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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du jeudi 30 décembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du jeudi 30 décembre 1920

 

 

L'adhésion est décidée par 3 252​ mandats

Motion Cachin-Frossard : 3 208 mandats

Amendement Heine : 44 mandats

Motion Longuet-Paul Faure : 1 022 mandats

Motion Pressemane : 60 mandats

Il y a 397 abstentions, parmi lesquelles sont comptées les voix des partisans de la motion Blum-Paoli, retirée par ses auteurs

 

La violence n'est, souvent, que le signe sensible des convictions sincères et fortes. Si donc les journaux bourgeois se plaisent à publier ce matin que de « violents incidents » ont marqué les séances du Congrès au cours de la journée d'hier, nous n'avons nullement à nous en étonner. Ce n'est pas dans la sérénité des académies et des aréopages que se décident les destinées du prolétariat révolutionnaire : c'est dans La fièvre et le tumulte de l'action.

Par 3 252 mandats sur 4 763 à une majorité qui dépasse les deux tiers, le Congrès de Tours a décidé l'adhésion du Parti socialiste à l'Internationale communiste. Notre émotion est grande en écrivant ces lignes. Enfin, enfin, enfin, le socialisme français rompt publiquement, solennellement avec les traditions périmées de la IIe Internationale, avec les routines humiliées, autant qu'humiliantes du socialisme purement électoral, purement parlementaire, qui, sous la pression des circonstances historiques, avaient fini par réduire le marxisme révolutionnaire, dont elles prétendaient s'inspirer, au rôle d'un roi qui règne et ne gouverne pas.

La IIe Internationale était morte depuis longtemps ; morte depuis le 4 août 1914 - quatre jours après Jaurès... Mais elle était, hélas ! de ces morts qu'il faut qu'on tue. Le Congrès de Tours l'a tuée, irrémédiablement si l'on peut dire. Découvrons-nous devant sa dépouille qui passe. Et pensons aux devoirs immenses qu'en adhérant à l'Internationale communiste nous venons d'assumer devant la révolution qui vient. - Am. D.

 

Séance du m​atin

[Par téléphone de nos envoyés spéciaux]

Tours, 29 décembre. - La séance est ouverte à 9h30. Ferdinand Faure (Loire), préside, assisté de Louis Le Troquer (Eure) et Glanternick (Seine-et-Oise).

 

Jean Longuet

Longuet reprend son discours interrompu la veille. Il n'est pas contre l'adhésion à la Iroisième, mais à condition qu'on y entre avec l'intention d'en faire, vraiment l'organisation du socialisme international « un vaste temple et non une petite chapelle ».

La majorité a voté l'adhésion avec « l'enthousiasme de l'ignorance », ignorance non pas des textes, mais des résultais pratiques des thèses et des conditions. Lorsque l'expérience sera faite comme elle l'a été en d'autres pays, sans doute les militants déchanteront-ils comme nos camarades de Suisse et d'Italie.

Longuet revendique, pour lui et Paul Faure, l'honneur d'être allés à la Conférence de Berne qui lui est apparue bien plus homogène dans les éléments qui la constituaient que la IIIe Internationale où il y a de nombreuses fractions peu ou pas socialistes. L'Internationale est aujourd'hui éparpillée : une partie est à Moscou, une à Berne, une même à Bruxelles. Un jour peut-être la maison commune sera reconstruite, qui les abritera toutes.

Longuet évoque les heures difficiles des débuts de l'Unité et il ne veut pas les revivre.

Comme le disait à ce moment-là Vaillant je veux l'unité avec rage. Je ne peux pas faire mon deuil de l'unité. Mais il faut qu'on le veuille de ce côté et de celui-ci. J'ai entendu les délégués de province affirmer leur désir unitaire. Je leur demande s'ils se souviendront de leurs déclarations. Ils ont fait appel à moi pour rester dans le Parti s'adressant ainsi évidemment à tous ceux qui ont mené avec moi la même lutte pendant la guerre. Mais il faut aussi que restent dans le Parti des hommes dont la conscience et l'intelligence sont nécessaires au socialisme, tels Bracke, Sembat et Blum. (Applaudissements).

Si la scission, sort malheureusement de Congrès, si i'édifice édifié par vingt ans d'efforts s'écroule, il y aura demain quatre ou cinq partis en France, l'expérience des autres pays le démontre, la droite glissera sans doute vers le réformisme et la gauche vers l'impossibilité anarchiste. En dépit des promesses de courtoisie échangées entre Blum et Frossard, nul ne doute que ce sera la lutte fratricide, la lutte au couteau dont seul le prolétariat sera victime :

Blum nous a dit qu'il voulait garder la maison pendant que le Parti courrait les aventures. Le meilleur moyen de garder la maison, c'est d'y rester, et de ne pas faire ici un parti communiste qui ne sera plus le parti de Jaurès, là un parti de droite qui ne sera pas non plus le parti de Jaurès.

Longuet ne peut admettre le télégramme de l'Exécutif de Moscou parvenu hier au congrès et qu'il considère comme « un outrage et une provocation ».

Le Parti qui a derrière lui, depuis Gracchus Babeuf, toute sa lignée; de martyrs n'a pas besoin d'aller à Moscou la corde au cou et des cendres sur la tête. Il peut et il doit y aller la tête haute avec fierté et en toute liberté.

Longuet est longuement applaudi par ses amis lorsqu'il descend de la tribune.

 

-

Vaillant-Couturier

Vaillant-Couturier rend d'abord hommage à la clarté et à la netteté de la motion de Blum et de Bracke. Celle-ci exprime d'ailleurs la pensée d'une bonne partie du groupe parlementaire.

La motion Longuet est moins claire.

Elle s'appelle motion d'adhésion avec réserves. Et on ne savait ce qui l'emporterait du désir d'adhérer ou des réserves à l'adhésion.

L'orateur montre que quel que soit l'issue du débat, c'est le sort du Parti qui est en jeu :

La scission va permettre à la droite, de faire la politique d'entente républicaine... Voyez ! Blum approuve.

Blum - Mais non ! Vaillant-Couturier, je souris !

L'orateur rappelle que le groupe parlementaire compte de nombreux partisans du bloc républicain. On lui crie qu'il y en a aussi parmi les communistes. Il répond, très applaudi, que ce sont là de très rares exceptions, condamnées par l'ensemble de la majorité.

Vaillant-Couturier examine si l'on peut prétendre se rendre à Moscou en passant par Vienne. Il lit des passages du manifeste de Berne qui marquent un dédain certain de la violence prolétarienne.

Il critique ensuite l'esprit de conciliation, le goût du juste milieu. Il montre que la bourgeoisie cultive soigneusement ce travers chez les enfants qu'elle élève.

Les polémiques récentes de l'Humanité ont témoigné de l'impuissance d'une politique imprégnée de cet esprit. (Applaudissements).

Vaillant-Couturier évoque la révolution mondiale. Il affirme la volonté des communistes de sauver de l'oppression les populations indigènes.

L'orateur défend ensuite les partisans de la IIIe Internationale du reproche de fanatisme :

On s'étonne que nous parlions de l'esprit petit-bourgeois de nos adversaires. Cet esprit, il est fait de votre scepticisme, de votre défaitisme. (Applaudissements).

Pourquoi essayez-vous de nous décourager ?

Sembat, vous prophétisiez quels risques nous allons courir dans notre action ? C'est parce que nous voyons ces risques que nous voulons avoir un parti fortement concentré, c'est pour cela que nous voulons extirper cet esprit petit-bourgeois qui, au jour du combat, transforme les chefs en Ponce-Pilate. (Applaudissements).

Vaillant-Couturier montre que les masses pourraient éventuellement entreprendre une action prématurée, mais que le fait d'avoir à sa tête des chefs en lesquels elle aient pleine confiance est capable de les retenir.

Puis l'orateur s'explique sur la défense nationale :

Notre conception a été définie exactement par Cachin et Frossard.

Au début de la guerre on constata que la culture du ferment de la revanche avait porté ses fruits.

L'esprit des enfants avait été préparé à répondre à une agression. Mais, en 1914, c'est la Russie qui commit l'agression et non l'Allemagne. (Applaudissements).

Et il continue ainsi :

Nous sommes à la veille d'une guerre.

Blum a dit qu'un pays devait se défendre lorsqu'il était attaqué. Il est bien difficile de discerner dans l'enchevêtrement des causes qui est le responsable. Cependant vraiment je ne comprends pas que Blum et ses amis refusent de voter les crédits de guerre ?

Blum répond :

Je parle en mon nom personnel. S'il y avait une majorité socialiste au Parlement et une armée conçue suivant les idées socialistes, une armée de milices, je voterais les crédits.

Vaillant-Couturier. - Vous supposez le pouvoir politique conquis ?

Blum. - Je vais plus loin. Si l'appoint des socialistes était nécessaire pour constituer une majorité votant les milices, je consentirais cet appoint.

Vaillant-Couturier conclut très applaudi sur ce point, que ce qui est évident c'est que « lorsque le pouvoir politique est conquis, le devoir socialiste certain est de défendre la nation ».

L'orateur montre que la conquête du pouvoir politique n'est que le commencement de la révolution.

La révolution ne sera pas seulement un travail de destruction, mais de construction.

Il va falloir vous atteler à l'élude des problèmes du lendemain de la révolution.

Mais comment voulez-vous que dans l'état actuel du Parti où il n'y a pas une réunion de section sans dispute nous puissions faire celle étude ?

Longuet crie alors : « À qui la faute ? » et Vaillant-Couturier lui répond :

Les voies où nous marchons, c'est vous qui les avez tracées. Vous avez été autrefois pour l'adhésion à la IIIe Internationale.

Longuet. - Il y a un fait qui a bouleversé les consciences inquiètes, c'est l'abominable télégramme de Zinoviev.

Vaillant-Couturier. - Peut-être ce télégramme a-t-il troublé quelques délégués de province. Mais votre discours, croyez-vous qu'il n'a pas eu un effet semblable ?

Et Vaillant-Couturier annonce à ce sujet que Daniel Renoult et lui déposent une motion qui est une tentative de conciliation. Et il lit cette motion :

Le Congrès enregistre la déclaration du camarade Zinoviev comme condamnation de la politique de la droite d'une part, et de la politique dite centriste de l'autre.

Il déclare que la motion d'adhésion signée par le Comité français de la IIIe Internationale - approuvée par le Comité Exécutif de la IIIe Internationale - légifère pour l'avenir, n'impose aucune exclusion pour le passé et précise de la manière la plus nette que les exclusions prévues à l'article 7 et à l'article 20 des conditions de Moscou, ne pourront s'appliquer à aucun membre du Parti s'inclinant devant la décision du présent Congrès et conformant son action à la discipline commune. - Vaillant-Couturier. D. Renoult.

Vaillant-Couturier ajoute :

Puisque souvent l'on ne saisit pas le sens exact de notre motion nous devions apporter ces précisions.

Nous savons qu'ici la scission se prépare. Nous savons aussi que nous voulons rompre avec la politique de droite et avec la politique centriste.

Mais nous voulons manifester notre volonté de voir disparaître le système de démoralisation qui entrave le Parti.

Nous voulons que nos camarades choisissent entre leur désir d'adhésion et leurs réserves.

Clara Zetkin est venue ici sans passeport. Elle a montré ce que l'on peut faire avec la foi révolutionnaire.

Elle nous a dit : « Assez de manoeuvres ! Il ne s'agit que de l'esprit. » (Applaudissements.)

Eh bien, il y a ici des hommes qui ne peuvent plus rester dans le même Parti. Cela n'empêchera pas les collaborations éventuelles. Je pense que lorsque certains événements viendront, j'espère que, contrairement à l'expérience de l'histoire, Bluum, Sembat et Boncour seront avec nous.

Cependant, je sais que demain la bourgeoisie vous couvrira de fleurs. Espérons que vous n'irez pas à elle. Souhaitons que quelques-uns d'entre vous nous reviennent.

Demain, nous verrons grossir nos rangs, car trop d'hommes ont été dégoûtés… (Applaudissements.)

Demain, on comprendra que ce que nous faisons aujourd'hui était bien. On comprendra qu'il y a ici des hommes de sang-froid et de cœur. Demain, nous saurons que ce qu'il faut pour l'action, c'est une raison froide et un coeur assuré. (Applaudissements redoublés.)

Le Congrès décide sans opposition, l'impression du discours de Vaillant-Couturier.

 

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Une motion Mistral

Mistral dépose alors la motion suivante :

Le Congrès, en présence du télégramme du Comité Exécutif de la IIIe Internationale, déclare se refuser à procéder aux exclusions demandées par ce télégramme et proclame sa volonté de maintenir l'unité actuelle du Parti.

Cette motion est, dit-il, la dernière limite où nous puissions nous tenir. Et sans doute faut-il voir dans le texte apporté par Vaillant-Couturier une contre-proposition à notre intention connue.

Quelle est donc la situation du ce Parti ? Quel est le militant qui n'accepte pas dans leur ensemble les discours de Cachin et de Frossard et que pensera la masse ouvrière de voir se diviser demain un Parti dont les orateurs parlent le même langage, comme hier en ce meeting où tour à tour prenaient la parole Cachin, Sembat et moi-même ?

Les mêmes mois semblent ne plus signifier la même chose pour les uns et pour les autres, faisons un effort de compréhension.

Lé Parti n'est plus le Parti d'avant-guerre. L'augmentation des effectifs a produit ce résultat : trois adhérents nouveaux pour un ancien.

Demain les difficultés ne seront pas terminées. Elles ne feront que commencer. Nous allons à Moscou, mais dans quelle pensée ?

Il y a deux pensées : celle de Frossard que nous acceptons tous et celle apportée par le télégramme de Zinoviev. C'est cette équivoque qui doit disparaître. Il faut qu'on sache si, après les déclarations grâce auxquelles ont été acquis les mandats, c'est la politique différente qui sera appliquée.

Mistral, dont l'émotion gagne le Congrès, s'adresse à Renoult :

Nous sommes tout près de vous, vous le savez. Nous avons le désir d'aller à la IIIe Internationale, mais nous ne pouvons le faire que si nous savons nettement dans quel esprit nous le faisons. Vous avez dit que le passé n'existait plus. Alors pourquoi cette nouvelle condamnation de notre passé, de votre politique, Renoult, de votre politique, Frossard ?

Nous vous prévenons, et ceci n'est pas une menace, que si vous écartez de quelque manière que ce soit notre motion, vous aurez prononcé notre exclusion, (Applaudissements.)

Les forces socialistes, si elles se brisent, c'est la force ouvrière qui disparaît.

Couper une armée en deux, cela ne fait pas deux armées.

Nous attendons la réponse du Congrès, dit en terminant Mistral. Il faut qu'elle soit précise et nette. (Applaudissements.)

Raoul Verfeuil intervint après Mistral, en ces termes :

Les débats qui se sont déroulés m'ont laissé cette impression que les camarades de la reconstruction sont d'accord avec la droite.

Je tiens à déclarer, comme je le fis il y a trois mois, qu'il ne peut rien y, avoir de commun entre nous et la droite.

Demain comme hier, nous restons partisans de l'adhésion à la IIIe Internationale. Et si d'aucuns sont venus, de divers côtés, avec l'idée de briser le Parti, nous sommes venus avec la volonté de réaliser la plus grande unité possible sur l'adhésion à la IIIe Internationâle.

Mais je veux dire à Renoult et à Frossard qu'on aurait pu éviter d'envoyer ce télégramme odieux à ceux qui ont été, en des heures plus difficiles que celles-ci, à la pointe du combat internationaliste.

Si vous voulez reconnaître qu'on a eu tort de nous traiter ainsi, si vous voulez reconnaître qu'il y a identité entre les propositions Mistral et Renoult, - nous pourrons faire l'accord et sinon sauver toute l'unité, du moins sauver l'unité révolutionnaire. (Applaudissement).

Mauranges voit au contraire une énorme différence dans la pensée et dans le texte, entre la motion Mistral et la motion Renoult-Vaillant-Couturier. Ce qu'il veut, lui c'est l'unité « actuelle », celle qui est basée sur le pacte de 1905. Il demande aux reconstructeurs de rester fidèles à l'engagement qu'ils ont pris de se solidariser avec tous les exclus...

Verfeuil. - Mais on ne les exclut pas, ils s'en vont !

Mauranges. - Ce sont les thèses de Moscou qui les excluent. Il faut choisir entre Moscou et le pacte de 1905. (Applaudissements et protestations).

André Le Troquer (Seine) a été l'inspirateur de la motion proposée au congrès :

Nous ne pouvons pas, quel que soit notre désir de rester dans le Parti, accepter la flétrissure du télégramme de Zinoviev qui dit que nous avons été et restons les agents de la bourgeoisie.

On écoute avec attention. Mais Le Troquer, en faisant allusion à des influences occultes qui, selon lui, s'exercent sur la Congrès, soulève un vacarme indescriptible. Sur une intervention de Renoult, que Le Troquer avait mis en cause, l'effervescence se calme et Le Troquer termine en adjurant Vaillant-Couturier, avec qui il a mené, pendant la guerre, ainsi qu'avec Raymond Lefebvre, la bataille clandestine contre la guerre. Il adjure Cachin et surtout Frossard de faire un suprême effort pour sauver l'Unité :

Le moyen c'est de nous garantir au lendemain de ce Congrès que nous pourrons poursuivre dans la dignité notre action socialiste.

Paul Faure donne les explications suivantes :

Hier soir, j'ai serré la main à Frossard, et je lui ai dit : « Aujourd'hui j'ai été deux fois exclu. La première par Zinoviev, et par ion discours ensuite. »

Car je n'accepta pas d'user du délai de trois mois qu'on nous offre. Il n'y a pas à attendre de moi que je change.

Il faut donc nous dire si tels que nous sommes, tels que vous nous connaissez depuis vingt ans, sans rien changer de notre pensée, nous pouvons rester dans le Parti français.

Et là, je me sépare de toi Verfeuil. Ce n'est pas la question que je pose. C'est celle posée par Mistral. 11 s'agit de l'unité totale. Répondez carrément, en honnêtes gens !

Il n'y a pas place pour deux partis socialistes. (Applaudissements).

Si vous dites que nous pouvons rester et participer à l'action, vous sauvez l'unité. Si vous refusez, c'est vous qui faites la scission.

Antonio Coën indique que ce qui est en cause ce n'est pas seulement l'unité nationale, c'est l'unité internationale.

Et celle-ci doit céder le pas à celle-là !

L'unité internationale peut se l'aire seulement à Moscot.

Je vous supplie de subordonner les intérêts nationaux à l'intérêt supérieur du socialisme international. (Applaudissements).

La séance est levée à 13 heures au milieu d'une vive agitation.

(Voir la suite en 2e page)

 

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Tours

Les séances de l'après-mid​i et de la soirée

Suite

Jules Blanc (de la Drôme) préside la séance de l'après-midi, avec comme assesseurs Lucie Colliard (Calvados) et Lapierre (Bouches-du-Rhône).

 

Raffin-Dugens

Raffin-Dugens prend immédiatement la parole.

Il rappelle son attitude au début de la guerre. Il a voté les crédits de guerre en août 1014 ; les statuts du Parti ne l'interdisaient pas, mais tout de suite, ainsi que le commandaient les décisions du Parti, il a travaillé à ramener la paix.

Mes amis me conseillaient de disparaître, ne fût-ce qu'un temps, on me prévenait même que je risquais d'être assassiné par les fous d'alors. J'ai répondu qu'alors que tant d'hommes risquaient leur vie dans les tranchées, je resterais moi-même à mon poste de combat.

La Fédération de l'Isère donnait à Strasbourg le quart de ses voix à la IIIe Internationale ; elle donnera à Tours les trois quarts, mais l'unanimité des mandats s'est affirmée pour l'unité dans l'action.

Un journal réactionnaire de l'Isère a dit qu'il ne saurait y avoir brouille sérieuse entre le « renard » Mistral et le « sanglier » Raffin-Dugens. Je suis de cet avis. Nous pouvons et devons rester ensemble dans les batailles communes. Il n'y a plus qu'une tendance dans le Parti, c'est la tendance a l'action et au contrôle des élus.

Les masses veulent que leurs élus ne leur échappent plus comme par le passé ; elles se souviennent trop de l'attitude du groupe parlementaire si lent à apporter son concours à la Révolution russe, que certains élus socialistes combattirent même au début. Je l'ai défendue, moi, depuis le début.

Les révolutionnaires russes, n'en ajoute pas moins Raffin-Dugens, ont eu peut-être tort de ne pas s'adresser en d'autres termes aux sections nationales, donnant ainsi l'impression qu'ils veulent les diviser.

- Et le message de Zinoviev ? crie un délégué.

- Je m'expliquerai nettement. Je déclare hautement que je ne crois pas que le Parti français puisse obéir aveuglément à des ordres venus du dehors. Pourtant, je m'explique l'attitude de nos camarades russes et les fouets qu'ils ont jugés indispensables.

Une interruption de Philbois amène Raffin-Dugens à proclamer qu'il considère toujours comme des amis loyaux ceux qui ne voient pas avec les mêmes lorgnons que lui.

- Et la motion Mistral, interroge Mautranges, qu'en pense-tu ?

- Je pense, répond Raffin-Rugens, qu'il lui faut un complément, car ce n'est pas l'unité actuelle que je veux, mais l'unité pour l'action. Je crois que le télégramme de Zinoviev est un coup de fouet que beaucoup ont mérité.

Goude. - Longuet l'a-t-il mérité ?

Raffin-Dugens. -- J'ai défendu dans l'Isère, Longuet, qui fut victime des insultes et des menaces réactionnaires pendant la guerre. Je lui demande aujourd'hui de mettre sous les pieds les attaques dont il a pu eue victime de droite ou de gauche et de rester avec nous. À tous ceux du centre et même à ceux de la droite, je demande, s'ils le peuvent, de faire un dernier effort pour ne pas nous diviser.

En conclusion, Raffin-Dugens demande que tout le Congres, par un acte de foi, vote à l'unanimité l'adhésion à la IIIe Internationale.

 

Va-t-on voter ?

Quelques délégués voudraient qu'on votât sur la motion Mistral, mais on apprend que des camarades de la reconstruction et de l'extrême-gauche se sont réunis pour essayer de rédiger un texte commun.

Mauranges proteste contre cette nouvelle. Pour lui, la motion Mistral, acceptée par l'unanimité de la Reconstruction, doit être intangible.

Mistral demande, puisqu'on fait un effort pour trouver un accord, d'attendre.

Manier déclare que ses amis, tout en acceptant d'attendre les résultats de la réunion qui se tient, en ce moment, veulent rester unis jusqu'au bout dans la pensée qu'ils ont exprimée.

Frossard intervient à ce moment :

Je me suis tenu, depuis ce matin, à l'écart des conversations. On suscite des difficultés qui me paraissent indignes du Congrès.

L'orateur rappelle que la discussion générale se poursuivait lorsque des motions ont été déposées et ce dépôt a interrompu le débat. Il eût été plus convenable de nommer une Commission des résolutions chargée de recueillir les propositions et de les rapporter.

Je m'oppose à un vote qui se produirait à un moment où tous les efforts pour l'accord que je désire n'ont pu se produire.

Maurin dit que la proposition Mistral a été suscitée par le télégramme Zinoviev, document nouveau introduit dans le débat. Il insiste pour que le Congrès vote de suite et conteste à tout autre que Paul Faure ou Mistral le droit de parler au nom de la Reconstruction.

Leroy insiste pour le vote immédiat.

Goude souligne que le télégramme Zinoviev conduit à chasser les centristes du Parti, adhérents à la IIIe Internationale.

La réunion des reconstructeurs de la veille, a été provoquée par des délégués de province soucieux de l'unité ; on s'accorda à présenter le texte lu par Mistral et que rédigea Verfeuil. Goude et ses amis ne peuvent faire plus de concessions. Il pense qu'il est encore, possible de faire l'unité sur la proposition Mistral. 

À ce moment, Longuet et Daniel Renoult entrent dans la salle. Les conversations particulières se multiplient.

Sur la proposition de Renoult, la séance est suspendue une demi-heure. Il est 16 heures 30.

La séance est reportée à 20h20.

Les camarades qui délibèrent en privé sur la motion Renoult et la motion Mistral ne sont pas encore de retour. Le Congrès en les attendant, adopte la résolution suivante :

Le Congrès socialiste, après avoir pris connaissance des accusations tendancieuses portées, dans les deux dernières séances de la Chambre contre les socialistes d'Algérie et en particulier contre notre ami André Julien, délégué permanent à la propagande pour l'Afrique du Nord, par les députés [Thomson] et [Morinaud], proteste contre les attaques des parlementaires algériens ;

Salue les progrès rapides du socialisme dans l'Afrique du Nord et déclare se solidariser entièrement avec le citoyen André Julien qui lutte là-bas pour la cause socialiste, dans des conditions particulièrement difficiles.

Puis la séance est à nouveau suspendue.

 

Séance ​de nuit

À 21 heures, enfin, la séance est reprise. L'agitation est à son comble, et immédiatement les incidents les plus violents se succèdent. Frossard informe le Congrès qu'il est d'accord avec Longuet pour demander qu'on se prononce immédiatement sur les motions d'adhésion.

- Non ! Non ! crie-t-on à la droite qui veut poursuivre la discussion sur la motion Mistral.

Mistral demande la parole. Un délégué du Finistère, Legoïc, qui dit avoir déposé un amendement, insiste pour le défendre.

- Il n'es! pas mandate, proteste un autre délégué de la même fédération.

Legoïc s'obstine : la tribune est envahie. Des colloques mouvementés s'engagent à travers la salle. Puis le silence se rétablit peu à peu, et Mistral demande à ses amis d'accepter la proposition qui leur est faite.

Je suis certain, ajoute-t-il, qu'il n'est pas dans l'esprit de la majorité de vouloir empêcher le vote sur la motion que nous avons déposée en réponse au télégramme de Zinoviev, et au sujet de laquelle nous avons déclaré que si le Congrès la repoussait ou refusait de la discuter, nous considérerions que cela équivaudrait à notre expulsion.

Renoult. - Il est entendu que lorsque nous aurons voté sur les motions d'adhésion, nous ne nous en irons pas sans avoir voté sur les motions relatives à la dépêche de Zinoviev.

Frossard indique que les membres de la droite sont disposés à accepter de voter de suite sur les motions, et demande que Léon Blum soit autorisé à préciser en quelques mots la position de ses amis.

Le Congrès accepte la suggestion de Frossard.

L'assemblée consultée, décide, à la majorité, de ne pas entendre Legoïc. Puis Léon Blum prend la parole.

Il précise qu'il est entendu que l'on statuera ce soir même sur les motions Renoult et Mistral.

Puis il dit :

La motion Blum-Paoli. est retirée. Nous la considérons comme déjà rejetée : nous ne- prendrons pas part au vote sur les motions , nous ne prendrons part à aucun des votes qui suivront.

Blum est applaudi par ses amis.

 

-

 

Le vote a lie​u

Le vote commence, il est 21 heures 45.

Le vote a lieu dans un silence impressionnant. Les mandats pour la motion Blum-Paoli sont annoncés comme abstentions. La plupart des Fédérations se prononcent à une forte majorité pour la motion de la IIIe Internationale.

À 22 heures 10, l'appel est terminé. Les conversations particulières reprennent dans une atmosphère plus apaisée, pendant que les délégués permanents font le pointage des mandats.

À 22 heures iS, le président Jules Blanc agite la sonnette pour rétablir le silence et il proclame les résultats suivants :

Motion d'adhésion à la IIIe Internationale : 3 208 mandais

Amendement Heine : 44 -

Motion Longuet-Paul Faure (adhésion avec réserves) : 1 022 -

Motion Pressemane : 69 -

Abstentions : 397

Absences : 32 -

 

À peine Jules Blanc a-t-il terminé que la majorité se lève et à pleine voix entonne l'Internationale, Daniel Renoult mène le chant, avec la citoyenne Sadoul. Lorsque la majorité se rasseoit, la minorité se lève et chante l'Internationale à son tour. La majorité alors se relève et écoute debout, mais silencieusement le chant de la minorité. Celle-ci pousse ensuite le cri de : « Vive Jaurès ! » La majorité le répète. Puis Daniel Renoult jette : « Vive Jaurès, soit, mais vive Lénine aussi ! »

Tous les communistes reprennent le cri : « Vive Lénine ! Vivent les Soviets ! »

L'enthousiasme est indicible. Lorsque l'assemblée est un peu calmée, Leroy déclare que les 44 mandats Heine reviennent à la motion Cachin-Frossard.

C'est par 3 252 mandats, sur 4.783 que le Parti socialiste adhère à la IIIe Internationale. LA MAJORITÉ EST DONC DE PLUS DES DEUX TIERS.

Manier prend ensuite la parole. Il regrette que Frossard n'ait pas protesté contre le télégramme Zinoviev qui, d'après lui, a aggravé la situation. Sans ce télégramme, Manier n'aurait pas demandé au Congrès de voter la motion de la reconstruction.

Daniel Renoult répond :

Nous rappelons que nous avons dit dans notre motion et dans notre déclaration que l'adhésion à la IIIe Internationale ne comporte aucune exclusion. Si nous ne pouvons pas adopter la motion qui nous est proposée, c'est parce que, au moment où le Parti vient d'adhérer à la IIIe Internationale dans un bel élan d'enthousiasme, nous ne pouvons pas accepter de prendre une attitude odieuse et ridicule en entrant en conflit avec l'Exécutif de Moscou.

Le télégramme de l'Exécutif de Moscou n'implique aucune exclusion dans le Parti.

Daniel Renoult ajoute qu'il a rédigé, avec Vaillant-Couturier et Ker, dans un grand effort de conciliation où ils ont fait toutes les concessions, un texte.

- Nos camarades de la reconstruction, qui en ont discuté les termes avec nous, ont convenu qu'ils pouvaient les accepter, mais que leurs amis, dans l'émotion où les avait mis le télégramme de l'Exécutif ne s'en contenteraient pas.

Renoult lit alors le texte suivant :

Le Congrès ayant pris connaissance des déclarations du camarade Zinoviev et de la critique qu'il dirige dans des termes ardents de polémique doctrinale contre la politique de la droite et celle de la fraction dite du centre, rappelle que l'indispensable discipline vis-à-vis de l'Internationale communiste n'exclut pas pour celle-ci, ainsi qu'il est dit a l'article 16 des conditions adoptées par le dernier Congrès de Moscou, d'avoir à tenir compte des conditions de lutte si variées et de n'imposer de résolution générale et obligatoire que dans les conditions où cela est possible.

Il déclare que la motion d'adhésion signée par le Comité français de la IIIe Internationale, approuvée par le Conseil Exécutif de la IIIe Internationale, légifère pour l'avenir, n'impose aucune exclusion pour le passé et précise de la manière la plus nette que les exclusions prévues à l'article 7 et à l'article 20 des conditions de Moscou ne pourront s'appliquer à aucun membre du Parti, acceptant dans son principe la décision du présent Congrès et conformant son action publique à la discipline commune.

Et Renoult ajoute : Non, mon cher Longuet…

Longuet. - Non, non, si je suis un agent de la bourgeoisie, je ne puis vous être cher.

Renoult. - Vous savez bien que ce n'est pas dans cet esprit qu'il faut lire le télégramme et que cela veut dire seulement que parfois, l'hésitation de votre pouli a pu servir l'ennemi bourgeois.

Puis Renoult rappelle à Longuet l'accueil amical fait à Longuet par Zinoviev, à Halle.

Frossard parle après Renoult.

Moi, je veux parler net. Lorsque j'ai eu l'honneur de me rendre à Moscou, je n'ai pris qu'un seul engagement, celui d'amener mon parti à adhérer à la IIIe Internationale. Cela est fait.

Aujourd'hui, je peux rappeler qu'au cours des débats du 2e Congrès, l'âpreté des polémiques avait amolli ma volonté d'amener le Parti à l'Internationale communiste. Vous savez que nous avons quitté le Congrès lorsqu'on insista pour l'exclusion des camarades qui ont mené avec nous de grandes luttes. Depuis mon retour, je n'ai jamais cessé d'affirmer les mêmes sentiments.

Voici qu'aujourd'hui l'adhésion étant enregistrée, nos camarades de la Reconstruction disent qu'ils ne peuvent plus rester dans le Parti.

Hier, j'aurais voulu parler du télégramme de Zinoviev.

Je ne suis, pas d'accord avec Zinoviev. Pour moi, vous n'êtes pas des serviteurs de l'influence bourgeoise. Pourquoi ne le dirais-je pas ? En adhérant à la IIIe Internationale, nous n'avons renoncé à aucune liberté de critique des thèses et des hommes. Nous avons pour les hommes de la Révolution russe une admiration sans limite, mais cette admiration ne saurait nous forcer à souscrire à tous les jugements qu'ils portent sur les hommes et les choses.

Si Longuet avait été à Moscou, bien des équivoques auraient été dissipées. Nous pouvons bien dire que Zinoviev se trompe. Si je ne disais pas ces choses, ne sentez-vous pas que je renierais tout mon passé de militant ?

Il est 23h30. La séance continue.

 

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Clara Zetkin, ém​otion d'un Congrès

par Georges Pioch

… Un arrêt brusque dans la dialectique de Frossard, qui tient de son ardente, sincère et souple intelligence la grâce de savoir que parler socialisme, c'est, d'abord, parler humanité…

« J'apprends, dit Boyet, qui préside, que notre camarade. Clara Zetkin est arrivée »…

Elle paraît, derrière Rappoport, qui la conduit.

Alors, c'est le jaillissement de tous ceux qui sont présents. Les mains battent, sonores. Les cœurs, aussi, battent : et si la Révolution ne devait avoir que cette minute de pureté fervente, où elle se dédia toute à une femme juvénilement vieille, et très simple, qui venait à nous, il me resterait l'honneur de l'avoir vu vivre et de l'avoir vécue.

Toutes les mains !… Tous les cœurs !… Et cet orage affectueux des esprits communiant, pendant cette minute, de la même vénération, de la même espérance, et qui imprimait le mouvement des vagues aux hommes les plus timorés comme aux plus résolus…

Ainsi étaient-ils comme projetés vers un exemple où leur unité s'accomplissait malgré eux : l'exemple d'une femme seule et frêle, toujours meurtrie et toujours renaissante, incomparablement agrandie par le plus beau rêve qu'aient en eux attisé les civilisés ; celui de leur avènement à la toute conscience, de leur bonheur et de leur liberté. L'exemple d'une femme qui est une idée en marche, mais qui est, aussi, le Sentiment religieux que cette Idée suscite chez les hommes et l'Action qu'elle accomplit pour leur délivrance.

Insuffisant, certes, par ses paroles et sa musique, à l'idéal qu'il proclame, mais tout sublime des souvenirs malheureux qui lui sont attachés, le chant de l'Internationale éclate.

Clara Zetkin, qui est parvenue sur l'estrade, et qui, très émue, s'y roidit, pareille dirait-on, à sa propre statue, reçoit, avec une humilité qui n'est point feinte, l'ovation des mains, des cœurs, des esprits et du chant. |

Un observateur désintéressé vous dira qu'elle ne paye pas de mine. Voici : un visage de brave femme qui, depuis longtemps, a méprisé de plaire, et que M. Paul Bourget, pour qui la femme, en ce monde, ne commence (sic) qu'à cent mille francs de rente, dédaignerait à l'instar de celui d'une femme de ménage ; des cheveux blancs, et si rigoureusement tirés en arrière qu'ils semblent collés au crâne ; le plus simple des corsages sur le moins prétentieux des corps… Rien de cette Amazone nécessaire aux littératures, et dont il ne serait pas impossible de trouver quelques spécimens amusants dans ce Congrès de Tours.

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Mais le regard se révèle, net, lucide, aigu, et venu de très loin : un regard qui avoue tout l'être qui s'en éclaire et, aussi, l'infini que cet être a reçu des pensées qui l'exaltent…

Mais la voix monte, aiguë elle aussi toute livrée, - et dont un professeur de chant dirait qu'elle est « imprudente » car Clara Zetkin, qui ne mesure point sa peine, « parlé toujours sur le timbre ».

Elle parle, - un geste bref, énergique, absolu, ponctuant sa parole. Elle parle : elle impose, s'impose, domine. Mais ce moment de gynocratie ne fait pas un jaloux.

Nous ne saurons qu'après son départ le romanesque de sa survenue parmi nous : la frontière franchie sans passeport, la police dépistée ; la promptitude de son apparition et de sa disparition.

« C'est du théâtre », me dit un boudeur. Mais vous allez convenir, amis socialistes : Boncour, Blum, Bracke, etc., qui vous mêlez souvent au théâtre, que vous y avez toujours applaudi, et combien sincères ! pour beaucoup moins !…

Dans le moment où elle s'érige, comme une flamme droite où la Révolution est toute allumée, nous savons seulement ceci : que Clara Zetkin, que l'on n'attendait pas, est venue.

Son prestige vit autour d'elle comme une auréole irradiée autant de nos souvenirs que d'elle-même.

Elle décrète, ordonne, condamne : et personne ne sourit de l'accent bien allemand par lequel, elle met dams l'Internationale communiste le français qu'elle parle, avec, d'ailleurs, une correction grammaticale qu'il est charitable de souhaiter à des orateurs plus français qu'elle, et, même, aux académiciens de l'Atelier.

On sent bien que c'est moins là un discours qu'un don… un don qui ne cesse pas de s'accroître : don absolu de l'être, don absolu de la raison ; toute une vie éblouie dans le sacrifice, et que la persécution, la prison et la gloire ont été également impuissantes à décourager, à réduire ; tout un exemple de socialisme, dont l'adversité fut la mère, et dont la fortune, qui, pourtant, abaisse les mieux doués, ne pourrait pas être la marâtre…

Toute la certitude de la Révolution, de la délivrance populaire, d'une civilisation sauvée de la guerre, d'une justice affranchie de nos lois, d'un travail rédimé de la servitude : cette certitude qui n'est encore, pour nous, que le rêve, elle éclate, ici, dans une femme de soixante-trois ans, qui aura vécu pleinement toutes les saisons du socialisme, et qui bat par son cœur incorruptible le rythme même de l'avenir.

Dans une lettre lue le matin, Clara Zetkin s'étonnait, avec ironie, que les « glorieux vainqueurs de l'Entente » prissent peur à l'idée qu'une « vieille femme comme elle » pourrait venir en France. C'est qu'elle peut se méconnaître. Mais les « glorieux vainqueurs » lui doivent justice. Or, ils savent bien que, partout où elle est venue, c'est l'Avenir même qui a forcé la porte.

Elle a parlé. Elle disparaît, rapide, sous le chant de l'Internationale qui la fête et la couvre. La flamme droite s'éclipse… Mais pour aller briller ailleurs, inextinguible… et jusqu'à l'instant où elle se consacrera par le souvenir comme, jusqu'au bout, elle s'est donnée par la vie…

Dehors, c'est la nuit. L'imagination me représente, tout près d'ici, le fleuve de Loire dont la nymphe s'étire agréablement à la vénusté de coteaux où, quand vit l'été, les vignes se gonflent, non moins nourries d'esprit que de soleil. C'est la plus précieuse des nymphes de France, puisqu'elle unit, indolente, l'opulence tourangelle à la « douceur angevine ». Il peut suffire que, dans leur première nouveauté, Rabelais et Descartes se soient plus à la voir vivre, pour qu'elle soit à jamais, une tutrice adorable de l'esprit humain… N'est-ce pas, Paul-Boncour, amical, et tourangeau ?…

Mais ne saluerez-vous pas avec moi, cher adversaire et ami, la destinée, - sagement inspirée peut-être, - qui fit, avant-hier soir, paraître puis s'affirmer Clara Zetkin l'Internationaliste, et, par elle, ce monde supérieur aux patries, qu'elle proclame dans l'opulente vallée de la Loire : berceau de l'Humanisme français.

Georges Pioch.

 

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À la barbe de la police

M. Vallet, député royaliste de l'Ardèche, vient [d'informer] M. Steeg qu'il lui poserait prochainement une question sur la présence de Clara Zetkin au Congrès de Tours.

Car ces messieurs n'en sont pas encore revenus…

 
 

 

 

- compte-rendu de la 5e journée (qui continuera la nuit) du Congrès de Tours [Si donc les journaux bourgeois se plaisent à publier ce matin que de « violents incidents » ont marqué les séances du Congrès au cours de la journée d'hier, nous n'avons nullement à nous en étonner.]

- « l’adhésion est décidée par 3 252 mandats » ; « séance du matin : Jean Longuet (suite) - Vaillant-Couturier - Une motion Mistral » ; « les séances de l’après-midi et de la soirée : Raffin-Dugens - Va-t-on voter ? » ; « séance de nuit : le vote a lieu »

- « Clara Zetkin, émotion d’un Congrès », par Georges Pioch

- « à la barbe de la police »

 

le 26 December 2020

 
 

Il y a cent ans : L'Humanité au jour le jour

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)