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La fiscalité, un levier pour s'opposer et dépasser la logique du capital - Creil, 30 janvier 2014

 
 

Vous trouverez ci-après le compte-rendu - susceptible d'imprécisions - de cette rencontre, et dans la partie droite de cette page internet, les vidéos de l'intervention de Frédéric Rauch.

 

Résumé

Le pacte de responsabilité décidé par François Hollande est à la fois classique par la reprise du poncif libéral de l’offre qui crée par elle-même la demande et nouveau par deux ruptures qu’il engendre : le choix assumé du patronat comme interlocuteur sur les thèmes concernant l’économie et l’entreprise et la dérive autoritaire pour mettre en place ce pacte qui, en favorisant les profits, créerait de l’emploi. Alors que l’on rabâche sans cesse aux Français que le coût du travail serait trop élevé et que nous n’aurions pas les moyens de notre protection sociale, ce pacte est bien perçu alors qu’il repose sur des logiques de cadeaux au patronat sans mesure coercitive qui ont échoué depuis des décennies. Le PCF propose un autre donnant-donnant, un « pacte de solidarité et de progrès social » comme l’a nommé Pierre Laurent, pour mettre en place une autre efficacité sociale et économique qui s’inscrit dans une perspective révolutionnaire de transformation sociale, avec un des leviers possibles qu’est la fiscalité.

 

La remise à plat de la fiscalité par le gouvernement Ayrault est en fait une réforme de la fiscalité des entreprises, inscrite dans le pacte de responsabilité. Ce dernier dépasse la seule bataille sur la hausse de la TVA, sans pour autant l’exclure.

Cette orientation hyperlibérale de la politique économique du gouvernement est la même que celle qui a conduit aux adoptions du Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE), de la loi de « sécurisation » de l’emploi et des réductions des dépenses publiques et sociales.

 

Partie 1/5 - Le choix désastreux du crédo libéral de l'offre pour la relance de l'emploi

 

François Hollande veut mettre en place un nouveau compromis social, un donnant-donnant permettant l’augmentation des profits avec comme objectif annoncé l’emploi. Pour cela, il faudrait s’émanciper de la contrainte structurelle de l’économie française, c’est-à-dire la faiblesse de l’investissement réel des entreprises, entraînant une obsolescence des équipements et une perte de compétitivité. Il faudrait donc redresser l’offre productive française, en produisant plus et mieux. Ce crédo de l’offre qui crée par elle-même la demande est un standard de l’économie libérale classique.

Depuis le deuxième trimestre 2011, la contribution de l’investissement matériel des entreprises non financières à la croissance du PIB est négative. Les taux d’investissement des sociétés non financières diminuent (31,5 % en 2008 contre 28,4 % en 2012).

Pour nous, trois raisons principales expliquent cette trajectoire de longue durée :

  • la mobilisation des capitaux sur les marchés financiers pour des opérations de concentration du capital, par des fusions-acquisitions par exemple.
  • la faiblesse de la demande en France en Europe en écho au chômage, avec 3,3 millions de chômeurs inscrits en catégorie A en France, avec une augmentation de 5,8 % sur un an, dépassant ainsi le pic historique de 1997. Les prestations sociales permettent toutefois de jouer un rôle d’amortisseur.
  • les prélèvements financiers (intérêts et dividendes versés) et le rationnement des crédits bancaires, notamment en direction des PME

Pour François Hollande et Medef, l’explication de ce sous-investissement est la faiblesse du taux de marge (bénéfices sur la valeur ajoutée), actuellement bas (27,3 % au lieu des 30 % habituels) : il faudrait donc restaurer les profits. Ce raisonnement fait écho au théorème de Schmidt, suivi par Valéry Giscard d’Estaing puis François Mitterrand lors du tournant de 1983 : « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ».

L’État devrait donc aider les entreprises à accroître leurs revenus disponibles.

Partie 2/5 - Le pacte de responsabilité,

encore une aide aux entreprises supportée par la collectivité sans contreparties

 

Dans un contexte de concurrence internationale intense, il faudrait aider les entreprises à baisser les coûts de production en baissant le coût du travail.

Le pacte de responsabilité ouvre trois voies :

  • la suppression des cotisations patronales de la branche famille de la Sécurité sociale d’ici 2017. Elle concerne les entreprises et les travailleurs indépendants et va entraîner une baisse de 5,25 % des cotisations sociales sur l’ensemble des salaires. C’est un manque de 31 milliards d’euros (5 milliards de plus en tenant compte des employeurs publics) de recettes publiques.
  • une nouvelle diminution de l’impôt sur les sociétés, dans le but de stabiliser les prélèvements obligatoires alors que les bénéfices réalisés en France vont augmenter (effet de la suppression des cotisations patronales de la branche famille)
  • de nouvelles économies de dépenses de service public de 53 milliards d’euros d’ici 2017

Le gouvernement s’est engagé au niveau européen à ce que le seuil structurel des finances publiques soit à l’équilibre d’ici 2017 et que la croissance des dépenses publiques soit nulle au même horizon, alors même que la hausse spontanée est de 2 %. Ce sont donc de nouvelles coupes drastiques dans les services publics qui sont programmées, ainsi que la diminution des dotations aux collectivités locales, avec la mise en place d’un système de bonus-malus selon leur regroupement.

Aucune mesure coercitive n’est prévue concernant les contreparties du pacte de responsabilité, c’est-à-dire l’emploi. Les objectifs seront définis au niveau national et déclinés par  branches professionnelles. Seul un observatoire des contreparties est envisagé, qui observera. Les grandes entreprises profiteront de cette manne pour aller de nouveau sur les marchés financiers, tandis que les TPE-PME l’utiliseront pour redresser leur trésorerie. Les patrons le disent, ils n’attendent pas d’effet à court ou moyen terme sur la situation de l’emploi.

On se dirige vers une super-RGPP avec la mise en place d’un Conseil stratégique de la dépense, composé du président, du premier ministre et de quelques ministres. Ce Conseil évaluera chaque mois toutes les dépenses publiques.

On assiste à une dérive libérale et hyperprésidentielle du pouvoir actuel, alors que le déficit budgétaire augmente, avec des rentrées fiscales insuffisantes liées à la faiblesse de l’activité.

 

 Partie 3/5 - L'impossible conciliation compétitivité-emploi d'Hollande,

accompagnée d'une dérive libérale et hyper présidentielle

 

Deux nouveautés marquent le quinquennat du président socialiste : le choix du patronat et plus particulièrement le Medef comme partenaire privilégié concernant l’économie et la relégation du parlement au rôle de chambre d’enregistrement de ce dialogue – quand l’exécutif ne procède pas par ordonnance. Il ne cherche plus à moduler les excès du marché selon la ligne social-démocrate et en trouvant un compromis capital-travail : il entérine la domination des marchés. La droite est mal à l’aise face à ce PS qui adopte le programme de Bad Godesberg.

Ce changement se produit alors que la population est en détresse et que les idées libérales sont dominantes. Ainsi, les Français ont une perception négative de la compétitivité nationale, les amenant, selon les sondages, à être très majoritairement d’accord avec le pacte de responsabilité, même à gauche. Des années de bourrage de crâne sur le coût du travail ont fait leur effet, culpabilisant les salariés.

Deux consensus se sont alors installés dans une société où sévit l’angoisse du chômage, de la précarité, du déclassement ainsi que le doute sur la viabilité du modèle social français,  avec une population qui vivrait au-dessus de ses moyens, creusant les déficits. Ces consensus se rejoignent :

  • consensus social sur les gestions d’entreprises avec au cœur la rentabilité financière et, autour d’elles, sur les territoires et leur attractivité
  • consensus politique avec une union sacrée au nom du redressement de l’offre productive nationale et de l’emploi

La seconde nouveauté, la montée du présidentialisme et l’intérêt affiché vis-à-vis des entreprises aux dépens du social, se traduit notamment par l’implication revendiquée dans le suivi du pacte, par volonté réelle d’améliorer l’offre productive – et non par effet médiatique comme pouvait le faire un Sarkozy. Hollande se perçoit sans doute objectivement comme un social-démocrate, tant il est convaincu qu’il arrivera à combiner la compétitivité et l’emploi.

Le patronat est ravi, n'ayant pas à s'engager sur des objectifs en terme d'emploi. La droite est en difficulté. Des socialistes sont embarrassés et certains d'entre eux critiquent ce pacte. Ils n'avancent toutefois aucune contre-proposition. Et pourtant la logique de ce pacte est un fiasco total. Entre 1992 et 2013, ce sont 376,5 milliards d'euros que la collectivité a dû compenser suite aux allègements sociaux faits aux entreprises, cadeaux qui n'ont en rien permis de résorber le chômage.

Il faut effectivement responsabiliser les entreprises sur l'emploi, mais par des procédés d'incitation-pénalisation. Il faut riposter par un autre donnant-donnant, un « pacte de solidarité et de progrès social » comme l'a appelé Pierre Laurent.

Partie 4/5 - La fiscalité, un des leviers pour s'opposer et dépasser la logique du capital

 

La fiscalité est une porte d’entrée dans cette bataille pour un autre donnant-donnant que celui proposé par Hollande. Nous proposons des actions à quatre niveaux :

  • une réforme de l'imposition des entreprises
  • la modulation de l’impôt sur les sociétés, comme notre programme du Front de gauche « L’humain d’abord » le mentionnait, avec une incitation à réinvestir les profits dans des emplois stables et la formation
  • la création d’un impôt décentralisé sur le capital des entreprises, perçu localement. Il reprendra le principe de la taxe professionnelle tout en élargissant l’assiette de prélèvement avec la mise à contribution à faible taux à l’échelle nationale des capitaux financiers. Les recettes seront péréquatées entre les collectivités locales, qui retrouveront ainsi une certaine autonomie financière. Cet impôt sera une réponse au regroupement forcé des collectivités, ce dernier n’ayant pour but que de concentrer le capital pour permettre des rendements d’échelle aux grands groupes – et accessoirement d’éloigner la population des lieux de décision.
  • une réforme des cotisations sociales pour sécuriser l’emploi et la protection sociale
  • la participation des revenus financiers des entreprises et des banques, exemptés de toute contribution sociale, doivent cotiser à un taux similaire à celui des salariés : ce sont 80 milliards d’euros qui iront ainsi dans les caisses de la Sécurité sociale. Rappelons que le déficit du régime général est de 19 milliards d’euros… Cette contribution finira par se tarir, les revenus financiers allant en diminuant
  • une réforme structurelle du financement de la Sécurité sociale par les entreprises

Le taux de cotisation sera modulé en fonction du rapport entre les salaires versés et la valeur ajoutée. Cette incitation à la hausse des salaires augmentera mécaniquement la masse des cotisations patronales, calculées sur les salaires.

  • un nouveau crédit, avec des taux d’intérêts modulés selon la prise en compte des critères sociaux, de remplacement de matériels et de recherche et développement des investissements. Les 30 milliards d’euros annuels de financement public actuellement dévolus aux allègements de cotisations sociales seront utilisés pour un nouveau fonds national, décentralisé dans les régions, dont pourraient se saisir les salariés, les syndicats, les mouvements associatifs, les employeurs, les élus.

Un pôle public bancaire et financier sera mis en place, comprenant la Banque publique d’investissement (BPI), la Caisse des dépôts, la Banque postale, les banques mutualistes et coopératives et des banques renationalisées. Le poids de ce pôle public incitera les banques étrangères à coopérer et la BCE devra refinancer les nouveaux crédits du pôle public. Ce crédit sélectif changera les rapports entre les banques et les entreprises, permettant l'accès au crédit, diminuant les charges financières et réorientant la finance vers des investissements utiles. 

  • la relance des services publics, pour soutenir l’offre et la demande

Le nouveau pacte inclura le développement de tous les services publics, ces derniers permettant à la fois d'obtenir des gains de productivité par la baisse du coût du capital et de soutenir la demande

L’efficacité fiscale requiert la justice sociale et également la croissance des recettes pour le financement des services publics. La réflexion de l'essor des services publics doit se mener à l’échelle européenne, de façon concertée. C’est ainsi que le Parti de la gauche européenne (PGE), sur une idée du PCF, soutient l’idée d’un fonds social, solidaire et écologique de développement européen, chaque État recevant selon ses besoins.

Partie 5/5 - La dimension politique de la bataille de la fiscalité

 

La bataille sur la fiscalité ne doit pas s’enfermer dans le débat fiscal si on veut en faire une bataille populaire et non technique : il faut lui donner une dimension politique qui est véritablement la sienne. Il faut en avoir une vision systémique.

Nous devons travailler notre bataille sur la fiscalité pour en faire un levier d’intervention inscrit dans une logique d’ensemble visant à s’opposer et à dépasser la logique du capital, et notamment ses logiques financières. Elle doit être mise au service de la dynamique productive pour une autre efficacité économique et sociale, qui permette alors une véritable justice fiscale - et non pas comme on a un peu trop tendance à le faire à commencer d’abord par la justice fiscale.

Il n’y aura de justice fiscale que si on est en mesure de créer les conditions d’une autre efficacité économique et sociale. C’est pourquoi nous devons appréhender les enjeux fiscaux en dynamique, et non pas de manière statique et comptable. Pour le dire autrement et plus abruptement, s’il s’agit certes de restaurer la justice fiscale, cette dernière ne peut être appréhender efficacement par la question du partage riches-pauvres, sur le mode « je prends aux riches pour donner aux pauvres », ce qu’on a tendance à faire et qui serait foncièrement social-démocrate. Il faut modifier les conditions qui font qu’il existe un clivage riches-pauvres, c’est-à-dire les logiques mêmes du capital et de sa reproduction : on se place donc dans une perspective révolutionnaire de transformation sociale, notamment via la fiscalité.

 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)