Fédération de l'Oise

• Vous pouvez aussi revivre cette lutte à partir des courriels adressés par le Comité Ousmane Bâ aux amis qui ont soutenu le mouvement (liste de courriels non exhaustive) - voir colonne de droite de cette page.

• Enfin, accédez au compte-rendu de l'assemblée générale du 22 juin 2013 où la victoire a été fêtée et à une revue de presse (non exhaustive également) faite au cours de ces nombreux mois de lutte - cliquez sur la photo ci-contre.

Petite histoire d’une longue lutte

Comment raconter une lutte de presque quatre ans (45 mois) autrement qu’à travers un livre ? 

Comment parler de toutes les solidarités ? Comment parler de tous les obstacles ? Comment parler des stratégies à construire, des incompréhensions, des désaccords, des confrontations internes à dépasser ? Comment parler des alchimies entre la grande Histoire et les petites ?

En octobre 2009, des hommes sortent de l’ombre. Quelle mouche les a piqués ?  Pourquoi osent-ils s’organiser collectivement alors qu’ils avaient appris à vivre dans cette situation de clandestinité qui impose ses propres lois : celles de l’adaptation à l’exploitation hors code du travail ?

Cette lutte débute de façon nationale, dans un cadre légal et institutionnel, celui de la lutte syndicale. 6 804 travailleurs de région parisienne se découvrent la force de remettre en cause leur mode de vie lié au travail clandestin. 

Comme dans toute grève, pour que la détermination existe et que la lutte s’organise, il faut vivre ensemble le plus possible. Comme dans toute grève, il faut se consacrer à la lutte. Pour se sentir forts, solidaires, pour se sentir dans la justesse de la lutte et pour imposer ces nouvelles façons de voir au patronat, il faut donc mettre en place un piquet de grève. Les patrons fraudeurs sont ceux qui profitent du développement du travail intérimaire. Les piquets de grève s’installent d’entreprises d’intérim en entreprises d’intérim ; ils se font déloger à plusieurs reprises. On écume les halls des « boîtes d’intérim » parisiennes pour finir au milieu de l’hiver dans celles de la grande couronne. On commence à envisager d’aller partout en province. La dureté de ces conditions de lutte exige une détermination sans précédent. Les acteurs de la lutte prennent le pouvoir : les Onze (centrales syndicales et associations) ne contrôlent plus l’élan de ce combats qu’elles ont impulsé, soutenu, organisé.

Leur stratégie et objectif de lutte, celle qui a sorti les hommes de l’ombre, était d’imposer un  changement de circulaire sur les conditions de régularisation des travailleurs étrangers, en même temps que d’exiger des papiers pour ceux qui s’étaient engagés dans la lutte. Cette stratégie est maintenue le plus longtemps possible, mais l’âpreté du combat et la solidarité construite à Creil transforment les objectifs de la lutte des Creillois : obtenir des papiers pour tous ceux qui ont entrepris la grève, sans exception ; avec ou sans changement de circulaire. C’est la dignité de ces hommes qui est en jeu. Ils ne veulent plus être les pions dans cette société, ni seulement les outils d’une lutte : ils veulent que leur vie change radicalement, ils veulent pouvoir vivre librement en France, c’est ce qui leur à donner la force de se dresser contre l’arbitraire et la surexploitation. Ce durcissement n’est pas envisageable dans les cadres de lutte syndicale habituels. Les tensions, les divisions, les batailles internes sont alors à dépasser. L’intransigeante détermination des grévistes de Creil, associée à la reconnaissance et à l’engagement de nombreux citoyens locaux, qui se constituent informellement en Comité de soutien, permet de déployer nombreux actes de luttes et de solidarité.

Apprendre à s’écouter, à se découvrir, à se comprendre, à lutter, à persévérer, à se confronter aux institutions, à comprendre les fonctionnements de notre société : tels sont les acquis pour nous tous.

Apprendre à lire et à écrire : quelle conquête pour beaucoup de grévistes ! L’alphabétisation a payé car des camarades décrochent des boulots et des papiers aussi grâce au fait d’accéder au français et à l’écrit.

Tous les obstacles sont surmontés les uns après les autres. On trouve coûte que coûte les papiers à fournir : un gouffre bureaucratique qui ne souffre d’aucune impatience. On fait face à l’arbitraire préfectoral.  On va jusque dans les centres de rétention signifier que les camarades interpelés et en voie de reconduite aux frontières ne sont pas seuls, ne sont pas des « clandestins », comme l’Etat français voudrait faire croire ! S’il faut aller au tribunal, nous sommes au tribunal. Chacun doit retrouver la place qu’il a conquise par cette lutte acharnée et collective ! 

On trouve de l’argent pour soutenir les familles en peine, pour nourrir ce collectif d’hommes qui a décidé de cesser le travail pour se consacrer à la lutte ! On organise un réseau de soutien alimentaire très dense qui permet aux associations locales, aux petites entreprises, aux individus de contribuer à cette longue démarche par des dons en nature réguliers.

On fait face à la maladie, à la mort, celles des camarades en grèves, ou celles de membres de leurs familles. Le Comité est baptisé Ousmane Bâ en souvenir de l’un des grévistes qui a fini sa vie au sein de ce collectif.

On maintient au mieux les contacts avec les syndicats, les associations, les partis politiques, les élus…

On n’oublie pas d’informer les médias.

La Victoire a lieu 45 mois plus tard : Tous ont obtenu des papiers ! Le collectif a tenu son engagement très fort ! Obtenir des papiers pour chacun des grévistes ! Maintenir cette solidarité jusqu’au bout !

Chacun est libre de vivre en France ! Chacun peut marcher dans les rues, dans les gares, dans les métros sans la trouille au ventre ! Chacun va pouvoir accéder à un emploi pour lequel il pourra revendiquer le respect de ses droits, le respect du code du travail ! Chacun pourra se loger officiellement ! Chacun pourra passer son permis de conduire pour circuler librement ! Chacun pourra prendre l’avion, aller et venir vers sa famille lointaine, sans compte à rendre, sans dissimulation, sans fraude, sans soumission à des mafias de passeurs….

Un grand acteur de cette victoire, outre la solidarité, est le lieu. Lorsqu’il a fallu se réfugier, après avoir été délogés de toutes les agences d’intérim, c’est la grande salle de la Bourse du travail de Creil qui a été investie. Ce premier acte de résistance aux cadres traditionnels de lutte à signé la détermination de ces hommes et posé dans le marbre la perspective de la victoire. Ce lieu est devenu le symbole, le marqueur, le repère pour tous ceux qui, de prêt ou de loin, voulaient soutenir ce combat pour la justice.

Cette lutte des humbles, cette lutte courageuse et victorieuse mérite son livre. Elle s’inscrira, d’une façon ou d’une autre, dans les consciences et dans l’histoire de notre société. Exemplaire à tous points de vue, elle saura porter ses fruits au-delà de la vie digne de ces hommes.

 

Florence Cesbron, le 18 juillet 2013, pour le site du PCF