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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du mercredi 29 décembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du mercredi 29 décembre 1920

 

 

À la barbe de la police, Clara Zetkin arrive à Tours

Frossard définit la politique de la majorité

Le Congrès entend les discours de Lebas et de Longuet

Quelques croquis de H.-P. Gassier. - De gauche à droite. - En haut : Léon Blum, Rappoport, Marcel Sembat. - En bas : Leroy,Marcel Cachin, Antonio Coën.

 

La déléguée de Moscou parle au prolétariat franç​ais

[Par téléphone]

Ce fut, hier, au Congrès de Tours, un moment d'émotion intense lorsque notre vaillante camarade Clara Zetkin apparut inopinément à la tribune, aux côtés du président Boyet. Pour les militants déjà anciens dans le parti socialiste international, la grande et pure figure de Clara Zetkin est l'une des plus familières et des plus amies.

Je ne sais pas de combien d'années de prison, de souffrances et de privations notre amie a déjà payé son apostolat presque à demi séculaire. Mais les congressistes français ont pu constater au cours de sa brève apparition qu'en dépit de toute une vie de lutte incessante, elle a gardé intacts sa jeunesse de coeur, son courage, sa passion, la vigueur de son esprit lucide.

On trouvera plus loin le résumé de son intervention.

Veuillez ne pas oublier que cette femme, à l'énergie indomptable, fut durant de longues années la compagne et l'amie fidèle de Rosa Luxembourg, comme elle vibrante et passionnée jusqu'à la mort pour la cause de la Révolution.

Ajoutez qu'au moment de 1914, elle éleva outre-Rhin sa voix isolée et sans peur contre la violation de la Belgique et du Nord de la France. Même au péril de sa vie, en toute occasion, elle fut la militante révolutionnaire sans reproche, un exemplaire d'humanité supérieure.

Le Parti peut marquer sa fierté de compter en ses rangs d'aussi nobles consciences !

Bien des yeux se remplirent de larmes lorsque Clara lança au prolétariat son vibrant appel en vue de la bataille qui se prépare internationalement. Et quelle leçon d'humilité pour les hommes réunis là, en notre salle, étroite, que d'entendre cette femme aux cheveux blancs, en des paroles où perçait le souffle de son âme ardente, nous rappeler à tous notre devoir clair.

Marcel Cachin.

 

Le discours de Clara Zetkin

Avant de donner le compte rendu des débats du Congrès nous tenons à reproduire le discours que Clara Zetkin prononça hier au nom de l'Internationale communiste. Notre camarade commença en ces termes, dès que l'ovation enthousiaste qui l'accueillit se fut calmée :

Votre salut, je considère qu'il ne s'adresse pas à moi, mais à l'Internationale communiste.

J'ai voulu venir à vous, quoiqu'on m'ait refusé un passeport, afin de vous inviter, par l'exemple d'une vieille militante, à mépriser les barrières que l'État bourgeois met en travers de notre chemin.

Puis Clara Zetkin dit dans quel esprit on doit adhérer à l'Internationale communiste.

Les yeux des communistes de tout l'univers sont fixés sur votre Congrès. Vous devez vous diviser pour arriver à l'union.

Faire l'union avec les réformistes, les centristes et les social-patriotes, impossible. D'ailleurs, votre unité est une maison en ruines, c'est une prison où la droite tient enchaînée la gauche. Il faut constituer un Parti centralisé adhérant franchement à la IIIe Internationale. Il faut adhérer non seulement à la tactique de l'Internationale communiste, mais à ses conceptions organisatrices.

Quelque chagrin qu'on puisse avoir de quitter de vieux compagnons de lutte, il faut se séparer des fractions de droite ; ceux qui veulent agir de concert avec la démocratie bourgeoise ne peuvent rester avec ceux qui regardent la démocratie comme une des formes de la domination de classe.

Si vous voulez aller à la IIIe Internationale, vous ne pouvez pas rester avec ceux qui sont allés à Berne et qui essayent de retourner vers la IIe Internationale. Séparez-vous de ceux qui mènent une politique de compromission et d'opportunisme.

Notre camarade insiste ensuite sur le caractère de violence que prend aujourd'hui la lutte de classes.

Vous n'arriverez à la renaissance économique qu'en détruisant le capitalisme, en expropriant les expropriateurs. Pour cela, un seul moyen, la lutte révolutionnaire, car jamais une classe n'a cédé volontairement son pouvoir.

Ce sont les guerriers sans-culotte qui ont donné le pouvoir à la bourgeoisie ; les prolétaires doivent faire comme leurs aînés.

Vous ne vaincrez la bourgeoisie qu'en mettant force contre force, violence contre violence. Vous ne conquerrez le pouvoir politique que par la lutte révolutionnaire.

Clara Zetkin indique alors qu'une tâche qui s'impose au prolétariat français et allemand, c'est la révision du traité de Versailles.

La tâche des socialistes français n'est pas seulement de faire la révolution en France, mais d'aider au développement de la révolution allemande. Le capitalisme allemand n'attend son salut que d'un accord avec le capitalisme français.

Chers amis, ce n'est pas la bourgeoisie allemande, c'est le peuple ouvrier qui porte le poids de ce traité de fer et de sang qu'est le traité de Versailles. Ce traité ne sera pas révisé par les bourgeois. Seule l'alliance des prolétaires français et allemands pourra le détruire.

Je sais quelles ruines ont été accumulées en Belgique et dans le nord de la France, par les armées du kaiser, et certes les ouvriers allemands ne refusent pas de reconstituer ces malheureuses régions, mais avec quelle joie, ils l'accompliraient, cette tâche, s'ils savaient qu'aucun profit n'est prélevé par les bourgeois sur leur travail, s'ils donnaient leurs forces pour le peuple communiste de France.

D'ailleurs, chers amis, si je combats les crimes de la domination allemande en Belgique et en France, je suis stupéfaite qu'on se soit tu dans toutes les langues lorsque les hordes polonaises, avec le concours de la France, ont détruit la cathédrale de Kiew, souvenir historique aussi précieux que l'était la cathédrale de Reims.

Enfin, notre camarade défend la Russie révolutionnaire du reproche d'impérialisme et glorifie la révolution mondiale.

On dit que la Russie révolutionnaire fait la guerre. Non, elle fait la paix. C'est la contre-révolution qui la pousse à la guerre, qui l'affame, qui fait l'impossible pour la détruire. Les armées soi-disant russes de Koltchak, de Denikine, se sont conduites comme les armées allemandes qui combattaient en France.

Nous devons mener la lutte non seulement jusqu'à ce que la Russie soit délivrée, mais jusqu'à l'affranchissement de tous les exploités du monde.

En Russie, la foi dans la révolution mondiale est devenue une religion. Par tous les moyens légaux et illégaux, vous devez collaborer à cette révolution.

« Vive la Révolution en Russie ! Vive la Révolution prolétarienne ! »

 

La séance du matin

[Par téléphone de nos envoyés spéciaux]

Tours, 28 décembre. - La séance du matin est ouverte, à 9h30, sous la présidence de Sembat assisté de Henry et Mailly.

 

Lebas

Lebas a la parole. Au début de son exposé, ii dit que ce qui est en cause c'est l'unité du Parti. On oppose le réformisme au socialisme ; et, en effet, entre eux, il y a un abîme. Le réformisme est la doctrine qui croit que par une série d'améliorations on réalise le socialisme ; et elle conduit à la collaboration de classes :

Oui, dit Lebas, nous sommes contre le réformisme, - mais nous sommes bien loin d'être contre les réformes.

Tous, au Parlement, nous réclamons des réformes. Qui donc parmi les communistes oserait se désintéresser de l'amélioration de la loi sur les accidents du travail et du maintien de la loi de huit heures ? (Applaudissements).

Les réformes sont précieuses parce qu'en améliorant le sort de l'ouvrier, elles lui permettent de s'instruire et le rendent plus apte à abattre le capitalisme :

Les travailleurs en participant à l'administration municipale ou départementale se prouvent à eux-mêmes qu'ils sont capables d'autre chose que de produire des profits.

Cela leur montre qu'ils seraient capables l'administrer la société tout entière. Il n'y a rien qui constitue une propagande plus révolutionnaIre. (Applaudissements).

Lebas se demande ensuite si lorsqu'il s'agit d'exploiter les richesses nationales le Parti ne doit pas proposer des solutions ? Et il répond :

Sous peine d'apparaître comme un Parti, d'impuissants, et de paresseux intellectuels, nous ne pouvons prendre une attitude uniquement négative. (Applaudissements).

Lebas rappelle, à ce propos, tel article du Programme du P. O. F., - puis les théories d'Otto Bauer, qui propose la gestion par les producteurs, les consommateurs et l'Etat. Il montre que ces théories furent acceptées par Kautsky, par les socialistes anglais, et par notre C. G. T. :

Demain, lorsque les députés socialistes auront à choisir entre un projet de concession des mines de potasse, du pétrole et la nationalisation industrialisée, ils ne pourront pas se désintéresser de la question et s'en remettre à la révolution sociale de résoudre toutes choses.

Lebas est bien d'accord que le prolétariat ne sera libéré que le jour où il sera maître du pouvoir.

Mais la difficulté ce n'est pas tant de conquérir le pouvoir, c'est de le conserver.

Et demain si nous avons la charge d'organiser la production, il faudra le faire nous-mêmes, - avec le concours des techniciens.

Une voix. - Ils existent. !

Lebas. - Oui, nous devons exploiter nos richesses nationales nous-mêmes et éviter d'être réduits à cet acte d'impuissance : demander pour les exploités le concours des capitalistes étrangers. (Applaudissements. - Protestations).

Que signifierait d'avoir détruit le capitalisme à l'intérieur de notre pays, si c'était pour rouvrir la frontière au capitalisme cosmopolite.

Lebas dit alors que le socialisme qu'il vient de définir et que les thèses qualifient de réformiste est exclu par les conditions.

Il est vrai qu'on ne parle que de l'exclusion des centristes dans la septième condition. Mais dans une lettre de Zinoviev aux Suisses, il est nettement dit que l'exclusion des droites est aussi nécessaire.

De plus, il résulte d'une correspondance de Caussy que l'Internationale communiste exige l'exclusion des faux révolutionnaires, tels Lafont.

Si vous avez des sentiments communistes sincères vous devez souscrire à l'exclusion de la droite, du centre et de Lafont.

Eh bien ! je vous déclare que si vous touchez à Blum, à Bracke ce vulgaire réformiste de qui demain vous piétinerez la motion (Applaudissements. - Protestations), - à Renaudel. (Applaudissements. - Protestations)...

La majorité interrompt avec violence.

Plusieurs camarades prolongeant l'énumération de Lebas crient : « à Albert Thomas. » Quand le tumulte est apaisé, Lebas reprend :

Vous devez réclamer les exclusions que j'ai dites. Je vous déclare que mes amis et moi nous nous solidariserons avec les exclus. 

Vous serez responsables de cela ! Et ce n'est pas votre plus lourde responsabilité.

La motion Cachin-Frossard vous impose de travailler à la destruction de la seule Internationale ouvrière existant dans le monde : l'Internationale syndicale.

Non seulement je refuse de m'associer à cette besogne, mais chaque fois que vous attaquerez l'Internationale syndicale je me dresserai contre vous. (Applaudissements. Protestations.)

Je détendrai l'unité syndicale nationale et internationale mise en péril par vous parce qu'en aucun cas je ne voudrais me faire le serviteur du patronat français. (Tumulte.)

Lebas évoque alors les scissions en voie de se faire ou déjà faites à l'instigation de Moscou : en Italie, en Suisse, en Allemagne.

En France, nous avions l'habitude de considérer avec attention la vie du socialisme allemand.

Cette grande force révolutionnaire est aujourd'hui détruite et impuissante.

Et Lebas commente l'exemple des élections en Saxe en juin, puis en novembre 1920. Dans cet intervalle, les majoritaires maintiennent leurs positions. Les indépendants avaient eu, avant la scission, 589 594 voix. En novembre, les indépendants de droite obtiennent 280 218 voix, alors que ceux de gauche n'en avaient que 58 030. De plus, il y eut 300 000 abstentions en novembre.

Donc les masses sont ou dégoûtées, ou avec les indépendants de droite que l'on représentait comme un état-major sans troupes. (Applaudissements. Protestations.)

Lebas reconnaît d'ailleurs que la situation actuelle est révolutionnaire. Mais les scissions peuvent-elles aider à faire la révolution ?

Vous croyez aller à la révolution. Vous lui tournez le dos !

Puis Lebas conclut :

Ne croyez pas que je sois monté à la tribune avec le désespoir dans le cœur. Je vois la division partout, mais je ferai tout pour l'éviter chez nous.

Cependant, si nous devons nous séparer, pour notre part nous continuerons à éduquer le prolétariat.

Lebas félicite Paul Faure et Longuet de leur action à Berne. Quant à lui il ira Vienne.

Mais le voyage ne s'arrête pas là. Nous irons à Moscou. Nous irons non pour dire amen à tout ce que l'on a voulu nous imposer. Nous irons en hommes libres pour discuter d'égal à égal. (Applaudissements. Protestations.)

Nous dirons à Moscou : « Il est impossible que vous mainteniez vos conditions qui divisent le prolétariat occidental et atteignent par cela même la Révolution russe. "

Et si Moscou reste inébranlable, nous continuerons notre propagande. Au cri de « Prolétaires de tous les pays, divisez-vous » nous répondrons par le vieux cri de « prolétaires de tous les pays, unissez vous ! » - (Applaudissements.)

-

Une lettre de Loriot et Souvarine

La parole est ensuite donnée à Antonio Coën pour donner lecture de la lettre suivante écoutée dans le plus grand silence et souvent coupée par des applaudissements :

Camarades,

Désignés par le pouvoir bourgeois pour expier les progrès de l'idée communiste en France, nous n'avons pu, depuis huit mois, servir ouvertement la cause que nous avons embrassée. La dictature de la bourgeoisie nous a interdit de remplir au Congrès de l'Internationale communiste le mandat que nous tenions de la confiance du Comité de la IIIe Internationale, et de poursuivre notre propagande pour le communisme dans le pays de la déclaration des Droits de l'Homme.

Nous ne regrettons rien, sinon de n'avoir pu directement participer à la lutte historique qui se dénouera au Congrès de Tours, et dont nous ne pouvions percevoir que les échos assourdis.

Mais quelque regret que nous en ayons ressenti, nous n'éprouvons plus aujourd'hui que la joie d'applaudir à l'élan révolutionnaire de notre Parti, de saluer la victoire communiste dont nous aurions voulu être de plus méritoires artisans.

La bourgeoisie croyait avoir dompté la révolte ouvrière en brisant les grèves du dernier mois de mai. Elle croyait intimider les éléments actifs du prolétariat en emprisonnant quelques-uns de leurs militants. Elle s'aperçoit trop tard que, bien loin d'imposer une régression au mouvement d'émancipation intégrale des prolétaires, elle n'a fait que l'accélérer. Bien loin d'enrayer la propagation de l'esprit révolutionnaire dans les masses exploitées, elle l'a précipitée. Plus cruelle est sa répression, plus recrudescente est l'idée communiste.

Le gouvernement bourgeois peut persécuter de nouvelles organisations ouvrières ou politiques, il peut emprisonner d'autres militants, il n'étouffera pas la grande revendication de plus en plus impérieuse des travailleurs. Sa brutalité incohérente ne manifeste qu'impuissance et que terreur devant la marche du prolétariat au pouvoir. Le procès qu'il ose intenter aux défenseurs d'un ordre nouveau sera le procès du désordre capitaliste. Les accusés ne se défendront qu'en prononçant un impitoyable réquisitoire contre les crimes et les criminels de la classé possédante : ils feront du banc des accusés une tribune retentissante, d'où l'appel au peuple portera plus loin.

La France ignore encore quels agissements scélérats de ses gouvernants ont contribué à provoquer l'inoubliable massacre impérialiste, l'assassinat de vingt millions d'hommes pour le bénéfice de quelques milliers de profiteurs. La France ne sait pas assez quels forfaits ont été perpétrés par ses dirigeants en Russie, par haine de la République des soviets. La France est encore sourde aux cris de douleur qui emplissent l'atmosphère de l'Europe, où sévit le militarisme tricolore vainqueur. Mais la bourgeoisie nous offre une occasion splendide de publier la vérité sur ses atrocités : nous saurons la saisir et l'utiliser.

Non seulement, le gouvernent a stimulé l'action, révolutionnaire par ses brimades et ses répressions mais encore il a mis en lumière l'incapacité du régime capitaliste de remédier aux souffrances qui accablent la multitude des exploités. Devant le chaos économique issu d'un système de production caduc, d'un mode d'appropriation condamné, devant la misère croissante des producteurs de la richesse d'une opulente minorité voleuse, devant les revendications des travailleurs réclamant la satisfaction de leurs plus indispensables besoins, le gouvernement ne sait, que menacer et réprimer. La menace ni l'oppression ne restaurent l'économie délabrée, ne suppriment la misère grandissante, n'imposent silence aux revendications chaque jour renforcées.

Il n'est pas possible de contester l'incurable malfaisance d'un régime qui ne subsiste que dans une mer de sang et au prix du martyre de l'humanité. La vérité communiste est en marche et rien ne pourra l'arrêter.

Le soulèvement universel des esclaves salariés contre leurs maîtres pour la conquête du pouvoir politique, l'exercice dictatorial de la puissance prolétarienne pour la destruction du parasitisme social, pour la confiscation et le retour à la collectivité des biens créés par tous et usurpés par quelques-uns, pour l'abrogation du droit de propriété privée, pour l'abolition des privilèges de l'oligarchie bourgeoise, pour l'obligation du travail, enfin l'instauration d'une société communiste, il n'est pas d'autres moyens de libérer les hommes du fardeau des contraintes oui écrase leur vie. L'Internationale communiste appelle la fraction la plus consciente du prolétariat mondial à se concerter, à s'organiser, à entrer en lutte pour entraîner par son exemple, les masses encore inertes dont l'action ébranlera la domination capitaliste jusqu'à la renverser. Le Parti sociale français, en répondant à l'appel de Moscou, apporte une contribution décisive à l'effort salutaire de l'avant-garde prolétarienne internationale.

Au grand jour se fomente le gigantesque complot intercontinental contre la sûreté du capitalisme meurtrier. Le Parti socialiste français y fait entrer plus de cent mille conjurés. Le Bloc national ne saurait bâtir assez de prisons pour les tous enfermer.

En conclusion, le Congrès est saisi d'une motion qui demande l'envoi du télégramme suivant :

M. Leygues président du Conseil, Paris

Congrès socialiste réclame énergiquement libération militants sociailistes et ouvriers arbitrairement détenus depuis huit mois sous odieux prétexte complot contre sûreté État. Près de deux cent mille adhérents coupables du même crime revendiquent leur place prison de la Santé si vous refusez mesure de justice réclamée par opinion populaire.

Pour le Congrès et par ordre :

Le Président.

Sembat prend acte que l'unanimité du Congrès se solidarise avec cette résolution et que le prolétariat socialiste proteste tout entier contre l'infamie judiciaire du complot. C'est à l'unanimité que le Congrès adoptera la motion qui lui est présentée.

Adopté sans discussion.

(Voir la suite en 2e page.)

 

--

 

Tours

Un message de l'Internationale communiste

Suite

 

C'est ensuite Le Troquer (Seine) qui donne connaissance au Congrès de ce télégramme parvenu au Parti :

Riga, 24 décembre. - Chers camarades, c'est avec un intérêt extrême que le Comité exécutif de l'Internationale communiste suivra les travaux dé votre Congrès, qui occupera sans aucun doute une place importante dans l'histoire du mouvement ouvrier français.

Nous avons lu un projet de résolution portant les signatures des camarades Loriot, Monatte, Souvarine, Cachin, Frossard et autres.

Sauf quelques points (la question de la [domination] du Parti) nous pouvons nous solidariser avec cette résolution.

Nous avons lu ensuite un projet de résolution signé par Longuet, Paul Faure et autres. Cette résolution est pénétrée d'un esprit de réformisme et de diplomatie mesquine et chicanière.

Les thèses approuvées par le 2e Congrès de l'Internationale communiste admettent certaines exceptions en faveur de réformistes qui se soumettront maintenant aux décisions de l'Internationale communiste et renonceront à leur opportunisme d'autrefois.

Le projet de résolution signé de Longuet et Paul Faure montre que Longuet et son groupe n'ont aucune envie de faire exception dans le camp des réformistes. Ils ont été et restent des agents déterminés de l'influence bourgeoise sur le prolétariat. Ce qui est le plus remarquable dans leur résolution, c'est moins ce qu'ils disent que ce qu'ils taisent. De la révolution mondiale, de la dictature du prolétariat, du système soviétiste, - Longuet et ses ami préfèrent ou bien ne rien dire du tout, ou bien dire les plus banales ambiguïtés.

L'Internationale communiste ne peut rien avoir de commun avec les auteurs de pareilles résolutions. Le plus mauvais service qu'on puisse rendre dans les circonstances actuelles au prolétariat français est d'imaginer je ne sais quel compromis embrouillé qui sera ensuite un véritable boulet pour votre Parti.

Nous sommes profondément convaincus, chers camarades, que la majorité des ouvriers conscients de France n'admettra pas un compromis aussi ruineux avec les réformistes et qu'elle créera enfin à Tours le vrai Parti communiste un et puissant, libéré des éléments réformistes et semi-réformistes. C'est en ce sens que nous saluons votre Conqrès et que nous lui souhaitons le succès. Vive le Parti communiste de France ! Vive le prolétariat français !

Le Comité exécutif de l'Internationale communiste : Zinoviev, Lenine, Trotsky,. Boukharine (Russie) ; Resmer (France) ; Janson (Hollande) ; : Chabline (Bulgarie) Sultan Zade (Perse) ; Comwitch (Amérique) ; Quelch (Angleterre) ; Milkitch (Yougoslavie) ; Manner (Finlande) ; ; Stoutchka (Lettonie) ; Chichakaïa (Géorgie) ; Roudianski Varga (Hongrie) ; Steinhardt (Autriche). - [Rosra].

 

Plusieurs délégués. - Il manque la signature de Serrati.

Frossard ! Frossard ! crient, plusieurs voix.

Frossard au milieu d'un silence impressionnant déclare :

Nous sommes arrivés à l'heure grave où chacun doit dire nettement ce qu'il pense. Je demande donc à parler au début de la séance de cet après-midi.

Mayéras. - Dans une réunion du Comité de reconstruction où nous, nous nous efforcions de rechercher quelle serait la position des reconstructeurs vis-à-vis de l'Internationile Communiste, il nous a été déclaré par Le Troquer que des documents étaient parvenus à l'Humanité qui ne laissaient pas de doute sur les intentions de la IIIe Internationale notamment en ce qui concerne la conférence de Vienne. Je demande quels sont ces documents qui n'ont jamais été rendus publics.

Renaudel. - Je demande aussi si la lettre de Sadoul à laquelle on a fait allusion n'est en la possession de personne...

Frossard - Je ne l'ai pas reçue.

-

Un discours… « avant la lettre »

ou

une lettre avant le discours…

Antonio Coën donne lecture dune lettre de Clara Zetkin que le gouvernement fançais croyait empêcher dé participer au Congrès. On sait déjà que notre camarade en dépit des barrages et des surveillances de la haute police, put apporter verbalement dans l'après-midi aux congressistes le salut de l'Internationale Communiste, et l'on a lu en 1° page le texte de son discours que confirma - à tout hasard - la lettre lue par Coën.

Après lecture de Coën, Mayéras, puis Renaudel réclament à nouveau la production de la lettre supposée de Sadoul.

Le Troquer dit qu'il n'a pas parlé de cette lettre, mais de « documents sur la Russie parvenus à l'Humanité ». D'ailleurs il n'a pas vu ces documents. Frossard ni Renoult ne les ont pas vus davantage.

Enfin Sembat, qui préside, souligne qu'on va dans cette discussion du supposé au douteux et il lève la séance.

 

-

Séance de l'après-midi

La séance, levée à midi, dans l'émotion qu'a provoquée la lecture de ces divers documents, reprend à 2h30, sous la présidence de Boyet (Seine), avec comme assesseurs Cadot (Pas-de-Calais) et Terrien (Finistère).

Lorsqu'on a procédé à l'audition des Fédérations, le Jura était absent. Ponard qui représente cette fédération, demande à faire une brève déclaration.

Cette Fédération a donné 27 mandats à la motion Louguet-Paul Faure, 9 à la motion Cachin-Frossard, 1 à la motion Blum. Mais, précise Ponard, la Fédération du Jura ne donne jamais à ses délégués de mandat impératif ; ce qu'elle souhaite, c'est l'adhésion unanime pour une entente des deux grandes fractions du Parti.

Ponard donne, quelques détails intéressants sur la, Fédération du Jura qui a réalisé l'union des trois forces ouvrières : syndicalisme, socialisme et coopération. Les coopératives, dans le Jura, s'imposent de ne donner aucun bénéfice à leurs membres ; ces bénéfices sont exclusivement consacrés à la propagande.

Ponard explique ensuite dans quel esprit la Fédération du Jura s'est prononcée. Il a l'impression que Cachin et Frossard ne sont pas entièrement maîtres de leurs mouvements et il s'oppose par avance à l'idée qu'un Comité permanent existe dont les membres ne seraient pas connus, et des ordres donnés, qu'on ne pourrait pas discuter.

La Révolution ne s'institue pas, termine-t-il, il faut la saisir.

Ponard affirme qu'en aucun cas, ni lui ni sa fédération n'abandonneront la lutte pour l'idée socialiste. À Strasbourg, déjà, la Fédération du Jura demandait qu'on se préoccupât d'organiser sérieusement la préparation révolutionnaire.

 

L'intervention de Frossard

Le Congrès marque un grand mouvement d'attention lorsque Frossard se lève et prend la parole, ainsi qu'il l'a annoncé dans la séance du matin.

J'ai l'impression, commence-t-il, qu'aujourd'hui, l'irréparable va s'accomplir. La crise commencée pendant la guerre atteint son paroxysme et dans quelques heures, sans doute, les séparations s'accompliront.

Le plus difficile, a dit quelqu'un, ce n'est pas dans ces moments-là, de faire son devoir, mais de le connaître.

En mettant sa signature au bas de sa motion, Frossard ne prétend pas que celle-ci exprime sa pensée complète. Mais une motion ne peut donner la pensée exacte de chacun ; elle ne peut qu'indiquer l'essentiel du la pensée de ceux qui se sont groupés autour.

Il est troublé et angoissé à la pensée que demain, se dresseront, l'injure aux lèvres et les poings tendus, des hommes qui, hier, en des heures difficiles menèrent le même combat.

Il va examiner les objections présentées par Sembat dont les craintes ne peuvent faire que le jeu de la bourgeoisie, et celles de Blum qui déclare qu'il y a rupture avec toute la tradition socialiste :

Est-ce que Sembat ne pense pas qu'en nous présentant ainsi, devant l'adversaire bourgeois comme des hommes d'aventure, il risque de tenter davantage l'adversaire à se servir de la légalité et de la répression dont il dispose ? Et ne pense-t-il pas que la vie est là qui va nous entraîner dans son tourbillon ? (Applaudissements).

Nous avons abandonné la tradition socialiste ?

Non, nous la continuons en nous inspirant sans cesse des intérêts du socialisme international, et n'est-ce pas Jaurès qui a proclamé que la fidélité à la tradition, c'est de marcher vers l'avenir comme c'est en se dirigeant vers la mer que le fleuve est fidèle à sa source. (Applaudissements).

Le problème de l'Internationale est posé devant le Parti. La IIe Internationale est morte, non de n'avoir pu empêcher la guerre, mais d'avoir manqué pendant la guerre à sa mission. (Applaudissements).

À Strasbourg, nous avons rompu avec cette deuxième Internationale devenue une Internationale de ministres de roi et de collaboration de classes. Cette séparation était, pour quelques-uns d'entre nous, la première étape, sur la route de la IIIe Internationale. D'autres voulaient plus exclusivement travailler à la reconstruction de l'Internationale unique pour établir l'unité internationale. J'étais de ces derniers. Mais nous nous sommes heurtés à des désaccords au sein de la reconstruction, d'abord, aux difficultés extérieures ensuite.

Échec dans les négociations en Italie et en Allemagne. Voilà ce qui a amené Frossard, lorsqu'il partit pour la Russie, â ne plus concevoir d'unité internationale possible en dehors de l'adhésion a la IIIe Internationale.

Que doit être l'Internationale ?

Un groupement de fait et d'action, a écrit Jules Guesde.

Il n'y a pas d'internationale possible si les différences de conditions locales peuvent amener à l'emploi de tactiques tellement différentes qu'elles s'opposent à l'unité d'action indispensable. C'est cette opposition qui affaiblissait la seconde Internationale, où les décisions de majorité étaient d'avance inefficaces :

L'Internationale nouvelle ne doit pas ressembler à la seconde si elle ne veut pas finir comme la seconde. Elle nous demande de mettre la main sur le pouvoir d'État pour réaliser le socialisme.

Il n'y a là rien de nouveau et tous les socialistes ont été d'accord, jusqu'à présent, là- dessus. Mais aujourd'hui, on s'élève contre l'emploi de la force.

La vérité, pour dire ma pensée, c'est que la situation est révolutionnaire, mais que les hommes ne sont pas révolutionnaires. (Applaudissements.)

Lorsque l'heure révolutionnaire a sonné, qu'il y a en quelque, sorte déshérence des gouvernements bourgeois, lorsque la maturité révolutionnaire sera atteinte, il faudra être prêt à l'action.

Dans les difficultés où se débat la révolution russe, je ne m'étonne pas que nos camarades n'attendent leur salut que de la révolution mondiale. (Applaudissements.)

Il ne s'agit pas de décréter l'heure de la révolution, mais de préparer les esprits, d'exalter les cœurs pour que l'heure ne passe pas sans que nous l'accomplissions. (Applaudissements prolongés.)

 

La dictature du prolétariat

La dictature prolétarienne n'est qu'une mesure provisoire et non un statut définitif.

Ce qui nous sépare des anarchistes avec qui nous ne pouvons avoir rien de commun (applaudissements et bruit), c'est que les anarchistes croient que l'État disparaîtra au lendemain de la transformation par la volonté des individus, tandis que nous pensons que l'État socialiste sera demain comme l'État bourgeois l'organisation de violence de la classe ouvrière contre la classe dépossédée et qui veut résister. (Applaudissements.) Seulement, ce sera au bénéfice de la majorité des producteurs et non plus à celui d'une minorité de privilégiés.

 

Le parlementarisme

Nous voulons établir le régime des soviets.

Mais est-il un seul socialiste, même parmi les plus modérés qui pense que le régime parlementaire est une forme parfaite qui ne doit plus évoluer ?

Mais cela veut-il dire que le suffrage universel soit condamné ? C'est Lénine lui-même qui en recommande l'emploi. On doit participer aux élections, à toutes les élections.

Mais j'ai aussi des reproches à faire à quelques-uns de mes amis. On ne doit pas, par exemple, voter dans la même séance l'adhésion à la IIIe Internationale et le bloc de gauche. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Il est possible, au second tour, que certaines attitudes soient nécessaires ; Lénine lui-même a proclamé que s'il était en Angleterre, il voterait pour Henderson contre Lloyd George. Mais on n'a pas le droit de déshonorer le Parti par des coalitions électorales.

Une interruption qui part de la droite, à l'adresse de Ferdinand Faure amène ce dernier à fournir quelques explications sur ce qui s'est passé aux dernières élections municipales à Saint-Etienne.

Frossard indique alors quelle doit être la nature de l'action parlementaire socialiste.

Certes, les députés auront à être strictement disciplinés ; ils devront faire une propagande active dans le pays, car nous voulons construire un Parti nombreux de partisans. Puis les députés socialistes devront apporter à la Chambre des protestations qu'on a parfois négligées.

Bracke. - On y aussi pensé.

Frossard. - D'accord.

L'orateur est d'avis que le Parti, en vue du recrutement, ne doit pas négliger l'action réformatrice, et il prend comme exemple la discussion actuelle sur les projets de loi militaire.

Sur cette question, comme sur toutes autres, je demande que l'on oppose l'affirmation socialiste. (Applaudissements. )

Frossard prend un autre exemple ;

Voici qu'une corporation ouvrière présente un cahier de revendications.

On l'a fait pour les nationalisations :

Frossard. - il y a peut-être une différence entre les revendications d'une corporation et les projets du C.E.T. Je ne suis pas partisan des nationalisations, parce que je crains que dans la propagande que l'on fera pour ce projet, on absorbe, en vue d'un objet illusoire, les énergies populaires. (Applaudissements.)

Poisson. - C'est la même chose pour l'armement du peuple.

Frossard. - Oui mais si je propose cet armement, ce n est pas pour l'obtenir, mais dans un but d'agitation. (Applaudissements.) Il y a de plus, cette différence entre les deux questions que l'armement du peuple est une thèse socialiste, alors que la nationalisation avec indemnité n'en est pas une.

Une voix. - On eut donc tort de faire les grèves de mai ?

Frossard. - Non, je ne suis pas de ceux qui jettent la pierre à la classe ouvrière, car je pense que même des batailles non victorieuses atteignent le capitalisme. (Applaudissements).

Frossard résume sa pensée sur le parlementarisme :

1° Affirmation intégrale de la pensée socialiste ;

2° Action, toutes les actions pour améliorer la condition ouvrière et gêner le capitalisme.

Paul-Boncour intervient et rappelle qu'il a déposé son projet de réorganisation militaire d'accord avec d'autres députés socialistes. Il ne s'agissait pas de faire une affirmation socialiste. Le gouvernement demandait l'incorporation de la classe 20 sans apporter de précision sur le temps où devrait rester celle-ci sous les drapeaux. Boncour proposa un amendement indiquant la durée du service et son projet n'était qu'une précision ajoutée â cet amendement.

Frossard marque ce qui le sépare de Boncour. Celui-ci a engagé tout le Parti sur une proposition qui n'était pas d'esprit socialiste.

L'orateur, pour montrer que le Parti ne peut se désintéresser de l'action parlementaire, prend l'exemple de l'amnistie :

Qui pourrait songer à s'en désintéresser ?

Frot. - Vous le devez. Moscou nous interdit toutes préoccupations en vue de l'amélioration des rapports de la classe ouvrière.

Et Frot lit un passage des thèses communistes à l'appui de ses affirmations.

Frossard en lit une autre duquel il suit que le parti doit déposer sur un sujet comme l'amnistie un projet réclamant l'amnistie totale.

Ernest Lafont observe que le groupe parlementaire a toujours agi ainsi en vue de l'amnistie.

 

Les conditions

Les conditions dont s'inquiète Paul Faure, comment faut-il les comprendre ?

C'est Zinoviev, qui, au Congrès de Halle, a déclaré qu'il s'agissait bien moins de les appliquer dans leur esprit et dans leur lettre que de faire du Parti un grand Parti d'action et de préparation révolutionnaires.

Nous avons fait trois réserves sur les 21 conditions : la première sur les rapports avec le syndicalisme. Il serait souhaitable que notre Parti, soit dans la situation du Parti italien où la C. G. T. met ses forces à la disposition du Parti socialiste. Mais il faut tenir compte de la tradition et de l'histoire de notre pays où le millerandisme a écarté du Parti le mouvement ouvrier.

La subordination du mouvement ouvrier au Parti est, dans notre pays, un® impossibilité matérielle et une impossibilité morale. Ce qui importe, c'est que notre, esprit pénètre la C. G. T. et que le militant socialiste y remplisse son devoir socialiste et révolutionnaire. Ce qui importe, c'est que nous arrivions à redonner au mouvement ouvrier son allure révolutionnaire d'avant-guerre. Ce qui me donné du réconfort, c'est que la majorité d'Orléans se désagrège tous les jours et n'est pas bien loin de disparaître. (Applaudissements.)

Plusieurs voix partent de droite : « Vous voulez diviser le mouvement ouvrier après le mouvement socialiste. C'est une déclaration de guerre. »

Frossard réplique :

Je me tairais si à Orléans le secrétaire confédéral n'avait battu le rappel des anarchistes contre ce qu'il appelait l'ingérence des politiciens. Je me tairai[s] si le bureau confédéral ne continuait pas de pratiquer la politique que nous avons combattue pendant la guerre.

Les masses confédérales se réveillent, et je salue comme un heureux présage, la présence parmi nous, dans un Congrès socialiste, d un secrétaire de l'Union dès Syndicats de la Seine. (Applaudissements.)

 

L'action illégale et clandestine

L'action illégale et clandestine ?

Nous l'avons pratiquée pendant la guerre, dans des conditions qui peuvent se renouveler et qui nous commanderaient alors la même attitude.

Les comités occultes ?

Qui donc a pu croire que dans ce pays, on admettrait des comités occultes ?

- La dictature dans le Parti ? Ah ! je plaindrais les dictateurs contre qui se lèverait bientôt la révolte de tous les adhérents !

 

Le droit des minorités

Oui, la minorité a raison de vouloir autre chose que le droit de cotiser et de se taire :

Si j'étais dans cette situation humiliée et humiliante, je ne pourrais pas l'accepter.

Les majorités ne sont-elles pas du reste, précaires et mouvantes ? Mais ce que nous voulons, c'est à tous les degrés de la hiérarchie la plus forte discipline, les leçons de ces quatre années nous imposent cette préoccupation.

Depuis la guerre deux ou trois partis se sont constitués sous le manteau de l'unité, chacun avec sa discipline particulière et son action propre. Nous voulons à la tête du Parti un pouvoir fort, un Comité directeur avec une autorité suffisante et non pas un Comité dictatorial qui siégerait d'un bout de l'année à l'autre sans en appeler au Parti. Celui-ci se prononcera tous les trois mois dans ses Conseils nationaux.

Et la représentation proportionnelle ? interrompt un délégué :

- La minorité aura la certitude de faire entendre sa voix dans nos assemblées délibératives dans la proportion même où elle aura recruté des adhérents à ses idées. Il faut que la liberté de discussion soit absolue dans ces Congrès, mais cette proportionnelle, appliquée et nécessaire dans le pouvoir législatif, ne peut l'être dans le pouvoir d'exécution, c'est-a-dire dans le Comité directeur.

La représentation proportionnelle doit être rigoureusement maintenue dans les assemblées (fédérales comme dans les assemblées nationales, de même que dans les Commissions exécutives des fédérations et des sections.

Le statut du Parti reste en vigueur jusqu'à ce qu'un autre Congrès en ait décidé autrement.

Il faut, du reste, ajoute Frossard, qu'un texte précis constitue immédiatement la charte de la minorité, lui donne les garanties pour lesquelles une interprétation ne suffit pas.

La représentation proportionnelle pour l'Humanité ?

Un grand journal comme l'Humanité doit-il être le champ de discorde où s'étaient nos querelles intestines ? Il s'adresse au grand public et la violence de nos polémiques l'écarte parce qu'il ne sait pas ce qu'est le Parti et ce qu'il vaut. (Applaudissements.)

La politique déterminée par nos Congrès dois être la seule sur laquelle devra porter la propagande du journal du Parti. Un organe spécial sera du reste créé, où les tendances diverses pourront, devant les membres du Parti, confronter leurs divers points de vue.

Il y a aussi les journaux à côté, ceux qui sont seulement sous le contrôle du Parti. De plus en plus, le Parti devra s'appliquer à les administrer et à les diriger lui-même. Les autres, je demande aux militants qui sont à leur tête de vouloir bien, à l'issue de ce Congrès, collaborer cordialement à la politique sortie de ce Congrès.

Un délégué demande ce qu'il adviendra des délégués permanents.

Frossard répond que l'on constituera des […] et les secrétaires désignés par les départements intéressés, sous le contrôle des assemblées nationales, seront chargés de la propagande.

Frossard s'explique alors sur la défense nationale.

J'ai été défense nationale pendant la guerre ; je ne renie pas mon passé. Le Parti, avant la guerre, a toujours été pour la Défense nationale. Je reste l'adversaire de l'anti-patriotisme grossier que l'on avait opposé à cette doctrine. Notre Défense nationale, c'est la paix ; le problème n'est pas simple.

 

-

Arrivée de Clara Zetkin

À ce moment, Boyet, qui préside, interrompt Frossard pour annoncer que, contentant une espérance que l'on croyait déçue, Clara Zetkin vient d'arriver au Congrès. Tous les membres du Congrès se lèvent. Clara Zetkin entre, on chante l'Internationale debout et, au milieu des applaudissements, notre grande camarade prend place au bureau. Le président la salue comme la représentante de la révolution allemande et de l'Internationale communiste. Clara Zetkin répond par le discours qu'on a trouvé plus haut.

À la suite de ce discours, le Congrès applaudit longuement, se lève et chante à nouveau l'Internationale jusqu'au moment où Clara Zetkin sort de la salle.

 

Frossard poursuit son discours

Après le départ de Clara Zetkin, l'émotion qui s'est emparée du Congrès se prolonge en de longs remous qui ne s'apaisent que lentement. Enfin le silence revient et Frossard continue son exposé.

La Défense nationale, reprend-il, est moins une question de doctrine qu'une question de circonstances.

Frossard constate que parmi les hommes qui se sont dressés dès 191-4 contre la guerre, dans ce Congrès l'un, Raffin-Dugens est à la gauche du Parti, et l'autre à droite, René Nicod, député de l'Ain, qui dès septembre 1914, jetait du fond de sa province le cri de sa conscience socialiste.

Puis, revenant à son sujet :

Hier Blum n'a pas répondu comme je l'aurais voulu lorsque Vaillant-Couturier lui demandait les hypothèses où la Défense nationale était valable. On peut supposer que demain l'Allemagne, ne pouvant, satisfaire aux conditions draconiennes du traité de Versailles, dont parlait à l'instant Clara Zetkin, sera envahie par les troupes de l'Entente.

Que pourra faire alors le prolétariat d'Allemagne ? Ou bien résister à son gouvernement ou bien le renverser et se substituer à lui pour résister contre l'impérialisme de l'Entente. Aujourd'hui le seul danger de guerre ne peut venir, dans ce"pays, que du capitalisme et de l'impérialisme de la bourgeoisie. Aussi, moi qui suis non pas un homme de doctrine, mais un homme d'action, je me solidarise avec Cachin pour dire au prolétariat de ce pays que pour la guerre capitaliste, il n'y a pas de défense nationale. (Applaudissements).

 

Les exclusions

Enfin Frossard veut s'expliquer sur la question des exclusions. Il ne peut y en avoir pour les faits du passé. Si le comité directeur a à s'occuper d'exclusions, ce ne sera que pour des actes d'indiscipline caractérisés contre les décisions qui sortiront de ce congrès.

Au nom de la majorité solidaire, je dis : Pas d'exclusions, Il ne peut en être autrement. Je me déshonorerais si j'oubliais la solidarité qui nous a liés lorsque nous luttions ensemble avec des camarades qui ne sont pas avec nous dans ce Congrès, pour le redressement du Parti. Si l'exclusion de Longuet pouvait sortir de ce Congrès, je m'en irais avec Longuet.

Une voix. - Et 1e télégramme de ce matin ?

Frossard. - Rien ne peut changer notre décision unanime à ce sujet ni la résolution que nous avons signée ensemble.

Comme certains délégués rappellent l'intervention de Renoult hier, celui-ci précise qu'il est d'accord avec Frossard :

Renoult - J'ai apporté des commentaires personnels sur un discours qui m'a paru constituer une provocation mais j'affirme, une fois de plus, que notre motion ne comporte aucune exclusion et que demain pourront rester dans le Parti tous ceux qui voudront y être des militants disciplinés.

Frossard ajoute :

Nous sommes contre la politique d'aventure. Nous ne jetterons pas demain le prolétariat sous les mitrailleuses de Monsieur Millerand. Notre préparation révolutionnaire, nous la ferons par l'organisation, ,l'éducation et le recrutement. Nous apporterons à cette œuvre à la fois notre audace et notre prudence. Notre politique claire, énergique, pénètrera dans les villes et surtout dans ces campagnes qui marchent aujourd'hui à la Révolution russe, comme on marche au canon.

L'heure des séparations a peut-être sonné et Blum souhaitant que plus tard on puisse s'affronter sans s'injurier. Moi, je ne les insulterai jamais. Il y a des hommes que je connais depuis quinze ans et qui sont, je le proclame, des socialistes : Blum qui a apporté au Parti son talent et son caractère, Renaudel avec qui je n'ai jamais été d'accord, mais dont je veux saluer le courage et la probité, lui dont nous disions si souvent : « Quelle force il pourrait être pour la Révolution ! » Je dis ce que je pense…

Plusieurs voix à l'extrême-gauche : « Nous le pensons tous. »

Frossard. - Bracke qui a donné sa vie au socialisme et qui évoque pour nous fatalement la figure de notre maître à tous, Jules Guesde. Je leur dois cet hommage et je le leur rends.

Puis, se tournant vers le centre :

Vous ne devez pas nous quitter. Vous ne pouvez pas nous quitter. Nous avons besoin de vous et vous avez besoin de nous.

Évoquant les heures tragiques où la réaction française guettait Jean Longuet contre qui se tramait, un complot politique qui pouvait l'amener au poteau, Frossard avec une émotion qui gagne le Congrès, adjure le centre de ne pas oublier ces heures vécues en commun, de rester dans le Parti où ils ont leur place et leur rôle pour les batailles qui viennent.

Il termine par un salut â la Jeunesse qu'il se réjouit de voir affluer au Parti et pour qui, comme pour tout le Parti, Jaurès a dit : « La route est bordée de tombeaux, mais elle mène à la justice. » De longs applaudissements saluent cette péroraison et le Congrès décide à l'unanimité l'impression du discours de Frossard.

 

-

Jean Longuet

Pour Longuet, qui succède à Frossard, l'unité du Parti ne serait pas menacée si le Parti obéissait à ses propres inspirations et non à des ordres venus du dehors. Il regrette donc que Frossard n'ait pas répondu directement au télégramme de l'exécutif de la IIIe internationale. La motion de Strasbourg voulait la reconstruction de l'Internationale, reconstruction indispensable pour rétablir l'unité internationale.

Frossard a dit que les missions accomplies auprès des diverses sections nationales avaient abouti à l'insuccès et qu'il n'y avait plus qu'une route, celle de la IIIe Internationaie ; ceci me semble abusif.

En effet, déclare Longuet, les meilleurs éléments de l'Independant Labour Party étaient pour la reconstruction. En Allemagne, le Parti socialiste indépendant avait reçu de Radek la promesse de réunir, en une conférence commune, les éléments de la IIIe internationale et ceux […] de la IIe.

Mais ce n'était pas dans l'esprit de la mission qui leur avait été confiée que Cachin et Frossard ont mené leurs négociations en Russie, pense Longuet. Il leur reproche d'avoir trop facilement accédé à tout ce qu'on leur demandait.

Quelles sont donc dans le monde les forces du prolétariat et leur groupement international ? À l'heure présente, que constate-t-on ? En Suède, le grand parti suédois, adhérant à la IIe Internationale, a encore derrière lui la grande masse des travailleurs pendant que le parti de gauche a des effectifs infimes et a perdu aux dernières élections la moitié de ses sièges. Même situation en Danemark. En Norvège, le Parti adhère à la IIIe Internationale, mais déjà les implacables exigences de Moscou l'émeuvent et l'éloignent. En Allemagne, ce Parti communiste dont nous parlait Clara Zetkin - dont je regrette d'être séparé par des différences d'opinion, mais que je vénère comme une des plus belles et des plus nobles figures de l'Internationale (Applaudissements) - a en face de lui le Parti majoritaire qui a eu le tort de ne pas chasser ses chefs coupables et le Parti indépendant qui groupe les grandes masses du prolétariat allemand.

Longuet s'étend sur la scission de Halle et s'efforce de montrer que le Parti indépendant de droite a conservé les cadres, les militants, les journaux et les masses de l'ancien parti derrière Crispien, Hilferding et Ledebaur que Jaurès considérait comme le plus grand économiste socialiste depuis Marx. En Autriche, le vieux Parti obtient un million de voix et les communistes vingt-cinq mille. Dans les Balkans, les partis socialistes se rattachent à la IIIe Internationale, mais c'est qu'ils sont surtout séduits par le côté agraire de la Révolution russe. En Suisse, le Parti, mis en demeure non pas de voter mais d'appliquer les 21 conditions, s'est soulevé et les a repoussées par les deux tiers de ses adhérents. En Italie, enfin, les socialistes attachés tous à la Troisième, même les plus modérés, ont été frappés. Ils ont dû choisir entre leur unité et les ordres de Moscou.

À Halle, Longuet a eu l'occasion de déjeuner avec Zinoviev qui fut fort aimable avec lui.

Alors, sans doute, ne me considérait-il pas comme un socialiste traître. Plutôt je me trompe : il m'avait déjà traité ainsi auparavant, ce qui prouve qu'il ne faut pas trop se frapper de ces injures.

Des voix : Alors ?

Longuet. - On ne s'en frappe pas, certes, quand on est philosophe ; mais ce qui est grave, c'est que des milliers d'ouvriers croient que ces injures correspondent à une réalité. (Applaudissements.)

À ce déjeuner, Zinoviev dit à Longuet, à propos du fait que les ouvriers italiens ayant occupé les usines, le Parti socialiste n'a pas fait la révolution, que Serrati aussi est un traître.

Ce sont ces compliments qui vous attendent demain, quand vous aurez adhéré à la IIIe Internationale. 

Longuet explique que les bolcheviks russes, vivant au cœur de la révolution, s'illusionnent sur les possibilités révolutionnaires des autres pays ; ils méconnaissent, par esprit de système, les conditions économiques les plus certaines.

L'orateur célèbre la puissance du prolétariat anglais qui est telle que, si elle n'existait pas, il y aurait aujourd'hui une garnison anglaise à Petrograd.

Dans cette Angleterre, où il y a cinq millions de prolétaires organisés, il y a tout juste cinq mille communistes. En Angleterre refus absolu d'aller à la IIIe Internationale. Si vous allez demain à Moscou vous quittez définitivement le prolétariat anglais.

Longuet estime que si l'on veut imposer demain les conditions au Congrès italien, il y aura scission, comme cela s'est produit en Suisse. Ainsi la IIIe Internationale laissera de côté les prolétariats de plusieurs grands pays. D'autre part, elle agrège des peuples comme la Turquie, la Perse et la Corée, qui n'ont que des soucis nationalistes et aucune préoccupation communiste.

Un délégué interrompt et dit :

Reprochez-vous Enver Pacha ?

Longuet. - Non, mais je regrette que les bolcheviks soient si intransigeants en Occident alors qu'ils sont si opportunistes en Orient.

André Jullien {Algérie), intervient et lit une réponse de l'Internationale communiste qui prouve que celle-ci est loin d'être solidaire d'Enver Pacha.

Longuet reprend son discours pour rappeler que le gouvernement américain a pris prétexte de déclarations communistes pour frapper les organisations et, aux États-Unis encore, on trouve peu d'adhérents à la IIIe Internationale. En rejoignant la IIIe Internationale, on ne se rapprochera que d'une fraction du prolétariat mondial. D'ailleurs, quand le Parti français sera à Moscou, tout ne sera pas redevenu simple. Le sort des Italiens attend les Français.

Un exemple : Daumig et Stoecker ont sacrifié l'unité du Parti indépendant à la IIIe Internationale et cependant celle-ci vient d'admettre dans son sein le mortel ennemi des indépendants de gauche : le Parti Ouvrier Communiste.

Et Longuet poursuit :

Je demande aux délégués de province qui voteront l'adhésion, la mort dans l'âme et seulement parce qu'ils ont des mandats impératifs, de méditer ce fait, La dépêche de Zinoviev, lue ce matin, est un avant-goût de ce qui les attend après l'adhésion. Mais, camarades, je suis épuisé et vous prie de me permettre de m'interrompre : je reprendrai demain matin.

La séance est levée à 20 heures, après qu'il a été décidé que la journée de demain serait consacrée à la discussion sur la IIIe Internationale.

 

 

 

- compte-rendu de la 4e journée du Congrès de Tours : « À la barbe de la police, Clara Zetkin arrive à Tours » ; « Frossard définit la politique de la majorité » ; « Le Congrès entend les discours de Lebas et Longuet »

 

 

le 26 décembre 2020

 
 

Il y a cent ans : L'Humanité au jour le jour

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)