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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du mardi 28 décembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du mardi 28 décembre 1920

 

 

Quelques textes - par Marcel Cachin

Je demande la permission de mettre sous les yeux des lecteurs de notre journal quelques passages exacts des citations que j'ai cru devoir faire, hier matin, au cours de mon intervention au Congrès.

La première est de Kautsky et elle remonte à plus de quinze années. Il y reconnaît, dès 1902, que la Russie pourrait bien devenir le Premier pays révolutionnaire du monde.

Le centre de gravité de la pensée et de l'action révolutionnaires se transporte de plus en plus chez les Slaves ; il se déplace de l'ouest [vers] l'est. Dans la première partie du dix-neuvième siècle, il était en France et parfois en [Angleterre] ; en 1848 en Angleterre ; dans le […] siècle, il semble être en Russie.

[La] Russie, qui a reçu tant d'énergies révolutionnaires de l'Occident est peut-être prête aujourd'hui à lui servir de source d'énergie, [le] mouvement révolutionnaire qui embrase […] peut-être le remède le plus […] pour extirper cet esprit de bourgeoisie […] et de politicaillerie froide gui […] à se répandre dans nos rangs et […] de nouveau jaillir en flammes lumineuses la soif de combat et le dévouement passionné à notre idée.

Voilà de quoi répondre à ceux des socialistes qui persistent à reprocher à la Russie d'être entrée la première, avant son tour, dans le mouvement de transformation socialiste mondial.

Puis comme on semble commenter, en certains milieux socialistes, les actes de vigueur des révolutionnaires de Moscou, comme on tend à leur opposer je ne sais quelle tradition socialiste que l'on prête à la France et à l'Internationale, il semble indispensable de rappeler l'enseignement constant des fondateurs de notre mouvement prolétarien. Écoutons d'abord la parole de Jules Guesde, en novembre 1895 (Le socialisme au jour le jour, page 395 et suivantes) :

Ce n'est que pour la prise de possession du gouvernement que nous sommes révolutionnaires et pas par goût, par nécessité, parce qu'en France c'est toujours la Révolution qui a porté au pouvoir même les partis politiques bourgeois.

Révolution, 1820, qui installe la monarchie tricolore.

Révolution, 1848, qui, des barricades de février, fait surgir la deuxième République bourgeoise.

Révolution - ou coup d'État - le 2 décembre 1851, qui intronise l'Empire.

Révolution, le 4 septembre 1870, qui restaure la forme républicaine.

Toujours la force a couronné et fait aboutir l'entreprise gouvernementale ou politique commencée par le bulletin de vote. Le fusil a complété l'urne.

C'est légalement qu'a été inauguré aux États-Unis le mouvement abolitionniste. C'est violemment à coups de canon que l'esclavage noir a été aboli.

Il n'en sera pas autrement en France et ailleurs pour la suppression de cet esclavage blanc qu'est le salariat.

C'est légalement que procède le mouvement collectiviste ou communiste sorti des hécatombes de juin 48 et de 71. C'est violemment, dans le pouvoir conquis par nous sur la voie publique, transformée en champ de bataille, qu'il finira.

Et maintenant, donnons la parole à Frederic Engels, le compagnon, le collaborateur, l'ami de Karl Marx.

Il écrit dans son livre contre Dühring, qui est classique pour les socialistes internationaux, que la violence joue dans l'histoire un autre rôle que celui de fauteur du mal, à savoir un rôle révolutionnaire. Suivant Marx, elle est l'accoucheuse de toute société vieillie grosse d'une nouvelle :

La violence est l'arme avec laquelle le mouvement social fraye un chemin et brise les forces politiques pétrifiées et mortes.

De tout cela, M. Dühring ne souffle mot. Ce n'est qu'en gémissant et en soupirant qu'il admet la nécessité possible de recourir à la violence pour renverser le régime des exploiteurs.

... Et l'on en parle ainsi en dépit de l'enthousiasme idéaliste et moral né de toute révolution victorieuse et c'est cette mentalité falote, débile et impotente qui ose se proposer au parti le plus révolutionnaire que connaisse l'histoire.

Marcel CACHIN.

 

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Le Parti socialiste et l'Internationale

Le Congrès national aborde la discussion générale

Discours de Marcel Cachin, Paul Faure, Leroy, Léon Blum et Rappoport

 

Le Congrès décide l'impression du discours de Marcel Cachin

Froissard précise des points importants relatifs aux conditions de Moscou

 

[légendes photos]

En haut, à gauche : Le coin des délégués permanents (de gauche à droite : Cabannes, Théo Bretin, Hubert Rouger, Lucien Rolland, Raoul Verfeuil, Frossard). En haut, à droite : le bureau de la séance du matin de la deuxième journée (de gauche à droite : Paoli, Jules Blanc, citoyenne Sadoul). - Au milieu : une partie de la salle du Congrès. - En bas, à droite et à gauche : Vues prises à la sortie des congressistes.

 

La discussion s'est poursuivie, au cours de la troisième journée du Congrès, dans les mêmes conditions de calme et de dignité, avec le même souci loyal do poser en toute clarté les termes du grand problème que le Parti est appelé à résoudre. Sans doute, depuis qu'il existe en France un mouvement socialiste, jamais décision aussi importante n'avait été demandée à ses représentants ; jamais, aussi, décision n'aura été moins surprise ni moins demandée aux impulsions irréfléchies du cœur au détriment des pesées sereines de la raison.

Toutes les tendances se sont affirmées dans la journée d'hier : Cachin, Paul Faure, Blum, Rappoport, Leroy ont longuement précisé leur pensée. Dans la matière substantielle et forte apportée au cours de trois séances par les délégués de province, ils ont découpé nettement les formules qui frappent et qui restent.

Un tel débat apparaît, par sa hauteur et son ampleur, digne des destinées des forces en présence : l'avenir ne saurait leur réserver rien de trop lourd ni de trop grand.

 

La séance du matin

(Par téléphone de nos envoyés spéciaux)

Tours, 27 décembre. - La séance est ouverte à 9h30. Frossard propose de faire présider la séance par Victor Méric, qui vient de mener une belle campagne municipale à Paris. Il en est ainsi décidé. Les assesseurs sont Beaugeaud (Corrèze) et Comté (Tarn).

Les tendances se sont accordées à donner : 5 heures à la tendance Cachin-Frossard ; 5 heures à Longuet-Faure ; 4 heures à Blum-Paoli ; 2 heures à Leroy.

Cachin a la parole.

 

Discours de Cachin

L'orateur évoque le voyage qu'il fit avec Frossard en Russie. Nos deux camarades en rapportèrent deux choses : l'enthousiasme pour la Révolution russe et la volonté d'adhérer à la IIIe Internationale.

On nous a dit que nous avions été mystifiés, que nous n'avions vu que quelques villes et villages camouflés. Non ! On ne camoufle pas un pays et nous n'avons pas encore perdu tout esprit critique. Mais ce qui est sûr, c'est que nous avons eu le privilège insigne de vivre pendant plusieurs semaines dans une nation socialiste d'où la bourgeoisie et le capitalisme ont disparu.

Cachin rappelle qu'on fait grief à la Russie, elle, pays arriéré, d'avoir la première accompli sa révolution. La Russie occupait cependant 6 à 7 millions d'ouvriers, et d'ailleurs il y existait des conditions psychologiques révolutionnaires ; et cela a été reconnu il y a longtemps :

Je lis dans la Maladie infantile du Communisme de Lénine, un extrait d'un article de Kautsky de 1902 : « À l'heure actuelle on peut dire que le centre de la pensée révolutionnaire se déplace de plus en plus et se fixe chez les Slaves... Le mouvement révolutionnaire de la Russie sera peut-être le plus apte à détr[u]ire l'esprit de bourgeoisisme qui se développe dans nos rangs. »

Ainsi donc qu'on ne reproche pas aux Russes d'avoir commencé trop tôt les réalisations révolutionnaires.

Ils les ont commencés il y a plus de 3 ans. Mais de plus ils ont duré ! Et c'est leur étonnement d'avoir résisté aux attaques conjuguées de tout l'univers capitaliste. (Applaudissements).

L'orateur examine alors la situation de la République russe dans le monde.

Il semble que l'aventure de Wrangel soit la dernière d'une longue série. Cependant récemment le général allemand Hoffmann, offre son épée pour écraser l'armée rouge.

Et Churchill, en Angleterre, il y a quelques mois, caressait un semblable projet.

À côté de cette tendance, il est vrai, une autre se développe dans la bourgeoisie internationale :

C'est celle du mercantilismne qui ne [peut] rétablir nulle part l'économie nationale […] Europe d'où la Russie est absente. […] cela mène à la reprise des relations commerciales. Cette dernière tendance je la regarde comme un hommage à la Russie soviétique, à sa stabilité, à la puissance, à la force de résistance de cette République que l'on considéra jusqu'ici presque partout comme une erreur formidable et transitoire. (Applaudissements).

Camarades, nous ne vous demandons pas de partager un enthousiasme que vous regardez comme une faiblesse ! Mais, la stabilité même désormais assurée du régime moscovite ne vous appelle-t-elle pas à des réflexions nouvelles ?

Révolution russe et tradition socialiste

Cachin défend alors la Révolution russe d'avoir usé de méthodes qui, disait-on, sont contraires à la tradition socialiste française :

On a reproché aux Russes leurs violences !

Aucun peuple sans doute n'est avide de violences […] et, moins que d'autres, des peuples sentimentaux comme la Russie et la France... Mais, quand on a subi séculairement tout le poids de la force brutale...(Applaudissements.)

Et qu'on ne dise pas que cela est contraire à notre tradition !

Moi, qui ai été élevé, qui ai grandi près de la grande et pure conscience de Jules Guesde, je me rappelle les enseignements et les conseils que je recueillis avec ferveur. N'a-t-il pas répété au prolétariat d'envisager comme une éventualité nécessaire qui fut imposée à ses aînés, les Communards, les hommes de 1848, celle de la défense révolutionnaire, celle de l'attaque révolutionnaire au moment où les circonstances l'appelleraient à l'action ?

Et Guesde disait encore avec cet enthousiasme permanent qui était le meilleur de lui-même : « Ne vous découragez jamais, même aux moments les plus pénibles do nos luttes d'autrefois, camarades. La victoire est là derrière l'horizon proche ! ».

Et comment proposait-il la révolution ? Sous une forme édulcorée ?... opportuniste ?... participationniste ?... Pour répondre, il me serait aisé de vous apporter d'admirables pages de mon maître de toujours. Permettez-moi seulement cette citation d'un article de 1895 que vous trouverez à la page 397 du Socialisme au jour le jour : « Il faut d'abord conquérir le pouvoir politique par tous les moyens, extrêmes ou légaux ».

Bracke. - C'est le texte de la motion Blum !

Cachin. - Attendez ! Vous ne voulez pas mutiler Guesde !

Bracke. - Vous l'avez déjà exclu !

Cachin. - ... Ce n'est que pour la prise de possession du pouvoir que nous sommes révolutionnaires. En France, c'est toujours la force qui a couronné l'entreprise commencée par voie légale. Le fusil a complété l'urne. » (Applaudissements).

Guesde disait : « Je suis un insurgé permanent. ! » et le seul reproche qu'il fit à Hervé c'était de limiter l'emploi de l'insurrection populaire au moment même où elle était particulièrement impossible.

Cette tradition la fraction blanquiste et les allemanistes la professaient.

Voulez-vous une autorité plus considérable ? C'est une page de l'Anti-Duhning d'Engels :

« La violence suivant Marx est l'accouchement des sociétés... Elle est la force laquelle la société de demain se fraye un chemin... On dit, que la force diminue ceux qui s'en servent. C'est une doctrine débile et falote... »

Et Cachin conclut sur ce point :

Donc quand nous approuvons l'effort violent de la révolution nous restons dans la pure tradition de pays. (Applaudissem.)

Les réalisations de la Révolution russe

Puis l'orateur examine les critiques faites aux réalisations positives de la Révolution russe :

On a reproché aux bolcheviks d'avoir donné la terre aux paysans. Cela a toujours été notre programme pour la période transitoire.

Une voix. - C'est de l'opportunisme !

Cachin. - Oui et du meilleur ! Mais c'est de l'opportunisme après la révolution.

Une voix. - Trotski l'avait déjà dit !

Cachin. - Oui Et il ajoutait d'ailleurs que l'opportunisme d'avant la révolution c'est la collaboration avec la classe bourgeoise.

Quand nous aurons réalisé comme les Russes la suppression de notre capitalisme, nous pourrons nous permettre de leur apporter nos réserves et nos critiques.

Ils peuvent dire qu'ils ont accompli l'acte fondamental de la révolution : la prise du pouvoir. Ce que nous leur demandons, c'est de maintenir leur pouvoir. Et s'ils laissent aux paysans de là-bas leurs terres, ils essayent aussi de donner des exemples de culture collective de la terre qui occupent près d'un millier d'hommes.

Rappoport. - Il faut dire que, le gouvernement russe refuse de légaliser définitivement la propriété privée. Et c'est un des thèmes de l'agitation contre-révolutionnaire du Parti socialiste révolutionnaire. (Applaudissements)

Cachin. - Les révolutionnaires russes se sont montrés d'une énergie farouche avec leurs adversaires, comme le furent les révolutionnaires français de 1789. Comme ces conventionnels, ils ont dû reconstituer une société devant l'ennemi : devant celui de l'intérieur, devant, l'invasion étrangère. Et à ce propos laissez-moi vous dire quelques mots de leur attitude vis-à-vis du menchevisme.

Lénine qui combat énergiquement les girondins de son pays ne retire pas son estime à son vieux compagnon de luttes. Mais il a la responsabilité du pouvoir et quand il voit son ami qui se trompe, - il l'écarte ! (Applaudissements).

(Voir la suite en 2e page)

 

Les débats du Congrès de Tours

- SUITE -

L'orateur parle ensuite de la politique extérieure des soviets :

Ils ont jeté au vent tous les traités secrets. Ils ont les premiers donné au monde l'exemple de tractations ouvertes.

Tous les peuples allogènes ont été par eux respectés. Avec mon fidèle ami et complice Frossard, nous avons traversé l'Esthonie. Ce peuple envisage avec effroi l'idée de toute restauration en Russie, de quelque nature qu'elle soit, car il y perdrait son indépendance. Seuls les bolchevistes la lui peuvent garantir. C'est que la République russe est vraiment fédéraliste. Les nationalités qui la constituent y conservent leur liberté. Et je prévois que d'ici peu les petites nations allogènes elles-mêmes, détachées de la Russie, seront conduites - pressurées qu'elles sont par le capitalisme international rapace - à se fédérer avec la Russie soviétiste. (Applaudissements).

Défense nationale... socialiste

Cachin montre alors quel est le caractère de l'armée russe, essentiellement: populaire, où les officiers de l'ancienne armée ne sont que des conseils techniques. Cette armée a accompli déjà une immense besogne. Elle a réduit les contre-révolutionnaires de l'intérieur, obligé les Polonais à évacuer la Russie. Cachin tient à protester contre une calomnie quotidiennement répandue aujourd'hui :

Les Russes diminuent présentement leur front de guerre. Au seuil du dernier congrès panrusse des Soviets, ils ont déclaré : « Nous sommes pour la paix ! »

En écho à cette déclaration, M. André Lefèvre l'autre jouir, pour ameuter la France contre l'Allemagne débilitée et la Russie pacifique, a dit que l'alliance de Ludendorff et de Lénine est prochaine.

Notre devoir est de dénoncer devant le pays entier cette abominable calomnie. (Applaudissements).

L'orateur passe ensuite à l'examen de la constitution centralisée du Parti proposée par les bolcheviks.

Cela me paraît une nécessité ! Je crois que nous sommes à la veille d'événements graves. Et, ayant vu comment, dans l'organisation bolchevique, toutes les valeurs sont utilisées, je pense que notre Parti doit au plus tôt s efforcer de se donner une organisation solide, puissante, disciplinée vigoureusement, dans laquelle chaque militant, du plus petit au plus grand, devra incliner sa volonté.

Puis Cachin s'explique sur la défense nationale :

De nombreux adhérents de notre Parti hostile à l'adhésion que je recommande m'ont reproché amèrement en ces dernières semaines mon attitude. Ils ont, dit-on, écrit, que j'étais mal qualifié, ayant été jadis majoritaire pour leur donner la leçon. La vérité, c'est que je n'ai jamais évoqué la prétention de donner la leçon à qui que ce soit. Sans que je l'aie sollicité, vous m'avez fait le grand honneur de me déléguer aux fins d'enquête en Russie. Je m'y suis rendu ; j'ai vu, entendu, j'ai raisonné ; je vous ai dit mes impressions ; je ne prétends les imposer à personne. Mais vous imaginez-vous que, par hasard, le fait que j'ai eu telle attitude dans le passé va empêcher l'adhésion du Parti à la IIIe Internationale ? (Applaudissements.)

L'orateur décrit alors les méfaits de l'impérialisme mondial. Il évoque le danger d'une guerre nouvelle que préparent les menées cyniques du capitalisme victorieux :

En face de ce spectacle, camarades, vous êtes passifs. 11 faut d'urgence constituer notre organisation de résistance, d'éducation et de combat.

Ne voyez-vous pas les conditions qui nous sont faites à cette heure ? Partout des vélléités de guerre. Allez-vous marcher cette fois ! 

Je vous dis : Non ! (Applaudissements).

Je voudrais voir tous les représentants du prolétariat dire qu'ils ne confondront jamais : « défense de l'oligarchie capitaliste » et « défense nationale ». (Applaudissements! unanimes).

Et Cachin conclut ainsi :

Demain toutes les forces du capitalisme tendront à perpétuer ce sophisme.

Demain on nous demandera une armée de 800 000 hommes dont 300 000 indigènes.

Nous avons le devoir de refuser tout crédit à cette armée ! Nous avons le devoir de réunir ouvriers et paysans français dans un effort maximum pour résister à tout nouvel effort de conflit international !

Et laissez-moi vous répéter, en conclusion, que l'un des moyens de barrer la route à tous les fauteurs de guerre c'est de nous mettre à côté de la Révolution russe, la forteresse essentielle à cette heure dans le monde contre l'impérialisme universel de la bourgeoisie ! (Applaudissements).

 

Paul Faure

Paul Faure prend ensuite la parole.

Il commence par raconter l'histoire telle que la narra une revue parisienne, de la venue de Rappoport en France, voyageant illégalement, c'est-à-dire sans billet, chassé à chaque instant brutalement de son wagon à coups de pied p*r un contrôleur impitoyable, mais arrivant quand même de Russie à Paris.

- C'est un voyage pareil qu'on nous propose.

Rappoport. - Les coups do pied de votre récit sont de la fantaisie ; les 21 conditions sont aussi des coups de pied de fantaisie.

Paul Faure continue :

Au début de mon exposé, et pensant que vous avez lu les thèses et les conditions, que vous les prenez au sérieux, que vous voulez les appliquer, je vous déclare que si c'est cela, je ne puis pas être du voyage.

La situation n'est pas nette, pense Paul Faure. Après avoir successivement connu les 9, les 18, puis les 21 conditions, voici qu'aujourd'hui on nous apporte des interprétations. « Il n'y a qu'une condition, dit-on même, être révolutionnaire ». Il y a pourtant 21 conditions, il y en a même 22. Pourquoi ne parle-t-on pas de la vingt-deuxième. Gêne-t-elle certains ?

Une voix. Élevez le débat.

Paul Faure. - Je n'ai pas à élever le débat. Je suis dans le débat.

C'est une erreur de croire que demain le Parti sera dans la IIIe Internationale parce qu'il aura voté l'adhésion. Il n'y sera que lorsqu'il aura mis en pratique les conditions.

Contre les « conditions »

On veut supprimer la proportionnelle qui a fait la force de l'unité et n'a pas empêché l'Humanité de devenir un grand journal socialiste. Demain, si une minorité grossit, la suppression de la proportionnelle aboutira fatalement à des scissions.

Et puis, depuis quand réclamez-vous cette suppression ? Depuis que vous êtes la majorité. Tant que vous étiez la minorité, vous avez réclamé le bénéfice de la proportionnelle. Vous pratiquez le système préconisé, par Veuillot : réclamer aux autres la liberté au nom de leurs principes, la refuser ensuite au nom des vôtres.

Quand nous étions la majorité vous avez été sans cesse des indisciplinés et cependant nous vous avons permis de rester dans le Parti.

Aujourd'hui vous nous refusez la liberté dont vous avez joui.

Paul Faure aborde la discussion sur les conditions visant l'exclusion hors des organismes centraux de tous ceux qui ne sont pas des « communistes éprouvés ». Mais où sont-ils ces communistes éprouvés ?

Et s'adressant aux partisans de la IIIe Internationale, il demande lesquels de ces communistes éprouvés composeront les organismes secrets qui auront à contrôler le Parti :

Car malgré les dénégations que vous m'opposez dans les conditions que vous acceptez pour entrer dans la IIIe Internationale, la création des organismes secrets vous est imposée et vous vous y pliez.

Il y a aussi la propagande clandestine et illégale dans les casernes.

Et je voudrais vous demander si ceux qui vont signer cela le feront. S'ils ne le font pas ce serait pour Moscou une trahison. Pour moi je ne le ferai et je dirai à mon fils si j'en ai un et à mes amis de ne pas le faire et je me refuse à signer une pareille acceptation.

Et puis une autre condition, peut-être la plus importante, doit être acceptée par le Parti, c'est de briser l'unité internationale syndicale, qui, seule, est demeurée debout au moment où se brisait l'unité socialiste.

Je me refuse à souscrire à celle rupture de l'unité syndicale dans l'intérêt même de la Révolution russe. Lorsque les dockers de Marseille ont refusé de charger les munitions, on n'a pas demandé à ces hommes s'ils étaient des communistes éprouvés.

C'est le Labour Party anglais, opposé à la IIIe Internationale, qui a obligé le gouvernement anglais à capituler, quand il tenta d'écraser la Révolution soviétique.

La révolution immédiate ?

La politique de la IIIe Internationale est, qu'on le veuille ou non, une politique d'action immédiate. Et déjà, à ce sujet, des divisions surgissent entre les Italiens et les Russes :

Car la Révolution ne doit plus, selon Moscou, être décidée par les conditions économiques et les faits sociaux, mais par la volonté de je ne sais quelles individualités.

C'est cette conception-là qui nous a valu la grève de mai dont les conséquences sont telles que les effectifs syndicaux sont passés de 1 600 000 à 600 000 seulement.

Voilà les quelques faits que je voulais mettre sous vos yeux : vous en tirerez les conclusions que vous voudrez.

Tommasi. - On n'a pas le droit de se servir de ces chiffres sans tenir compte des conséquences qui les ont déterminés, et on oublie que pour la grève des cheminots, il y a eu unité pour la bataille à Japy et que les responsabilités sont égales pour tous.

Paul Faure reprend, après l'interruption de Tommasi, par un exposé largement brossé de l'union des intérêts capitalistes en face des divisions ouvrières causées par la IIIe Internationale :

Parce que, dit-il, il faut savoir à quelle force de résistance s'en vont ceux qui croient à Ja possibilité de l'action insurrectionnelle.

Car il n'y a pas que la police et l'armée pour ruiner les grèves révolutionnaires, il y a l'organisation habile dés briseurs de grèves que prépare la classe patronale avec d'authentiques travailleurs. Et votre erreur est redoutable de croire que vous pouvez faire la révolution dans un pays victorieux où le peuple est sans armes.

Compère-Morel. - Il faut ajouter aux forces de réaction dont parle Paul Faure la confédération générale agricole qui groupe aujourd'hui, contre 35 000 avant la guerre, 670 000 paysans dont 45 000 ouvriers agricoles prêts à se dresser contre le prolétariat des villes.

Paul Faure aborde alors le problème du mouvement coopératif dont les militants s'inquiètent des perspectives de division et d'affaiblissement.

Il veut des précisions.

On a laissé entendre que les 21 conditions seraient d'une application facilement acceptable. Nous ne voulons pas quitter ce congrès sans que vous nous ayez dit loyalement co que vous voulez et ce que vous ferez de nous.

Pour appuyer son argumentation Paul Faure s'appuie sur les exemples des États-Unis et de l'Italie où la scission épuise la force ouvrière et éloigne l'espoir des réalisations révolutionnaires.

Et nous qu'allons-nous faire ? On nous déclare qu'il nous sera permis de rester dans le Parti, qu'on nous accorde trois mois. Trois mois pourquoi faire ? Pour demander pardon... De quoi et à qui ? À qui ?...

Une partie du Congrès applaudit fortement, et Paul Faure termine :

Je n'attendrai pas trois mois pour vous dire que je suis décidé à continuer par la plume et par la parole la propagande et le combat pour les idées socialistes qui sont celles de toute ma vie de militant. J'ai pu commettre des injustices parfois contre la droite ou contre la gauche mais j'ai conscience que ma vie socialiste a été toute d'honnêteté et de probité et je vous en souhaite autant maintenant et pour les heures qui viendront.

Une grande partie du Congrès se lève et acclame Paul Faure lorsqu'il descend de la tribune.

La séance est ensuite levée.

 

Séance de l'après-midi

La séance reprend à 2h.30. Jules Blanc (Drôme) préside, assisté de Petitot (Haute-Savoie) et Menan (Pas-de-Calais).

Leroy

Après lecture d'une protestation de la majorité du Nord, contre l'attribution de mandats à Bracke et à Mayéras, la parole est donnée à Leroy, de la Seine, qui présente devant le Congrès l'amendement Heine. 11 conteste les arguments employés par Paul Faure, le matin, et se déclare partisan de l'organisation des masses. Il ajoute :

Nous constatons avec regret les réserves apportées par Frossard et ses amis aux 21 conditions.

Renaudel demande alors ici pourquoi Frossard n'a pas communiqué les 21 conditions dès son arrivée de Moscou.

- Je ne puis répondre à cela, réplique Leroy. Et c'est Frossard qui fournit des explications que nous reproduisons in-extenso pour éclairer un point souvent controversé.

Déclaration de Frossard

Frossard commence en ces termes :

Notre camarade Renaudel a déjà écrit dans la Vie Socialiste que nous avions connu et accepté les 21 conditions avant notre départ de Moscou. Il s'est inspiré, pour produire cette affirmation, du compte rendu du Congrès de l'Internationale communiste qu'a publié, à la librairie de l'Humanité, notre camarade André Pierre.

J'affirme ici, une fois plus, que lorsque nous sommes rentrés ensemble porteurs des 9 conditions contenues dans la document officiel de l'Internationale communiste, nous avions la conviction que c'était sur ces neuf conditions et sur ces neuf conditions seulement que le parti socialiste aurait à discuter.

Au début de nos pourparlers, il n'avait été question d'aucune espèce de condition ; c'est à notre retour du voyage que les thèses proposées au 2e Congrès de l'Internationale communiste ont été publiées. L'une de ces thèses est précisément relative aux conditions d'admission du Parti dans l'Internationale et elle ne contenait que 8 conditions. À l'ouverture du Congrès, plusieurs commissions furent constituées dont l'une était chargée d'examiner les dispositions proposées par notre camarade Zinoviev et rapportées par elle devant le Congrès réuni en séance plénière.

Très écouté, Frossard poursuit :

La Commission avait siégé toute la journée. Avant notre départ, nous avons participé à ses délibérations. Ce jour-là, nous lui avons précisé les conditions que j'ai souvent rapportées devant le Parti et que j'ai d'ailleurs inscrites dans le rapport publié par l'Humanité. Nous avons indiqué, ce jour-là, à la Commission à laquelle nous participions, que nous n'entendions pas, pour le moment, entrer dans l'examen de détail des 18 conditions que nous acceptions en principe. Nous avons surtout fait porter notre discussion sur une question qui nous était posée par Trotsky dans un article publié par la Pravda ou par les Isvestia, je n'en ai pas le souvenir précis, et qui était consacré à la défense nationale.

Voilà ce qui a été fait ce jour, le seul où nous avons siégé à la commission des conditions d'admission.

Quant au débat en séance plénière, il s'est produit après notre départ de Moscou.

Il avait commencé le 29 juillet par le rapport de Zinoviev, il avait continué dans la même journée par les déclarations successives apportées par les représentants des diverses sections de l'Internationale communiste. C'est ce jour-là que Cachin, parlant en notre nom à tous les deux, a donné connaissance au Congrès de la déclaration dont notre camarade Humbert-Droz affirme qu'elle n'a pas été étrangère au renforcement des conditions de l'Internationale communiste pour l'admission d'un parti comme le nôtre.

Ici, l'orateur précise :

J'ajoute, c'est évidemment le point sur lequel il faut que nous nous expliquions ds bonne foi, que le matin du 29 juillet, jour de notre départ, nous considérions déjà que le document que nous avions entre les mains était le document définitif.

On nous avait dit : Dès l'instant que vous ne pouvez pas attendre la fin du Congrès, voici le texte de la réponse que fait l'Internationale Communiste à la demande que vous avez formulé ; il contient 9 conditions, sur lesquelles vous aurez à discuter. Nous avons rapporté ce texte et l'avons présenté en toute bonne foi au Parti comme un texte définitif sur lequel devait s'établir la discussion.

Au moment où le débat était seulement engagé au sein de la Commission, j'ai eu l'occasion de le dire à la C.A.P. et dans le rapport publié dans l'Humanité, j'avais connu certaines aggravations apportées aux 18 conditions, dont une par Lénine, les autres par d'autres délégués de l'Internationale.

Renaudel sait bien tout de même qu'à ce moment-là, quand j'avais su que l'on nous imposait des conditions supplémentaires et en particulier l'exclusion de camarades de la fraction centriste, j'ai quitté le Congrès, montrant par là que je considérais que les pourparlers ne pouvaient pas continuer si on nous imposait des conditions que je jugeais inacceptables.

Et Frossard termine, toujours écouté avec la plus grande attention :

Voilà l'attitude que nous avons prise, solidairement, Cachin et moi, au Congrès. Quand le texte définitif nous a été remis, nous l'avons fait connaître loyalement_et le jour où pour la première fois, te l'ai connu c'est à la controverse de […], avec le camarade Mayéras, à la fin du mois de septembre par une lettre de l'Internationale publiée par un journal allemand. (Applaudissements).

Mayéras. - Je suis persuadé, non pas que le camarade André Pierre s'est trompé, mais que les journaux sur lesquels il a fait son résumé se sont trompés. Il est hors de doute que Frossard, qui avait rapporté neuf conditions, pensait très fermement qu'elles étaient les seules et je suis convaincu, que c'est à la fin du mois de septembre 1920 qu'il a appris comme nous la vérité sur l'histoire fantastique des 21 fantaisies, comme dit Rappoport.

Leroy continue

Leroy continue. Il se plaint vivement d'avoir été boycotté par l'Humanité et que sa tendance ait été privée, par voie de conséquence, de sa part de représentation. Il reproche au Comité de la IIIe Internationale d'avoir proclamé que changer une virgule à sa motion, c'était voter contre la motion.

Alors notre volonté d'enlever toutes réserves aux conditions signifierait que nous votons contre l'adhésion. Ce n'est pas du communisme cela, c'est de la cuisine.

 

Pour que le Parti soit fort, conclut Leroy, il faut qu'il soit homogène, il ne peut l'être que par l'exclusion des éléments centristes.

Leroy dit qu'il ne peut accepter les trois réserves, de la motion du Comité de la IIIe Internationale, qu'il considère comme capitales.

Qui peut le plus peut le moins, dit-il. Aussi répétons-nous ici, en toute loyauté, ce que nous avons déclaré au Congrès de la Seine, à savoir que par la force des choses les voix qui se porteront sur notre amendement auront de même voté la résolution présentée par le Comité de la IIIe Internationale.

Lorsque Leroy a terminé son exposé, qui a été coupé par de nombreuses interruptions dont il est impossible de donner le détail, Léon Blum prend la parole.

 

Léon Blum

Léon Blum constate qu'il lui échoit la tâche difficile de défendre devant un Congrès composé de partisans de la III° Internationale, une motion qui conclut au refus pur et simple d'adhérer. L'orateur considère que les décisions du 2e Congrès de l'Internationale communiste constituent un corps de doctrine cohérent. Adhérer à la IIIe Internationale, c'est accepter cette doctrine ; toute autre forme d'adhésion serait une comédie indigne du Parti français.

C'est dans cet esprit que Blum et ses amis ont examiné les thèses.

Il est impossible de s'armer de telle phrase de la résolution de Strasbourg pour prétendre que ceux qui la votèrent ont adhéré à la doctrine de la IIIe Internationale, car le deuxième Congrès de Moscou a développé et singulièrement précisé cette doctrine.

Les thèses communistes ne peuvent être considérées comme l'expression du socialisme traditionnel ; il s'agit d'une conception nouvelle.

Ce caractère de nouveauté n'est pas ce qui effraie Blum. Il essaya lui-même parfois de proposer la révision de tel ou tel point de doctrine. Mais ce que l'on offre, c'est un bouleversement total de la doctrine. La théorie communiste est erronée, contraire à la doctrine socialiste, contraire aux faits.

Le socialisme traditionnel était démocratique ; le contrôle était partout.

Le Parti était un parti de recrutement ; il tendait à rassembler tous les travailleurs.

Parce que le Parti tendait à grouper tous les travailleurs il était un parti de libre pensée et faisait des affirmations simples. Il suffit de croire que l'avènement du socialisme est lié à la fin du capitalisme pour être admis dans le parti et tout adhérent pouvait avoir telle opinion qu'il préférait sur les moyens. Pour cette raison la liberté de s'exprimer dans la presse et la représentation proportionnelle n'étaient pas reconnues comme des avantageas démocratiques mais étaient l'expression de l'idée qui est l'essence du Parti.

L'action du Parti était l'éducation, le Parti voulait tenir tout le monde et était ouvert à tous. Voilà ce qu'était le Parti socialiste ; voila ce qu'il est encore pour quelques-uns.

Qu'est-ce que le nouveau parti que l'on veut former ?

Tout le pouvoir sera concentré dans le Comité directeur et tous les organismes étant subordonnés à celui-ci, l'autonomie des fédérations disparaît.

De plus on propose de créer des organisations illégales et clandestines.

Blum n'a jamais entendu s'enfermer dans l'action légale, mais les deux notions d'organisme illégal et d'organisme clandestin ne coïncident pas, dit-il, et la preuve c'est que le Parti actuel n'est pas adversaire de l'action illégale, mais ne comporte pas d'action clandestine.

Or, les thèses de Moscou imposent la création d'un organisme clandestin et de plus, l'organisme public doit être sourd à l'organisation clandestine.

Le Comité directeur occulte ne pouvant, par destination, être désigné publiquement, il ne pourra être nommé que par l'Internationale Communiste elle-même, de sorte que le Parti français sera dirigé par un pouvoir extérieur.

Blum s'étonne, dans ces conditions qu'on se plaigne de la tyrannie des chefs actuels du Parti ; au moins, eux, on les connaît, mais le Comité occulte, comment s'adresser à lui, comment atteindre des inconnus, des masses ?

L'orateur précise que désormais, dans le Parti, ne seront admis que ceux qui accepteront de penser ensemble. Aussi la question n'est pas l'exclusion de telle ou telle personnalité. Le problème est ailleurs. On instaure une doctrine qui supprime la liberté de penser ; il en est de même de la suppression de la R. P. oui garantit la liberté de s'exprimer. On voit la différence du Parti d'hier et celui d'aujourd'hui. Celui-là était le Parti de tous les travailleurs, celui-ci est un groupement de petites avant-gardes aguerries.

Léon Blum dit un mot ensuite de la question des rapports du Parti et des syndicats et il rappelle l'accord entre les organisations syndicales et politiques auquel on était arrivé en France.

Les communistes devraient être conduits, par leur souci de constituer une action homogène, à subordonner les syndicats au parti, il est vrai qu'on accepte provisoirement de renoncer en France à cette subordination. mais celle-ci existera dans l'ordre international, et d'ailleurs on ne cache pas que dans quelque tempes, on l'imposera en France.

Déviation ?

L'organisation communiste apparaît à Léon Blum comme un vaste carbonarisme : actions secrètes par petits groupes en vue de la révolution. Or, Blum et ses amis ne sont pas adversaires de la Révolution. On les accuse à tort d'être de purs réformistes.

Depuis Amsterdam, il n'y a plus de révisionnisme dans le Parti, il n'y a qu'un socialisme révolutionnaire. Mais il est vrai que dans le débat actuel, doux concepts de la révolution s'opposent. Révolution cela signifie : ou le socialisme traditionnel et passage do l'état économique actuel en une société basée sur la propriété collective ; révolution signifie encore que la transformation ne sera pas le résultat d'une série de réformes. Certes, les étapes du développement capitaliste préparent cette transformation, mais à un moment, il faudra une brisure.

La conception de la transformation économique, c'est la prise de possession des pouvoirs politiques. Il faut avant tout s'emparer de l'État par quelques moyens que ce soit, violents ou légaux, À cette conception traditionnelle s'oppose deux déviations : l'erreur réformiste qui prétend que la transformation économique peut être produite sans conquête de l'État, la seconde déviation, c'est l'erreur anarchiste qui en arrive à voir dans la prise de possession du pouvoir la fin de l'action révolutionnaire.

Blum pense que cette erreur anarchiste est à la base même de la doctrine de la IIIe Internationale.

Il envisage ensuite l'application pratique des doctrines communistes et il prend l'exemple de l'action du groupe parlementaire.

Aujourd'hui, le groupe parlementaire est soumis non à la C.A.P. mais aux Conseils nationaux. Cependant le groupe parlementaire actuel, est forcé d'agir en accord avec la C.A.P.

L'orateur, poursuivant, rappelle le passage du discours de Cachin prononcé à la séance du matin, sur la défense nationale, et le considère comme ambigu. Quant à lui, il pense que les socialistes doivent défendre leur patrie contre toute agression.

Cette déclaration provoque un tumulte inouï. On crie : « À bas la guerre ! » La majorité entonne l'Internationale, debout.

Quand le tumulte est passé, Blum dit qu'il espère que la majorité exprimera dans sa motion les sentiments qu'elle vient de témoigner. Puis il conclut que tout son exposé prouve qu'il y a en présente deux conceptions opposées : socialisme et communisme. Dans ces conditions, il ne s'agit, pour aucune fraction de discipline. Il y a lieu de choisir entre deux doctrines incompatibles. Si Blum avait pu choisir le communisme, il l'eût fait il y a trois mois, il ne pourra pas davantage adhérer après. Une seule chose pourrait lui permettre d'entrer dans la IIIe Internationale, c'est que celle-ci modifiât sa doctrine. D'ailleurs, cette éventualité paraît improbable.

Blum reste attaché à la doctrine traditionnelle, il restera à garder la vieille maison pendant que les communistes iront courir les aventures.

Puis il dit son espoir que les fractions, demain séparées du Parti, ne s'injurient pas. Très ému, il demande :

« Y a-l-il quelqu'un qui ne croit pas que je suis un socialiste ? »

À quoi Cartier répond : Vous êtes un confusionniste.

Cette phrase n'est qu'une interruption. Blum continue dans le silence et termine en suppliant qu'on ne se dresse pas en ennemis afin de pouvoir réintégrer un jour le foyer commun.

Les amis de Blum l'acclament. Longuet se lève en criant : Vive Jaurès ! - cri poussé par plusieurs délégués.

Des camarades dé la majorité crient : Comédiens !

Daniel Renoult clame :

L'auteur de la scission, c'est lui. Oui, j'accuse ici Blum d'avoir préparé la scission !

Une demande d'impression du discours de Blum est parvenue au bureau ; elle est mise aux voix à mains levées, mais le résultat est douteux. Daniel Renoult demande le vote par mandats.

Il faut, dil-il, que chacun prenne ses responsabilités, à cette heure grave où on demande les honneurs, de l'affichage pour celui que nous considérons depuis longtemps comme l'auteur et le promoteur de la scission qu'il à soigneusement préparée. Nous voulons protester contre les paroles de provocation qui ont terminé le discours de Léon Blum lorsque ses déclarations sur la défense nationale appuyaient la politique de M. André Lefèvre.

Ces paroles sont accueillies par les applaudissements d'une partie du Congrès pendant que l'autre partie proteste violemment. C'est pendant un moment un grand tumulte.

Petit à petit, le silence se fait et Frossard fait cette déclaration qui met fin à l'incident :

On a voulu rendre hommage à l'effort apporté à celle tribune par notre camarade Léon Blum. Le vote à mains levées lui a donné satisfaction, Je demande à nos camarades de ne pas insister sur le vote dont l'issue n'est pas douteuse. Demain, je répondrai à l'appel qui a été fait et j'indiquerai en quoi la politique que nous voulons donner au Parti diffère de celle que Léon Blum vient d'exposer.

 

Rappoport

Rappoport prend ensuite la parole.

Depuis que la question qui nous préoccupe est en discussion, commence-t-il, le Parti a évolué et la majorité formidable qui s'accuse à ce congrès provient du progrès constant de nos idées : elles se seraient affirmées même si nous n'avions pas eu le concours de Cachin et de Frossard.

« Non ! » crie un délégué.

La Russie bolchevique est devenu le moteur et l'âme de tonte révolution c'est vers elle que se tournent toutes les nations ou le ferment révolutionnaire est prêt d'éclater. Trois grands faits dominent la situation mondiale : la guerre et ses conséquences, la faillite de la IIe Internationale et la Révolution russe. La guerre mondiale a enterré une fois pour toute l'idéologie de La Défense nationale qu'acceptaient qu'acceptaient comme doctrine Bebel et Jules Guesde.

Lénine et Martov même ont affirmé que la Défense nationale était, dans le régime actuel, une mystification et même une escroquerie. C'est décharger les gouvernements de leurs responsabilités que d'admettre la Défense nationale en certains cas, car les gouvernements s'arrangeront toujours pour invoquer ces cas. Mous avons tous notre part de responsabilité dans guerre meurtrière et dans la mauvaise paix. La guerre ne peut se faire qu'avec la complicité des nations.

J'ai peut de la guerre qui vient et c'est pourquoi je ne veux  pas [en] prolongeant l'idéologie de La Défense nationale, donner une force de plus à l'impérialisme des gouvernements.

Lorsque l'on voit les territoires et les océans devenir des problèmes pour la conclusion desquels on prépare des armées et on arme des flottes, je plains les camarades qui croient que devant cette situation nouvelle les anciennes formules peuvent suffire.

La faillite de la IIe Internationaie n'est pas seulement due à la question de la défense nationale, mais surtout à sa formation réformiste.

Au lieu de faire de la préparation révolutionnaire, on s'est surtout préoccupé du recrutement numérique et de l'action préfectorale.

Déjà avant la guerre il y avait quelque chose de pourri dans la IIe Internationale contaminée par l'opportunisme dont Lénine a dit qu'il était le plus grand ennemi de la classe ouvrière. Ce sont les socialistes opportunistes, les socialistes de défense nationale, les Scheidemann, les Noske, les Branting, les Vandervelde qui ont sauvé le capitalisme.

C'est contre cet opportunisme que se garantira le Parti par son adhésion à la IIIe Internationale.

La Révolution russe est internationale par ses origines, par son caractère et par ses conséquences.

La Révolution n'est pas un article de Moscou, c'est un article de Paris qui nous revient.

L'action des bolcheviks rayonnait de jeunesse et ils se sont toujours préoccupés de combattre l'opportunisme non seulement chez eux, mais dans tout le monde socialiste. Aujourd'hui on nous propose un réformisme sans réformes.

Où sont les réformes qui peuvent servir la cause de la Révolution ? II n'y en a pas et il n'y a pas, dans le monde bourgeois, de volonté réformatrice.

Ce que les bolcheviks nous ont appris, c'est qu'on doit préparer la Révolution sans, pour cela, la vouloir à tout prix immédiate. Ne l'ont-ils pas démontré en la préparant dès 1903 pour ne la réaliser qu'en 1917 ? Ils ont toujours repoussé la démagogie et la politique de la gymnastique révolutionnaire. On reproche aux bolcheviks de préconiser l'action clandestine et on veut distinguer entre l'action illégale et l'action clandestine. N'est-ce pas la même chose ? L'action du Comité pour la reprise des relations internationales dont faisait partie Longuet n'accomplissait-il pas une action clandestine et illégale ?

Puis, en arrivant aux conclusions Rappoport déclare qu'il aurait préféré, comme Leroy, qu'on ne fasse aucune réserve, mais il a cédé devant l'intérêt révolutionnaire et la révolution elle-même. Et il ajouté :

Ne soyez pas plus Russes que les Moscovites eux-mêmes.

Les bolcheviks ne demandent pas qu'on précipite l'action ni qu'on en brusque les formes. Ils demandent seulement qu'on soit sincère et qu'on n'adhère pas seulement du bout des lèvres. Les modifications que réclament les conditions locales seront faciles à obtenir pour nous si la IIIe Internationale se rend compte que nous abandonnons le réformisme néfaste pour entrer dans la voie révolutionnaire ; mais pour cela il ne faut pas qu'à tout instant on nous menace des mitrailleuses de la. bourgeoisie.

Raffin-Dugens. - Je m'étonne presque de trouver cet argument dans la bouche de ceux qui, pendant la guerre, demandaient à nos camarades des tranchées de n'avoir pas pour des mitrailleuses d'en face. (Applaudissements.)

Ce qui est notre tâche, conclut Rappoport, c'est de mettre le prolétariat universel à la hauteur de la situation mondiale. Si le capitalisme ne s'écroule pas, c'est le nationalisme triomphant, la guerre imminente, la mort de la France, et la mort de l'Europe.

Si nous devons être saignés et décimés, nous voulons que ce soit pour la Révolution et non pour le massacre des peuples.

Cette péroraison est saluée par de nombreux applaudissements et la salle du Congrès se vide lentement au chant de « Révolution ».

La séance est levée à sept heures et demie.

 

 

 

- « quelques textes », par Marcel Cachin [Je demande la permission de mettre sous les yeux des lecteurs de notre journal quelques passages exacts des citations (de Kautsky, Guesde, Engels) que j'ai cru devoir faire, hier matin, au cours de mon intervention au Congrès.]

- compte-rendu de la 3e journée du Congrès de Tours : « Le Congrès national aborde la discussion générale ; discours de Marcel Cachin, Paul Faure, Leroy, Léon Blum et Rappoport »

 

le 24 December 2020

 
 

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« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)