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Frédéric Imbrecht « L'Europe, sa construction et le syndicalisme européen : quelles perspectives ? » - Liancourt, 23 avril 2015

Le 23 avril 2015, Espace Marx60 proposait une rencontre avec Frédéric Imbrecht, dirigeant de la CGT en charge des questions européennes, pour échanger sur les thèmes de la construction européenne et du syndicalisme européen. Une vingtaine de personnes ont fait le déplacement.

 

Une Europe en crise

En introduction, Norbert Boulanger, secrétaire d’Espace Marx60, a dressé un état des lieux des situations de crises - politique, démocratique, sociale… - que vivent actuellement l’Europe et ses habitants. La conférence-débat a ensuite débuté, s’articulant autour de cinq questions.

 

Construction européenne : quelle histoire et quelle place pour le peuple ?

Pour Frédéric, il est difficile de définir une date ou une période courte qui définirait le début de la construction européenne. Présente à plusieurs reprises dans l’histoire – Charlemagne, les Lumières… - elle devient réalité après la Seconde Guerre mondiale, suite aux prémisses d’intégration européenne de l’entre-deux guerres (voir la présentation ci-contre d’Annie Lacroix-Riz sur le rôle des grands groupes de la chimie, du comité des forges et des milieux financiers). Elle est apparue pour certains comme un moyen de stabiliser l’Europe et d’y installer la paix, après trois guerres en moins d’un siècle détruisant les hommes et le capital. Les États-Unis, au sortir de 1945, poussèrent au retour de l’Allemagne dans le jeu des nations et à l’instauration de cette stabilité leur assurant un marché économique, eux qui n’avaient pas de colonies.

Deux visions de la construction étaient alors portées : celle de l’intégration industrielle, du marché, ou bien celle de l’Europe politique. C’est la première qui est choisie, avec l’entrée en vigueur en 1952 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Bernard Lamirand, président d’Espace Marx60, a témoigné de sa participation pendant 15 ans à la CECA et rappelle l’opposition virulente d’Ambroise Croizat à cette organisation qui mettait en place une Europe du marché.

Cette construction s’est faite sans les peuples, sans débat public. Aujourd’hui, l’Europe est vécue au mieux comme lointaine et technocratique, au pire comme une menace. Même le mythe d’une union pour la paix n’est plus un argument porteur pour les jeunes générations. Dans les étapes suivantes, le débat n’émergera qu’à deux moments, porté par les forces progressistes s’opposant aux projets de construction : à l’occasion du traité de Maastricht en 1992 et en 2005 avec le référendum sur le traité constitutionnel. Une question qui interpelle : comment se fait-il que les forces progressistes n’ont jamais pu peser dans l’orientation de cette construction européenne, qui se fait au nom du capital et contre les peuples ?

 

Crises et désenchantement européen : quelle analyse de la CGT ?

L’ordolibéralisme allemand s’est imposé à l’Europe, avec la primauté de la liberté économique et des capitaux sur les droits sociaux fondamentaux.

Selon Frédéric, il y a une malhonnêteté politique à refuser le débat national sur les enjeux européens, même lors d’échéances électorales comme les dernières Européennes en 2014. Il est alors facile de rejeter les responsabilités sur une Europe perçue par le prisme de ses seuls technocrates, alors que ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui ont le pouvoir réel, encore faut-il qu’ils s’en emparent ! Cette démission politique, alimentant le fatalisme du « on ne peut pas faire autrement », est un problème et un défi à relever pour les syndicats : la construction d’un rapport de force est difficile quand le politique détruit la perspective, l’alternative.

Pour la CGT, l’espace européen est l’espace le plus pertinent pour une sortie de crise progressiste dans le cadre de la mondialisation, permettant de donner une dimension internationale aux revendications. Pour elle, les rapports de force seraient moins difficiles à mettre en place dans le périmètre européen que national.

La sortie d’un État de l’euro et/ou de l’Europe ne saurait être la solution en soi – par exemple en Grèce, étrillée par la troïka (FMI, Commission européenne, BCE), le gouvernement d’Alexis Tsipras ne porte pas cette idée. C’est contre le capitalisme qu’il faut lutter, en travaillant à construire des convergences entre les peuples et des rapports de force.

La sortie de l’Europe n’est d’ailleurs pas un thème populaire, et même le Front national se déleste de cette décision en évoquant maintenant un référendum sur la question s’il est au pouvoir, renvoyant la responsabilité aux citoyens. De plus, quand on parle de souveraineté nationale, parle-t-on de celle de l’État ou de celle du peuple ? Seule la souveraineté populaire, avec les questions des pouvoirs des salariés et des citoyens, peut être un levier de sortie par le haut.

 

Après 15 ans, quelle place de la CGT dans la CES ?

Depuis les années 1970, la CGT, alors membre de la Fédération syndicale mondiale (FSM) demandait son affiliation à la Confédération européenne des syndicats (CES), ce qui fut finalement acceptée en 1999. C’est également dans les années 1970 que la Confédération a ouvert avec la Confération générale italienne du travail (CGIL) un bureau à Bruxelles. Ces démarches s’inscrivent dans sa volonté de ne pas être isolée, de faire vivre l’unité du mouvement syndical, de discuter avec les syndicalistes européens en tenant compte de leur culture, leur histoire (importance de la syndicalisation de masse pour les Nordiques, de la mobilisation pour la CGT ; pas de grève interprofessionnelle en Grande-Bretagne, pas de grève entre deux accords en Allemagne…) pour déboucher sur des positions communes.

Marie-France Boutroue, travaillant également sur les questions européennes au sein de la CGT, a mentionné les hausses de participation et de diversité géographique des syndiqués CGT lors des manifestations à Bruxelles par exemple ; l’articulation entre le niveau européen (comités exécutifs de la CES quatre fois par an), la France et les régions par l’intermédiaire des Conseils économique, social et environnemental régional (CESER) ; le rôle de la CGT et des autres organisations dans la CES, dont le personnel est limité en nombre.

 

Quelle coordination des revendications au niveau européen ?

Au sein de la CES, deux idées font consensus (voir les 2 vidéos de la CES ci-contre) : l’austérité n’est pas la solution pour sortir de la crise, comme cela a été affirmée au Congrès d’Athènes en 2011 ; des investissements massifs sont nécessaires pour créer des emplois de qualité. Le plan d’investissement Juncker annoncé depuis est une forme largement dévoyée de la proposition de la CES.

La CES faisait du lobbying auprès des institutions européennes, ce qui ne fonctionne pas ou plus. Cela la pousse à évoluer vers la forme d’une organisation interprofessionnelle européenne, plus dynamique, se tournant vers les travailleurs et la mobilisation. Frédéric résume ainsi la situation : « parler des travailleurs aux travailleurs, pas à la Commission ».

 

Quelle crédibilité de la CES auprès des salariés ?

Les syndicats européens doivent faire face à un affaiblissement ces dernières années du nombre des syndiqués. Par ailleurs, la CES n’est pas encore une confédération en tant que telle : toutes les organisations ne considèrent pas qu’elles doivent agir au même moment sur des mêmes questions – on connaît la difficulté à un niveau national, en France par exemple. Un des points donnant du crédit à la CES est l’évolution du traitement de la politique sociale : attribution des États avant, elle est maintenant dictée par l’Europe qui multiplie les considérations sur ce thème. Dans les pays nordiques, où la négociation est ainsi remise en cause, c’est l’existence même des syndicats qui se trouvent ainsi posée !

Les mobilisations des salariés ne sont possibles qu’autour d’une Europe sociale porteuse de thèmes concrets : égalité salariale homme-femme, mise en place de systèmes minimums (différent d’un SMIC européen), hausse des salaires… Il est donc important de faire converger les luttes, tous les jours, de l’entreprise aux niveaux national et européen.

 

 

Repères

La CES est constituée de 83 organisations syndicales issues de 36 pays. La France a 5 représentants : CFDT, CFTC, CGT, FO et UNSA. Il existe neufs fédérations syndicales européennes.

 

Liens

 

 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)