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Hommage à Georges Séguy : intervention de Thierry Aury, secrétaire départemental du PCF Oise - Compiègne, 22 octobre 2016

Intervention de Thierry Aury, secrétaire départemental du PCF Oise

 

Chers amis, chers camarades, 

C’est bien volontiers que nous avons répondu à l’invitation de l’UD-CGT Oise, à rendre un hommage commun à Georges Séguy, ce matin, à Compiègne.

En effet, si un très bel et émouvant hommage lui a été rendu le 20 septembre dernier, à Montreuil - au siège national de la CGT dont il avait initié la réalisation et dont le grand patio central portera désormais son nom - beaucoup d’amis et camarades de l’Oise n’ont pu y participer, et c’est donc l’occasion de revenir sur le parcours et l’apport de Georges Séguydans notre combat pour la libération humaine.

Georges Séguy fut en effet une personnalité marquante de notre vie sociale et politique durant plus de 50 années.

Et en nous retrouvant devant ce Mémorial de l’Internement et de la Déportation – que nous vous proposerons de visiter ensuite – c’est aussi l’occasion de se souvenir que Georges Séguy passa ici, tout jeune, et en fut marqué pour le restant de sa vie.

C’est en effet, tout jeune adolescent que Georges Séguy décida de s’engager, au plus noir de la nuit de l’occupation nazie.

En 1940, le 6 novembre exactement, seulement âgé de 13 ans, il prend part à Toulouse, dans sa ville natale, à un coup d’éclat anti Pétain organisé par les Jeunesses communistes, en lançant sur le cortège officiel des tracts dénonçant  la collaboration du nouveau régime…

Deux ans plus tard, en 1942, à l’annonce de l’exécution de Pierre Sémard, secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots, dirigeant du PCF, ami proche de sa famille, il demande à son père de quitter l’école et d’entrer de plain pied dans la Résistance, à tout juste 15 ans.

Pendant  près deux ans, dans l’imprimerie Lion de Toulouse, il participera à l’impression de tracts, de faux papiers, de journaux clandestins comme L’Humanité … tout en assurant un rôle d’agent de liaison auprès des organisations de résistance de la région.

Deux ans de combat jusqu’en février 1944 où, sur dénonciation, il sera arrêté, avec l’ensemble du personnel de l’imprimerie, par la Gestapo.

Incarcéré à la prison Saint-Michel, conduit au camp de transit de Compiègne, il sera embarqué le 22 mars 1944 dans un train de wagons à bestiaux.

Trois jours, trois nuits de calvaire, sans boire ni manger, entassés à 120, debout, nus - « l’un des moments les plus éprouvants de ma vie » écrira-t-il plus tard - il entre, à 17 ans, dans le camp de la mort de Mauthausen, sous le matricule 60581, lui qui sera le plus jeune déporté résistant français !

Treize mois où il va côtoyer au quotidien la faim, le travail de forçat, la terreur, les chambres à gaz, les fours crématoires, la mort … mais aussi l’entraide organisée, la solidarité de survie, la fraternité de lutte qui lui vaudront d’échapper au pire et à continuer le sabotage du travail dans l’atelier où il a été affecté…

C’est seulement en fin avril 1945 que le camp sera libéré…

Il dira plus tard «  Dans la mesure où j’avais eu la chance inestimable de figurer parmi les rescapés, ma vie en quelque sorte ne m’appartenait plus ; elle appartenait à la cause pour laquelle nous avions combattu et pour laquelle tant des nôtres étaient morts : l’édification d’un monde nouveau, libre et juste pour tous ».

Ce serment des rescapés des camps de la mort, Georges Séguy lui a été fidèle toute sa vie par un double engagement, intimement lié, syndical et politique.

L’humanité pour tous, il en a fait le combat d’une vie. Il fut, chacun le sait, très tôt et durant presque trois décennies, un éminent responsable de notre parti. 

Membre du bureau fédéral de la Haute-Garonne dès 1946, il entra en 1954 à l’âge de 27 ans au Comité central puis au Bureau politique en mai 1964 et y resta jusque dans les années 80. Mais il en fut surtout un militant qu’il demeura  toute sa vie, y compris jusqu’à ces derniers mois, cultivant un attachement affectif à notre parti, lui qui dès son retour des camps de concentration, affaibli et ne pesant plus que 38 kilos, proposa le jour même, ses services au Parti Communiste Français.

Dans ses mémoires, il écrit « Si au fil de ma vie, j’ai pu, de simple ouvrier que j’étais, issu d’une famille modeste, accéder à des connaissances telles qu’elles m’ont permis de jouer un rôle responsable au sein du mouvement ouvrier, si j’ai pu élever mes connaissances dans divers domaines économique, politique et culturel, c’est de toute évidence à mon parti que je le dois. C’est sans doute grâce à lui que j’ai pu échapper à l’enfer des camps de concentration. ». La fraternité et la solidarité des camarades, il l’avait éprouvé à Mauthausen, quand, à bout de force, il avait réussi à survivre grâce aux sucres volés par ses compagnons de camp, eux-mêmes affamés, qui n’avaient pourtant jamais pris un morceau pour eux. Georges Séguy vivait le communisme dans sa chair, comme un idéal de société bien sûr mais aussi comme un rapport concret au temps présent, comme une matrice de compréhension du monde.

Souvent pris à parti par ses opposants pour son double engagement syndical et politique, il y répondait sans complexe de la façon la plus naturelle qui soit. Lui, le dirigeant communiste de premier plan défendit avec ferveur l’indépendance syndicale, et aimait à répéter, je cite, qu’il « ne considérait pas que pour être un bon militant syndical il faille forcément être militant du Parti communiste ». Mais chez lui, indépendance syndicale ne signifiait pas prise de distance avec la politique. Il ne confondait pas ses engagements politique et syndical, mais ne les dissociait pas non plus. Pour lui, l’indépendance était en quelque sorte la garantie de protéger l’autonomie en toutes circonstances du mouvement ouvrier pour la défense des droits des travailleurs.

S’il défendait l’indépendance syndicale, il pourfendait donc l’apolitisme, et plaidait pour la politisation du monde ouvrier et de l’ensemble des travailleurs. Là encore, il n’avait pas en tête le ralliement à un parti ou à une idéologie, mais d’abord l’engagement dans la vie sociale, l’évolution de l’esprit de responsabilité, et plus généralement la plus grande participation des salariés à la vie du pays.

Georges Séguy tenait en haute estime la démocratie au sens le plus profond, le pouvoir de tous, par tous et pour tous. Il était un homme du peuple qui malgré ses hautes responsabilités ne s’était jamais éloigné du terrain. Il était convaincu qu’il fallait toujours partir du revendicatif pour se prononcer sur les grandes questions politiques. Sa vision de l’engagement militant reposait sur de fortes exigences démocratiques. Pour lui, la démocratie était la clé. Il était convaincu que c’est en libérant l’initiative et le débat que nous réussirions en emporter avec nous le plus grand nombre. Il savait qu’en nous ouvrant nous ne nous perdrions pas, bien au contraire. Faisant preuve d’une grande intuition politique, comme cette nuit de mai 68 où il comprit qu’il fallait engager la CGT dans ce combat qui dès lors changea de nature pour devenir l’un des plus grands affrontements de classe du XXe siècle, il fut souvent en avance sur son époque, un novateur à qui le futur donna raison.

Georges Séguy était un rassembleur infatigable, conscient que l’unité de la classe ouvrière, de tous les travailleurs, lui qui très tôt prit la mesure des bouleversements du monde du travail, était indispensable à toute avancée majeure de civilisation. Il savait aussi le prix de cette unité sur le terrain politique, participant de tous les appels à l’union des forces de progrès pour proposer une alternative au pays, engagé là où il vivait et à travers des appels et tribunes, dans l’aventure du Front de gauche. Il n’avait pas oublié l’amer goût laissé aux grévistes de mai 68 par les élections qui suivirent, faute que soient alors entendus les appels de son parti à la construction d’une réponse politique de progrès à la hauteur. À l’époque, l’anticommunisme et la peur séculaire de la classe ouvrière eurent raison de toute velléité de rassemblement ouvrant ainsi la voix au maintien aux affaires de la droite.

En son temps, Georges Séguy fut aussi confronté à la montée du repli nationaliste et du racisme lors de la guerre d’Algérie. À cette époque grandissait chez une partie des ouvriers des relents de haine et de xénophobie sur fond d’Algérie française. Il mena le combat sans relâche pour la liberté du peuple algérien. Il avait connu l’humiliation suprême dans les camps, celle d’être rabaissé, nié, insulté, sans pouvoir riposter et ne pouvait supporter le traitement dégradant qui était fait aux immigrés. Pendant les 30 années vécues dans son modeste HLM de Champigny aux côtés des masses de travailleurs portugais entassés dans des bidonvilles, il savait mieux que quiconque combien la division des travailleurs, Français et immigrés, sert toujours le patronat.

Il récusait la guerre avec la même force. Après son départ du secrétariat général de la CGT, il s’engagea pleinement dans le combat pacifique en devenant l’initiateur d’un appel de 100 personnalités pour le désarmement nucléaire en Europe. En plein regain de tension Est/Ouest, en pleine course aux armements, plusieurs centaines de milliers de personnes défilèrent à Paris grâce à cet « Appel des 100 » qui marqua les années 80. C’est son combat que nous poursuivrons alors que la guerre étend à nouveau un peu partout ses ravages.

En 2004 encore, lors du 60e anniversaire du programme du Conseil National de la Résistance, avec douze autres figures de la Résistance, Georges Séguy cosignait un texte d’alerte, de devoir et d’action :

«  Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire et à transmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie sociale, économique et culturelle »

Et en 2013, lors du Congrès confédéral de la CGT, dans sa ville natale de Toulouse, il avait lancé : « il ne suffit pas de s’indigner, il fait s’engager ! ».

Georges Séguy est parti au terme d’une longue et riche vie. Il fut un acteur de son temps et un artisan du futur. Nous lui devons beaucoup. Il fut de ses hommes et femmes qui portent en eux toute l’humanité et les espoirs enivrants de lendemains qui chantent. Son visage jovial et ses yeux rieurs reflétaient toute la dignité et la fierté de la classe ouvrière. 

Puissent son courage exemplaire et sa confiance en l’Homme nous porter toujours en avant, pour préparer toujours et sans relâche, selon les vers du poète Paul Eluard, « des jours et des saisons à la mesure de nos rêves ». Merci Georges !

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)