, et d'arrêt des flux migratoires, en incohérence et impossibilité complètes avec des dimensions structurelles de notre monde, explicitées plus haut.

Les politiques migratoires à l'œuvre viennent frapper nos pays de contradictions indépassables : conflit entre le libéralisme économique et la fermeture des frontières ; entre l'éthique, le respect des Droits de l'Homme et les politiques sécuritaires.

Des pays, historiquement pays de départ, sont devenus des pays d'accueil ou de transit : ils définissent alors eux aussi des politiques migratoires. Le Maroc et le Mexique, pays de départ, sont aussi des pays de transit (vers l'Europe et vers les États-Unis), ainsi que de retour pour les retraité·e·s. La Turquie, pays de départ, accueille actuellement des Syriens et est un pays de transit vers l'Europe.

 

------- Vidéo 2/3 - 2nde partie de la conférence

 

La France ne s'accepte pas en pays d'émigration,

alors qu'elle est le plus ancien pays d'émigration en Europe

Le premier comptage a eu lieu lors du recensement de 1851, avec 380 000 étrangers. Puis un million en 1900, 3 millions en 1930 et environ 5 millions aujourd'hui, soit 10 % d'émigré·e·s, taux moyen en Europe. On est loin de l'«invasion » évoquée en son temps par le président Giscard d'Estaing - le même sous lequel a été mis en place le regroupement familial.

L'accès au marché du travail est fermé en France pour les demandeur·euse·s d'asile, en opposition à la directive européenne de 2014 leur définissant un droit au travail [articles 15 et 16 de la directive 2013/33/UE « Accueil » du 26 juin 2013], et à l'ouverture faite en Allemagne.

Cette politique génère la figure de l'étranger indésirable qui ne s'intègre pas, véhiculant également une autre idée fausse, celle du profiteur des prestations sociales, alors que la venue dans un pays dépend de bien d'autres considérations…

La xénophobie n'est pas nouvelle dans notre pays : amorcé à la fin du XVIIIe siècle, un déclin démographique a touché la France dans la seconde partie du XIXe siècle, entraînant les migrations dans notre pays de Belges, Suisses, Allemand·e·s, Italien·ne·s ou encore, après la Première Guerre mondiale, de Polonais·es. Dans les années 1930, l'antisémitisme s'exprimait fortement. Une certaine accalmie s'est produite après la Seconde Guerre mondiale, avec l'entrée relativement importante de main-d'œuvre ouvrière étrangère - 400 000 entrées par an contre 250 000 actuellement - sous l'impulsion de la droite gaulliste et de G. Pompidou, pour répondre aux besoins de main-d'œuvre et pour dégonfler la pression sociale. À cette époque, le statut de réfugié·e·s était obtenu plus aisément, avec un taux de 80 %, à l'exemple des personnes venues du Cambodge ou du Chili. Actuellement, les taux sont de 10 % pour les Africain·e·s et de 65 % pour les Afghan·e·s et les Syrien·ne·s.

 

La France ne se reconnaît pas non plus en pays d'installation

Le droit du sol est absolu aux États-Unis, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Canada, Australie… Dans ces deux derniers pays, la citoyenneté est définie constitutionnellement comme étant multiculturelle. En Asie, c'est généralement le droit du sang qui s'impose. En Europe, la situation est mise, entre droit du sang et droit du sol.

L'arsenal déployé, comme Frontex, pour « protéger » nos frontières est coûteux, en terme pécuniaire et également de morts, comme les noyé·e·s Méditerranée ou dans la Manche. Près de 500 accords existent concernant la Méditerranée avec des pays limitrophes pour que ces derniers retiennent les migrants-e·s, qu'ils fassent du « containment »)… En cas de relâchement de ces pays, des rétorsions comme le refus d'accueil en France de leurs étudiant·e·s s'applique, en contradiction avec le « rayonnement » de la France.

Un énième projet de loi sur l'immigration porté par le ministre de l'Intérieur Darmanin vient d'être retardé [depuis, il a proposé le 27 mai de travailler avec la droite LR - qui a présenté deux propositions de loi le 21 mai, reprenant les poncifs les plus éculés -, afin de trouver une majorité pour son projet de loi]. Ce projet comprend la régularisation des sans papiers, premier pas bien insuffisant pour Mme Wihtol de Wenden pour qui il faudrait ouvrir la migration de travail : l'immigration est un facteur de croissance économique. Le projet de loi comporte également des possibilités de régularisation dans des secteurs en tension, à charge par les préfectures de déterminer les conditions ; l'objectif d'exécuter 100 % des OQTF, contre 8 % actuellement ; l'accélération de la gestion de l'asile, au bon vouloir d'un seul juge pour statuer au lieu de trois. Le nombre de demandeur·euse·s d'asile a fortement augmenté, représentant pour beaucoup le seul moyen d'entrer sur le territoire français.

Nous avons également assisté au renouvellement des Accords du Touquet signés en 2002 par le ministre de l'Intérieur Sarkozy, concernant la traversée de la Manche direction la Grande-Bretagne : la France est le seul pays en Europe à faire ce « containment » que l'on demande habituellement aux pays du Sud.

Pour Mme Wihtol de Wenden, sans mise en place d'une liberté de circulation dans les Comores avec Mayotte, la situation restera inextricable.

 

La politique migratoire en France est une politique d'opinion, pas de rationalité

Les décideur·euse·s suivent le vent des sondages et des mesures d'opinion.

Depuis trente ans, les mêmes recettes sans efficience sont servies dans la volonté de limiter l'immigration, à l'image du « Nouveau pacte sur la migration et l'asile » de l'Union européenne, actuellement en débat :

  • renforcer les politiques de développement : davantage de développement entraîne davantage de migration, comme le montre par exemple une étude de l'OCDE ; de plus, davantage de migration entraîne du développement dans le pays de départ, par l'envoi d'argent…
  • developper les accords de réadmission : les moyens humains et financiers sont disproportionnés - à moins de diminuer le nombre des OQTF et par là d'augmenter le taux de retours
  • renforcer les dispositifs militaires aux frontières : le flux de migrants continue d'augmenter lentement, il n'y a pas d'effet de dissuasion.

Parmi les dées fausses : grand remplacement, biologique et culturel ; appel d'air ; concurrence sur le marché du travail

La migration est un flux lent et continu d'un mouvement mondial. Il faut que nous vivions ensemble, il faut trouver des solutions pour avoir plus de cohésion sociale.

Comme toujours, l'éducation est primordiale. Certain·e·s hommes et femmes politiques n'aident pas à cette compréhension, instrumentalisant ou suivant les opinions, les idées d'extrême droite, en France comme en Europe.

 

------- Vidéo 3/3 - Débat

Après la pause, les questions ont débuté sur les raisons des différences d'accueil selon les pays d'origine, comme entre les Ukrainien·ne·s et les Syrien·ne·s. Les Ukrainien·ne·s ont accès au régime de la « protection temporaire », mis en place en 2001 pour les Kosovars. Elles·ils ont ainsi accèd à des droits, comme le travail, la protection sociale, le logement, les cours de langue… et elles·ils peuvent retourner en Ukraine - ce qui n'est pas le cas avec un statut de réfugié.

Hélène B. a ensuite demandé la représentation des anciennes colonies dans les phénomènes migratoires. Pour Mme Wihtol de Wenden, le poids est important, mais les migrations ne sont pas réductibles au post-colonial, comme le montre l'importance des l'immigration turque en France. Il y a peu de chiffres concernant l'Algérie, qui était un département français. Les Accords d'Évian permettaient la libre circulation des travailleur·euse·s algérien·ne·s en France, avant sa suspension par l'État algérien en 1973. Les Français·es ont relativement peu migré. En comparaison, les Allemand·e·s ont beaucoup migré à la fin du XIXe siècle, en raison notamment de la présence d'une politique de santé qui a permis de faire chuter la mortalité infantile. Elles·ils sont alors parti·e·s s'installer au États-Unis, en Argentine, au Chili, au Brésil…

La question des coûts de la chasse aux migrant·e·s est venue, avec un ordre de grandeur de 2 500 € par personne renvoyée. L'Aide médicale de l'État (AME), destinée aux étranger·ère·s en situation irrégulière, dont le coût est relativement stable, est dans la ligne de mire, comme l'a montré le vote en mars dernier au Sénat par la droite d'un amendement visant à la supprimer et à le remplacer par une aide aux conditions d'accès bien plus restreints. Alors qu'il est d'intérêt de santé publique que chacun·e soit soigné·e en France.

L'intervenante répète que pour elle, l'objectif à atteindre est l'ouverture des frontières pour permettre une circulation aisée. Si l'on ferme, on installe les personnes dans l'attente d'avoir des papiers - que de temps gâché d'abord pour elle, mais aussi pour le pays d'accueil - ainsi que dans la précarité. Pour dissuader les migrant·e·s de venir en France, l'accès au travail des demandeur·euse·s d'asile a été supprimé en 1991, et comme on l'a vu, la directive de 2014, qui le permet, n'a jamais été appliquée. Ces personnes à qui l'on interdit de travailler sont montrées du doigt car « payées par l'aide sociale » ! La circulation migratoire est à développer à l'échelle mondiale à tous les points les plus chauds, comme à la terrible situation à Mayotte avec les Comores.

Martine P. décrit la détresse de certaines de ces migrant·e·s qui se réfugient dans la maladie, face aux souffrances physiques et psychiques.

La répartition sur le territoire français fait l'objet d'une question. La migration est ouvrière, dans les zones industrielles en Île-de-France, dans le Nord ou encore en Lorraine, à Lyon, à Marseille… Mais aussi dans les zones agricoles, comme la vigne dans le Languedoc-Roussillon. On retrouve aussi nombre de pieds-noirs sur la côte sud-est, en Méditerranée. Le maire de Saint-Maximin Serge Macudzinski, témoigne des gens du Maghreb que l'on a fait venir pour travailler dans les boîtes du Bassin creillois. Il ajoute que face à la notion du « risque de la perte de la culture française », il faudrait mieux lutter contre le rouleau-compresseur de l'« américanisation » du monde, que contre le danger chimérique représenté par des pauvres gens venant s'installer en France.

 

 

 

 

 

 

Photos d'Akli

 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)