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Prise de parole de Thierry Aury aux obsèques de Jean-Charles Dubart - Saint-Sauveur, 21 décembre 2022

Hommage de Thierry Aury, secrétaire départemental du PCF Oise, membre du Conseil national du PCF, à Jean-Charles Dubart, à l'occasion de ses obsèques au crématorium de Saint-Sauveur, le 21 décembre 2022 :

 

Avec Jean-Charles, c’est une figure marquante de 60 ans d’histoire du Parti communiste français dans le bassin creillois et dans l’Oise qui nous quitte, et j’ajouterais, une personnalité importante de l’histoire de notre pays.

Nous conserverons de lui, l’image de sa haute stature qui s’était voûtée au fil des ans, de cette barbe qui avait blanchi, de cet éternel petit sourire aux lèvres, de ses interventions posées mais aussi passionnées dans nos débats jusqu’à ses dernières années.

Il était né dans le Pas-de-Calais, à Verquin, entre Béthune et Nœud-les-Mines, le 8 février 1940, fils d’un employé des Houillères, socialisant, et d’une ménagère, catholique.

Très bon élève il est « poussé » par ses enseignants qui convainquent ses parents de le laisser poursuivre ses études, avec une bourse attribuée par les Mines.

Cela lui permet de devenir lycéen à Béthune, puis d’intégrer à Lille, des classes préparatoires aux grandes écoles avant de rejoindre l’École des Mines à Saint-Étienne... où il rencontrera et épousera Renée, fille d’un mineur de fond, Renée qui l’accompagnera jusqu’au bout.

Devenu ingénieur civil des mines au Centre d’Études et de Recherches des Charbonnages de France (CERChar), à Verneuil-en-Halatte où le jeune couple vient s’ installer, Jean-Charles y mena de multiples travaux reconnus sur le traitement des déchets industriels ou sur de nouvelles utilisations du charbon, et occupera, progressivement, les plus hautes responsabilités au sein des Charbonnages de France dont il deviendra même le secrétaire général.

Ses responsabilités professionnelles l’amenèrent à sillonner les divers bassins houillers français, mais aussi à de multiples déplacements à l’étranger, au Liban, aux États-Unis ou en Pologne notamment, pour le compte de la Société Nationale d’Électricité et de Thermique dont il est devenu le directeur commercial.

C'est fort de cette importante expérience et expertise professionnelle et de son engagement convaincu en faveur du développement industriel de notre pays, qu'il devint d'ailleurs conseiller technique de Georges Valbon lorsque l'élu communiste fut nommé Président des Charbonnages de France par le gouvernement d’union de la gauche, entre février 1982 et novembre 1983, avant que la parenthèse de la relance industrielle ne soit malheureusement refermée par le « tournant » de la rigueur et du libéralisme.

Parallèlement et en lien avec cette prestigieuse carrière dans l'industrie et la recherche, Jean-Charles fut aussi un militant et un responsable communiste dès sa jeunesse : responsable de l'Union des Étudiants Communistes à Lille en 1958 lorsqu'il était étudiant en Maths Sup, responsable de la Jeunesse Communiste à Saint-Étienne en 1960 lors de son entrée à l’École des Mines, puis adhérent au Parti communiste français de 1961 jusqu'à son dernier souffle, ses premières années de militantisme furent marquées par le combat résolu contre la guerre d’Algérie, et toute sa vie durant il eut chevillé au corps cet engagement contre le colonialisme et le racisme, pour l’amitié et la coopération entre les peuples.

Venu habiter à Verneuil-en-Halatte dans l’Oise pour y travailler au CERChar, Jean-Charles devint un militant communiste actif dans l'Oise, y occupant rapidement des responsabilités dans la section du Bassin creillois, au Comité fédéral du PCF dès 1965, au Bureau Fédéral dès 1972. Candidat à plusieurs élections cantonales et régionales, il fut aussi élu maire-adjoint de Verneuil-en-Halatte, durant un mandat de 1977 à 1983, dans la municipalité de gauche animée par Yvan Sarrazin.

Jean-Charles s’efforçait de tout mener de front, et l’on pouvait rencontrer l’ingénieur à la carrière professionnelle de haut niveau vendre « l’Humanité Dimanche » pendant des années à Verneuil ou encore s’impliquer dans l’organisation d’actions avec les locataires du Plateau de Creil.

Alain Boutroue, figure communiste du Bassin creillois, qui regrette de ne pouvoir être présent ce matin en raison de problèmes de santé, me racontait que c’est lors d’une manifestation à Creil, contre la hausse des loyers au domaine des Hautes-Haies, en 1972, qu’après avoir rencontré et discuté avec Jean- Charles, il avait rejoint le PCF, soulignant l’homme de grande culture, de grande intelligence et de grande humilité qui avait joué un rôle déterminant dans son engagement pour un monde meilleur.

Je me souviens aussi, personnellement, qu’à un moment très difficile de l’histoire de notre Fédération, en 2001, il s’était engagé activement pendant plusieurs années, dans l'exécutif collégial de la Fédération, avec Hélène Masure et moi, et d’autres camarades, afin d'assurer la continuité de l'activité communiste dans l'Oise.

Jean-Charles participa aussi très tôt et aussi longtemps qu'il le put, aux travaux de la section économique du PCF, sur le plan national, et, à ce titre, il prit notamment une part importante aux travaux et aux luttes pour la réactualisation du programme commun de la gauche en 1977, collaborant activement à la revue « Économie et Politique » par divers articles.

Reconnaissance de cet engagement tout à la fois militant, intellectuel, scientifique et professionnel, il fut élu membre du Comité central du Parti communiste français entre 1979 et 1985, dans cette période de luttes politiques intenses et contradictoires où la gauche porta au plus haut les espoirs les plus grands, avant que les renoncements devant la vague libérale ne débouchent sur des déceptions immenses.

Dans cette période, Jean-Charles mène, comme il le dit dans un article de « Oise Avenir », de juin 1978, la bataille sur « le front des idées qu’il ne dissocie pas du front des luttes dites quotidiennes ».

Ainsi, lors du 23e Congrès du PCF, en 1979, il intervient à la tribune, pour dénoncer ce qu’il appelle « le prêt à porter européen », c’est à dire « cet argument européen désormais servi à toutes les sauces pour repousser les justes revendications des travailleurs », et il veut démasquer « la stratégie du déclin de la France » avec le démantèlement de ses atouts industriels et de recherche : on mesure la lucidité du propos 43 ans plus tard !

Et, il porte constamment, au contraire, « la revendication de l’autogestion dans l’entreprise et les collectivités et de la définition démocratique des grands choix nationaux ».

Spécialiste reconnu des questions énergétiques, précurseur dans le domaine de l’énergie nucléaire, initiateur de recherches sur la gazéification et la liquéfaction du charbon malheureusement abandonnées par les gouvernements d’alors au non de logiques à court terme, il mène aussi la bataille d’idées sur ces terrains, notamment en écrivant, durant l’été 1980, le livre « Énergies le grand tournant » qui connaît un beau succès.

Publié aux Éditions Sociales, au 1er trimestre 1981, ce livre est une contribution de poids à la campagne présidentielle de Georges Marchais, qui fait de la gazéification et liquéfaction du charbon, une de ses propositions industrielles fortes, en y voyant la possibilité de poursuivre d'une façon novatrice l'exploitation du charbon dans notre pays, d’une manière bien moins polluante et dangereuse... ce qui vaut à Jean-Charles de passer dans diverses émissions de télé et radio, invité par Elkabbach, Mougeotte ou Michel Chevalet.

De ce livre majeur qui mérite d’être relu aujourd’hui, Jean-Charles écrit en avant-propos d’une actualité saisissante :

« Sur le fond comme dans la forme, cet ouvrage veut être une contribution aux luttes, au combat révolutionnaire, au combat pour le progrès des hommes.

Ce n'est ni un ouvrage technique ni un ouvrage politique au sens habituel du terme. Et pourtant il en revendique l'appellation. Car la politique aujourd'hui, c'est de plus en plus l'imbrication dans le débat, dans l'affrontement, dans les luttes, des vastes et essentielles questions que posent l'énergie, les technologies avancées, les forces productives montantes.

Il faut pour la clarté du débat sur toute une série de questions, exposer les acquis, les incertitudes et les enjeux, pour que chacun puisse, en connaissance de cause, intervenir.

Sur des questions qui sont au cœur de l'actualité comme les ressources énergétiques, les énergies « nouvelles », le nucléaire, on ne peut pas escamoter les aspects scientifiques, techniques, mais il faut faire effort pour que cela reste accessible à chacun ; tel a été en tout cas mon souci permanent.

L'énergie mérite ce débat car à chaque grand moment de l'histoire des hommes, depuis la découverte du feu par nos ancêtres de la Préhistoire, elle a été l'enjeu du futur. »

On retrouve là, comme aurait dit Jean Vilar, cette volonté d’un « élitisme pour tous » qui irriguait la pensée de Jean-Charles.

Cela le conduisit aussi à écrire un très beau livre en direction de la jeunesse, intitulé « Clés pour le futur : l’énergie », cité à l’époque dans une liste de dix meilleurs livres recommandés pour la jeunesse.

Bernard Lamirand, ancien président de l’Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie et créateur d’Espace Marx Oise se rappelle : « Nous avons eu plusieurs fois ses contributions sur les questions énergétiques à Espace Marx où il venait jusqu'à ce que ses problèmes de santé l’en empêchent. C'était un personnage très respectueux des autres et il savait écouter et aider des camarades en recherche sur ces questions qui aujourd'hui sont au cœur du débat public. »

Sa maîtrise des enjeux de l’énergie nucléaire contribua au positionnement fondamental du PCF sur cette question, refusant le populisme et la démagogie politicienne, mais portant une vision à la fois scientifique, rationnelle et au service du développement humain.

Son ami Yves Dimicoli - qui ne peut être présent malheureusement aujourd’hui en raison d’importants examens médicaux - l’un des animateurs de la section économique nationale du PCF, aux côtés de Paul et Frédéric Boccara, Catherine Mills, Jean Magniadas, Denis Durand, Alain Morin notamment, a tenu à souligner dans un message combien « Jean-Charles était un camarade très chaleureux, profondément humain, défendant ses convictions mais en demeurant toujours ouvert à l’apport des autres », ajoutant : « Il œuvra tant qu’il put à la défense, à la promotion et au profond renouvellement des idées communistes. Jean-Charles travaillait pour tenter de défricher, à l’appui des luttes populaires, les voies d’un dépassement du capitalisme, vers une civilisation, qui soit enfin celle de toute l’ humanité, d’une humanité soucieuse de sa niche écologique, la Terre ».

Jean-Charles portait une vision résolument optimiste des capacités humaines à trouver les solutions scientifiques et politiques au grands défis de notre époque, il se refusait à laisser culpabiliser le peuple pour mieux exonérer de leurs responsabilités les tenants d’un capitalisme financier exploiteur sans limites et à n’importe quel prix des êtres humains et des ressources naturelles.

Dans ses écrits, on le voit dénoncer par contre, dès les années 1970, les gâchis monstrueux, les pollutions, les destructions catastrophiques des forêts tropicales, et s’il prône l'austérité, « c’est pour l’appliquer, dit-il en 1979, au luxe et aux gâchis d’une minorité de nantis, de privilégiés de la fortune et du pouvoir ».

Toute sa vie, même parvenu aux plus hautes responsabilités professionnelles, et côtoyant les cercles du pouvoir, Jean-Charles resta fidèle à ce bassin minier et à ces mineurs de fond qui relevèrent la France en ruines de 1945, il n’eut qu’une seule boussole, l’intérêt du monde du travail, de ceux qui produisent les richesses, toute sa vie aussi, il conserva cette passion, cette flamme intacte pour l’humanité, pour les capacités humaines de se surpasser et trouver le chemin de l’émancipation, pour un monde de justice, de liberté et de paix.

À son épouse Renée, elle aussi militante communiste depuis sa jeunesse, à ses enfants et petits-enfants, à toute sa famille et ses proches, j’adresse nos plus sincères condoléances et toute notre sympathie fraternelle.

Et pour conclure cet hommage, je veux lire ce poème de Paul Éluard :

C'est la douce loi des hommes Du raisin ils font du vin

Du charbon ils font du feu

Des baisers ils font des hommes

C'est la dure loi des hommes Se garder intact malgré

Les guerres et la misère Malgré les dangers de mort

C'est la chaude loi des hommes De changer l'eau en lumière

Le rêve en réalité

Et les ennemis en frères

Une loi vieille et nouvelle Qui va se perfectionnant

Du fond du coeur de l'enfant Jusqu'à la raison suprême.

Merci Jean-Charles !

 

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)