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20200604-LeM-France-Le Défenseur des droits dénonce la discrimination « systématique »

Article de Juliette Bénézit, paru dans l'édition du 4 juin 2020 du journal Le Monde

Depuis plusieurs semai­nes, la dénonciation de certaines pratiques poli­cières et les accusations de ra­cisme à l’encontre des forces de l’ordre se multiplient. Sur plu­sieurs vidéos diffusées sur les ré­seaux sociaux, des insultes profé­rées par des policiers − utilisant des termes à caractère raciste comme « bicot » ou « bougnou­le » − alimentent un débat sur l’in­terprétation à faire de ces compor­tements : faut­-il y voir le fait d’agents isolés à sanctionner indi­viduellement ou le symptôme d’un mal plus profond, structurel, au sein de l’institution policière ?

Sans se prononcer directement sur cette question, le Défenseur des droits apporte un éclairage juridique au débat. Saisi d’une af­faire relative à des violences poli­cières sur des jeunes garçons et filles âgés de 13 à 21 ans, il a formulé, le 12 mai, des observations devant le tribunal judiciaire de Paris. À travers ses remarques, publiées par Mediapart et que Le Monde s’est aussi procurées, le Défenseur des droits plaide pour une analyse « systémique » des discriminations qu’ont subies ces 18 habitants noirs et d’origine maghrébine du 12e arrondisse­ment de la capitale, entre l’été 2013 et l’été 2015. En cause : les policiers du groupe de sécurité de quartier rattachés au commis­sariat du secteur. Le Défenseur des droits évoque une situation de « harcèlement discrimina­toire » définie comme le « cumul des pratiques et stéréotypes qui vi­sent des groupes de personnes dans leur globalité ».

« Toujours les mêmes jeunes »

En l’espèce, les « Tigres », comme on les surnomme, en référence à l’écusson qu’ils arborent sur leur uniforme, sont accusés de contrô­les d’identité abusifs et répétés sur des jeunes qu’ils qualifiaient « d’indésirables » dans le registre des mains courantes. Dans ce dos­sier, les plaignants rapportent des insultes : « sale noir », « connard », « libanais de merde », « chien », « babine de pneus ». Mais aussi des palpations pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ainsi que des faits de violences. Plusieurs jeunes décrivent des passages à tabac réguliers. Le Défenseur des droits souligne que les contrôles d’identité opérés sur ordre hiérar­chique − visant en principe à « évincer » les personnes visées, c’est­-à­-dire à leur demander de quitter les lieux pour mettre fin à des « nuisances, tapages, salissures ou à la consommation de stupé­fiants » − ciblaient « toujours les mêmes jeunes ». Les motifs du contrôle semblaient « souvent sor­tir du cadre légal », ajoute­-t-­il. Tout comme les nombreuses palpa­tions, fouilles et conduites au commissariat.

Une fois au poste, bien souvent, aucune vérification d’identité n’avait lieu. En tout état de cause, les procès­-verbaux qui auraient permis d’attester de la procédure n’étaient pas dressés, empêchant tout contrôle a posteriori du par­quet sur les interventions des for­ces de l’ordre. Le 4 avril 2018, trois des policiers visés ont été con­damnés à cinq mois de prison avec sursis pour des faits de violences. Ces derniers ont fait appel. Une se­conde procédure visant à engager la responsabilité de l’État pour faute grave est en cours au civil. Si le ministère de l’intérieur n’apporte pas d’éléments objectifs jus­tifiant ces comportements, ils de­vront « être regardés comme cons­titutifs de discrimination directe, indirecte, systémique et de harcèle­ment en raison de l’origine des plai­gnants, que l’État doit être en me­sure de faire cesser et de réparer », indique le Défenseur des droits.

« Racisme institutionnel »

Me Slim Ben Achour, qui défend les 18 jeunes, se réjouit d’une prise de position « révolutionnaire », alors que « notre système juridique basé sur la responsabilité indivi­duelle a du mal à appréhender les inégalités et discriminations struc­turelles ». Juridiquement, le Défen­seur des droits s’inscrit dans la li­gnée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a inclus, dans le faisceau d’indices de la charge de la preuve des plai­gnants, « les études [notamment en sciences sociales] et informa­tions statistiques produites [attes­tant] de la fréquence de contrôles d’identité effectués, selon des mo­tifs discriminatoires, sur une même catégorie de population apparte­nant aux “minorités visibles” ».

Afin d’analyser ces situations, les sciences sociales s’appuient sur les notions de « racisme insti­tutionnel » ou de « racisme systé­mique » au sein de l’institution policière. « Il s’agit de dire que le ra­cisme est détachable des individus pour être le fait d’une institution ou d’un système. Ici, le racisme est le produit d’un cumul de processus, notamment historiques, avec une histoire de la police fortement mar­quée par la guerre d’Algérie et la chasse aux travailleurs d’Afrique du Nord, et d’une organisation éco­ nomique et sociale, qui veut que la jeunesse masculine sans diplôme, occupant l’espace public, est princi­palement formée de descendants de l’immigration post­coloniale », explique pour sa part Fabien Jo­bard, sociologue et directeur de re­ cherche au CNRS.

Le ministère de l’intérieur, s’il condamne les cas individuels, re­fuse de parler de « racisme diffus dans la police », comme l’a déclaré le secrétaire d’État Laurent Nunez, dans un entretien au journal Libé­ration, le 29 mai. Lors des ques­tions d’actualité au gouverne­ment, mardi 2 juin, Christophe Castaner a défendu la police « qui protège dans ce pays les femmes et les hommes de tout, y compris du racisme ». En 2019, sur les 1 500 enquêtes dont a été saisie l’inspection générale de la police nationale, « une trentaine concer­nait du racisme ou de la discrimi­nation », a assuré le même jour Frédéric Veaux, le directeur géné­ral de la police nationale, sur RTL. Le ministère de l’intérieur et la Préfecture de police de Paris ont indiqué ne pas commenter les ob­servations formulées par le Dé­fenseur des droits.

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le 06 June 2020

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