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Hommage de Patrick Le Hyaric à Roger Roucoux - Amiens, 16 novembre 2016

Hommage pour Roger Roucoux

Amiens le 16 novembre 2016.

Patrick Le Hyaric, 

Directeur de L’Humanité

Député au Parlement Européen.

 

 

À Josette

À Micheline et Michelle

À Caroline, Alexandre, Fabien, Catherine, Marie

À ses Amis et Camarades 

À chacune et chacun de vous

 

Nous vous remercions de votre présence

 

Il ne pouvait y avoir plus tragique honneur que celui d’avoir à parler ici de Roger Roucoux.

De lui parler devrais-je dire, de le faire à un membre de ma famille puisque sa fille Michelle est devenue mon épouse, chance inespérée de voir se croiser et se recroiser nos chemins et cheminements, ceux d’un militant auquel je m’adresse ici au nom de son parti.    

Au nombre et à la qualité des messages reçus, il semble que nous ne faisons que commencer à comprendre ce que cette soirée du 11 novembre a enlevé à toute sa famille, à son syndicat la CGT, à son parti communiste au moment où le vent d’automne emporte les feuilles et les hommes.

Roger  nous quitte en même temps que notre ami Paul Vergès, Léonard Cohen, Pascal Possado ou Malek Chebel des hommes de bien comme lui. 

Comme lui des « acteurs–penseurs » de l’émancipation humaine, des belles personnes qui, selon l’expression de l’intellectuel soviétique Vygotski, se retrouvent « une tête au-dessus d’eux-mêmes ».

Nous sommes touchés, peinés, bouleversés par la perte d’un être cher, d’une si agréable douceur, d’une gentillesse sans rivages. Il rayonnait par cette forme de vraie grandeur qu’était sa simplicité, sa courtoisie et toujours, comme le disait Paul Eluard, « cette belle manière d’être avec les autres ».   

Immense est la douleur de sa famille, de ses filles bien sûr dont il ne pouvait cacher l’amour qu’il leur portait, de ses petits-enfants qu’il chérissait et ses arrières petits enfants qui, tout à la fois, étaient sa fierté et son rayon de soleil. Incommensurable est la peine de sa compagne Josette qui partagea tous les instants d’une vie dédiée aux beaux combats pour la justice, l’égalité et la liberté qu’ils menèrent ensemble avec tant d’amis et de camarades.  Ils étaient ainsi reliés avec toutes celles, tous ceux qui à travers le monde, agissent, créent, inventent pour que leurs semblables connaissent des jours meilleurs. 

Roger portait en lui la bonté à marée haute.

Selon les mots de Nelson Mandela « En faisant scintiller sa lumière il offrait aux autres la possibilité d’en faire autant ».

Lorsque l’on feuillète l’ouvrage « Solidarité d’acier » relatant la lutte durant l’année 1952, des 1 200 métallos des aciéries et laminoir de Beautor qu’il a rédigé en 2012, saute aux yeux la modernité de sa pensée. Il insistait sur la nécessité de donner en toute chose la parole et le pouvoir aux travailleurs. Ce qui émerge avec force tout au long de ce livre c’est non seulement sa proximité avec ces ouvriers mais son attachement à la démocratie syndicale, à la démocratie d’intervention en en faisant un facteur d’efficacité de l’unité permanente des travailleurs. 

Je le cite : « Au-delà de la grève des ALB, l’action syndicale démocratique qui était alors nécessaire est aujourd’hui dans les conditions nouvelles de la lutte des classes une exigence. »

Nous trouvons ici dans les réflexions de Roger de nombreuses similitudes avec la pensée et l’action de Georges Séguy lui aussi grand modernisateur de la CGT qui nous a quittés il y a quelques mois.

En toute chose il restait dans, et, de son temps, faisant toujours confiance à la jeunesse, la questionnant au travers des sensibilités différentes de ses petits enfants Caroline,  Alexandre , Catherine, Fabien, Marie qui lui faisaient partager leurs goûts musicaux , leurs lectures, leurs films, leurs rires et plaisanteries  et les aspirations d’une jeunesse en quête d’espérance.

Sans cesse, il s’informait, décryptait, se souciait du monde qui advient pour cette jeunesse alors que le long et patient travail auquel avec sa génération, il a participé pour le progrès humain et social est mis à mal par des dirigeants politique qui agissent de plus en plus en covoiturage avec les milieux d’affaires et financiers.

Porté par ce souffle de liberté et de progrès qu’a constitué le Front populaire, puis les heures sombres de l’occupation nazi avec son lot de privations, de déportation contre lesquelles se lève au cœur de la nuit la France résistante et libératrice. Dans une France en ruine, vint l’heure du bond en avant vers le progrès social qui permit le redressement du pays. Roger vient au parti communiste français en 1946. Son militantisme permanent le confronte à toute notre histoire nationale, à celle de la Picardie dans les meilleurs comme dans les plus difficiles moments.

Ceux du redressement de la France avec ses avancées sous la vigilance des travailleurs mais aussi des luttes âpre pour sans cesse défendre et préserver ce qui n’est jamais définitivement acquis. Ce fut aussi le combat contre les guerres coloniales et pour la libération des peuples.

On imagine sans peine ce que fut pour Roger et toute une génération l’invasion de la Hongrie par les chars soviétiques en 1956. Tout ce pourquoi il luttait se trouvait bafouer par l’utilisation de la force contre des travailleurs aux mains nues qui ne demandaient qu’une chose, certes très précieuse, la liberté !

Cette année-là, il est responsable de ce grand mouvement de masse qu’est l’union de la jeunesse républicaine de France où il côtoie Léo Figuères, Guy Ducoloné, Daniel Le Meur - son ami, compagnon et complice - et où il croise Marcel Cachin venu conclure le congrès national. Membre du bureau fédéral du Parti Communiste de l’Aisne, il participe par la suite à la création du mouvement de la jeunesse communiste dont il devient membre du conseil national jusqu'à l’année 1962, date à laquelle il devient responsable de la CGT au début d’un mouvement qui annonce cette levée en masse mondiale de « Mai 1968 ».

Durant toutes ces années marquées par des avancées et des reculs dans le cadre d’une bataille acharnée, Roger aura toujours une claire intelligence du monde qu’il appréhende avec un grand sens politique.   

Sa seule ambition est de servir les autres, en plaçant au cœur de sa démarche l’émancipation humaine, en bannissant toute discrimination, toute séparation fondée sur les origines, les religions, les convictions ou les professions.

Le parti communiste compte beaucoup sur son intelligence et ses capacités d’organisation puisqu’au cours années 1965-1966 il est inscrit à l’université de Moscou où il parfait encore ses connaissances.

Dépêché à Amiens en 1971 pour créer le comité régional CGT, il est membre du bureau fédéral  et du comité régional du parti communiste de la Somme. 

Comme Georges Séguy, il ne concevait pas son engagement syndical sans son prolongement sur le terrain politique, au risque que les conquêtes soient en permanence reprises par les forces de l’argent, aidées par leurs mandataires politiques au pouvoir. Mais à aucun moment le syndicaliste n’oubliait qu’il n’avait de comptes à rendre qu’aux salariés et comme devoir, la fidélité à leurs revendications.

Roger a toujours été un veilleur et un éveilleur au service de la classe ouvrière et des salariés dans leur diversité, un modernisateur et un défricheur des nécessaires nouveaux chemins de l’émancipation humaine. 

Pour lui, les mots égalité et justice avaient un sens. Sans relâche, il œuvrait pour qu’ils se concrétisent au bénéfice de tous. Il était de cette trempe d’hommes et de femmes incapables d’imaginer leur bonheur personnel si les autres étaient dans le malheur.  Même dans les moments les plus difficiles, Roger ne se laissait jamais aller au désespoir. Rejetant les postures, les simplismes et le sectarisme, il ne s’est engagé que pour servir. Servir les idéaux de liberté de justice, de paix, servir en respectant l’autre, les autres. Il faisait sienne cette pensée de Louis Aragon dans « Le Roman inachevé » : « toute idée pour moi a besoin d’un contre-pied.»

Jamais indifférent aux différences, il  faisait en sorte que le pluriel puisse déboucher sur du partage, sur de « l’en-commun », du « commun » la racine de ce mot trop galvaudé de communisme.

Il a continué à dérouler ce fil rouge de l’engagement durant toute sa période de retraite en animant sa cellule de quartier, en diffusant L’Humanité-Dimanche et des hors-séries de L’Humanité, en contribuant à populariser la fête du journal qu’il ne voulait manquer pour rien au monde.

Il avait le souci d’y inviter ses amis et connaissances pour qu’ils partagent d’inoubliables moments de joie et de fraternité. 

Il prenait la diffusion de L’Humanité comme un bonheur qui faisait de lui un passeur d’idées, de réflexions, d’analyses et de culture. Il devenait le trait d’union entre le journal et ses lecteurs mais aussi, pour une part, entre son parti et la population.

Que l’exemple, le courage, le dévouement, la simplicité, l’abnégation de Roger puissent toujours nous inspirer, que son exemple serve aux jeunes générations. Il nous a beaucoup donné, beaucoup donné au mouvement, beaucoup donné à son parti.

Roger, nous ne t’oublierons pas !

Nous t’offrons cette première et dernière  strophe d’un poème de Louis Aragon dans « Les Yeux et la Mémoire »

 

« C’est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m’en irai sans en  avoir tout dit

Ces moments de bonheur ces midis d’incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes »…

…« Malgré tout je vous dit que cette vie fut telle

Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici

N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle ».

 

 

  

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)