Trame de l'intervention préparée par Alain Ruscio
Alain Ruscio - décembre 2020
Paradoxe : l’histoire du PCF reste, aujourd’hui encore, alors que ce Parti n’a plus, dans la vie politique, ni le poids, ni la force d’attraction d’antan, un objet de controverses à nul autre pareil. C’est vrai en général, et peut-être plus encore lorsqu’on analyse la politique coloniale de ce Parti.
Or, l’historiographie sur cette question ne me paraît pas satisfaisante. Elle se situe encore bien trop sur le registre des réquisitoires et des plaidoyers.
Réquisitoire de droite : ce Parti a été celui de la trahison, du combat systématique contre les intérêts français outre-mer. Si ce discours a quelque peu disparu aujourd’hui, ne pas oublier qu’il a été prégnant durant toute l’ère coloniale. Ce n’est pas par hasard si le cri Le communisme, voilà l’ennemi ! a été poussé précisément en terre coloniale par un ministre de l’intérieur particulièrement combatif (Albert Sarraut, Constantine, 22 avril 1927).
Réquisitoire de gauche : le PCF aurait, par déviation réformiste et / ou par soumission aux intérêts d’État de l’Union soviétique, continûment sous-estimé la solidarité anticolonialiste. En gros, cette critique, certes présente dès l’ère coloniale (voir les articles polémiques de La Révolution Prolétarienne) s’est surtout exprimée depuis la décolonisation. Il fut un temps, autour de 1968, où même elle avait seule droit de cité.
Plaidoyer : on est ici dans le registre exactement inverse – mais, si l’on y réfléchit bien, étrangement complémentaire – : le PCF a un passé sans taches. Lorsque j’étais jeune militant, un de nos livres de chevet était un essai de Jean Fréville, La nuit finit à Tours. En quelque sorte, une nouvelle mouture de la célèbre formule : Du passé, faisons table rase. Avant le PCF, il n’y avait, dans le mouvement ouvrier français, que tâtonnements, hésitations, opportunisme… et, depuis le congrès de Tours, que luttes rectilignes.
Je n’ai pas un tempérament de centriste, mais je reprendrais volontiers les beaux vers de Racine : ce Parti n’a mérité
« Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »
Alors, quelle analyse ?
Je dirai d’abord que la politique du PCF, en matière coloniale, s’est faite contre les consensus, contre l’air du temps. Et cet air, durant trois quarts de siècle, en gros des années 1880 au début des années 1960, était totalement différent de celui d’aujourd’hui. En gros, les idées dominantes sur la question coloniale étaient, de façon écrasante, celles de la classe dominante. Il est facile – et quelque peu vain – d’être anticolonialiste en 2010, mais il faut bien se rendre compte que c’était un acte de résistance politique et intellectuelle durant toute l’ère coloniale,
Car il ne faut surtout pas oublier ce que fut l’activité de l’énorme appareil de propagande du Parti colonial, maître de tous les appareils idéologiques d’État et de la majorité des moyens d’expression. A l’apogée du système, dans l’entre-deux-guerres, la quasi totalité des hommes politiques, de Charles Maurras à Léon Blum, des intellectuels, de Paul Claudel à Jules Romains, avec de brillantes, mais rares, exceptions (André Gide, André Malraux…), des journalistes, ont exalté l’œuvre coloniale de la France outre-mer.
C’est contre ce consensus que, la plupart du temps seul comme force politique nationale, le PCF s’est battu.
Seconde affirmation : cette politique du PCF a été une construction permanente, avec des fondations, des murs solides, ses lézardes et, parfois, d’autres murs qui se sont écroulés et ont enseveli les principes.
Le PCF n’est pas né de rien. Il n’y avait pas, avant lui, de nuit. Et, surtout, elle n’a pas fini à Tours.
L’idéologie du PCF, en matière coloniale, a été une sorte d’héritière :
De 1920 à 1962, les communistes ont mené des luttes âpres, difficiles, en permanence à contre-courant. Et cela leur a valu la répression de plein fouet. Aucune organisation nationale n’a aussi violemment et aussi frontalement combattu le colonialisme :
1. Luttes contre la répression et les guerres coloniales
2. Luttes contre les initiatives du Parti colonial en métropole
3. Luttes pour les droits des immigrés d’origine coloniale en métropole
4. Le monde communiste, pépinière de la militance des colonisés
5. Le monde communiste, pépinière de héros modestes
Je dis bien héros modestes, à l’exacte opposé des héros positifs du réalisme socialiste d’antan. Si l’histoire du PCF a, évidemment, des faces critiquables, des faces noires, il y aurait une injustice à ne pas saluer ici, à l’occasion d’un anniversaire, les milliers de femmes et d’hommes qui ont sacrifié
à la cause de l’anticolonialisme.
On pense bien sûr aux militants connus, d’Henri Martin et Raymond Dien, toute la direction de l’UJRF en prison, lors de la GI, à Henri Alleg et les communistes algériens, dont Fernand Iveton, mort guillotiné, Henri Maillot, mort au maquis, Alban Liechti et les soldats du refus lors de la GA.
Mais aussi aux moins connus, les soldats, Goux, Tisserand, Cadeaux, envoyés à Cayenne pour fraternisation lors de la guerre du Rif, Robespierre Hénault, le maire communiste, de St Pierre-des-Corps, emprisonné pour avoir soutenu la grève d’octobre 1925 contre la même guerre, ou même les inconnus, les dockers de La Pallice ou de Marseille, les métallos, les milliers de grévistes qui perdirent leur emploi et connurent la misère profonde (voir la description romanesque chez André Stil) pour avoir refusé de fabriquer ou de manipuler des armes à destination de l’Indochine.
Mais l’histoire de l’engagement anticolonialiste du PC a également ses zones d’ombre
Et je partirai d’une constatation, amère : le PCF s’est éloigné de ses pratiques internationalistes les plus résolues lors des périodes de l’essor du mvt démocratique en métropole, Front populaire, Résistance et Libération :
Entre 1934 et 1935, changement radical du discours communiste, qui passe de la revendication absolue, passionnée, du droit à l’indépendance totale des colonies à un prudent réformisme, pour mieux coller aux thèmes gouvernementaux.
La cause doit en être cherchée certes dans la notion de compromis, les alliés du PCF, SFIO et Parti radical, étant restés sur des positions assimilationnistes, mais aussi dans la crainte de la montée des fascismes dans le monde. D’où raisonnement extrêmement spécieux du pt de vue des principes : « Le droit au divorce n’implique pas l’obligation de divorcer ». Concrètement, le PC demanda aux mvts nationalistes des colonies de renoncer – pour combien de temps ? personne ne le précisait et, probablement, personne ne le savait – au droit à l’indépendance.
D’où :
En 1945-1947, le PCF a réellement cru à une possibilité, par son poids électoral spécifique, par son influence dans ttes les couches de la population, par sa présence au sein de l’appareil d’État, de faire basculer vers la gauche la vie politique française, puis de dégager la route vers un socialisme à la française.
Ce n’est pas par hasard que ce soit précisément à cette époque (novembre 1946) que MT accorda au Times une interview dans laquelle, pour la première fois, il évoqua un passage pacifique vers le socialisme par d’autres voies que, naguère, les bolchéviks. Fut-ce réaliste ? Peu importe, pour notre raisonnement. L’important, c’est que les communistes y ont réellement cru et ont donc agi en conséquence.
D’où l’adhésion des communistes au programme du CNR (pourtant plus flou encore que celui du FP) puis, surtout, la défense et illustration du concept d’Union française.
Cela peut expliquer mais évidemment pas justifier l’intolérable analyse communiste de la répression du 8 mai 1945 dans le Constantinois (nationalistes assimilés à agents du fascisme international), la gêne des débuts de la GI (ministres communistes « coincés »).
Cela durera d’ailleurs longtemps : renonciation à UF slmt en 1956, donc après GI et deux années de GA…
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que c’est cette même année 1956 que Césaire, précisément, choisira de quitter le PCF, accusant ses anciens camarades de « fraternalisme ».
D’où cette première déclaration du 8 novembre :
condamnation de la répression « férocement colonialiste »
affirmation : « Les événements qui se déroulent actuellement en Algérie résultent essentiellement du refus opposé par les gouvernants français aux revendications nationales de l’immense majorité des Algériens, ce refus s’ajoutant à une misère généralisée et croissante, conséquence directe du régime colonial qui sévit dans ce pays ». On lit plusieurs fois la formule « problèmes politiques de caractère national »
condamnation du « recours des actes individuels », faisant le jeu des colonialistes, « si même ils n’étaient pas fomentés par eux »
C’est l’ensemble de cette déclaration qu’il faut évaluer. Et je regrette que la quasi totalité des études sur la question ne retiennent que le membre de phrase sur la condamnation des « actes individuels ».
Dans le même temps, L’Humanité, seul quotidien national à ne pas hurler avec les loups, commence une série d’articles dénonçant la répression, les « tortures dignes de la Gestapo infligées à des Algériens » (députée communiste Marie Lambert, qui signe Marie Perrot, 8 novembre), les « mitraillages terroristes de l’aviation » (10 novembre), la « terre brûlée dans l’Aurès » (Robert Lambotte, 2 décembre)…
À noter toutefois – cela n’est jamais mentionné dans les études historiques que, le 5 novembre 1954 (Anniversaire de la Révo d’octobre au Vel’ d’Hiv’), Duclos prononce un discours ds lequel il prononce tyrois fois le mot « indépendance » (Huma, 6 novembre) : « Il n’est nullement question, pour nos gouvernants, de demander l’avis des populations de l’Afrique du Nord, dont ils méconnaissent cyniquement les aspirations nationales et la volonté d’indépendance. Les colonialistes semblent croire à l’éternité de leur domination, mais il faut bien voir qu’un vent de liberté et d’indépendance souffle de plus en plus fort dans les pays soumis à la domination des colonialistes, comme en ont témoigné et en témoignent notamment les événements de Tunisie, du Maroc et ceux d’Algérie.La seule politique juste et raisonnable consisterait à reconnaître aux peuples coloniaux le droit à l’indépendance et à conclure avec eux des traités culturels et économiques. »
Ce texte est important. Mais laisse la question entière : pourquoi, ensuite, pour deux années pleines, ce mot disparaît-il du vocabulaire du PCF ?
Premières tentatives de manifestations (UJRF), maigrelettes.
La première manifestation de rue signalée date du 24 septembre 1955 : quelques centaines de jeunes, ce jour-là, descendent la rue de Belleville, dans le XX è arrondissement de Paris, et distribuent un millier de tracts, avant de se disperser avant l’arrivée de la police.
L’année 1956 est celle des paradoxes dramatiques
Il faudra tout de même attendre vingt années pour qu’apparaisse sous la plume d’un dirigeant communiste, Étienne Fajon, un regret (ce vote était « contestable », 1976), puis un quart de siècle encore pour qu’un autre ose le mot « erreur » (Roland Leroy, 2001). L’autocritique n’a fait, on le voit, qu’un apparition tardive dans la culture communiste… (la véridique, pas celle imposée par les appareils).
En guise de conclusion
Je reviens à ce que j’ai appelé en introduction l’idéologie communiste en matière coloniale en forme de cocktail : Lumières, Révolution française, MOF, léninisme, stalinisme… Quel peut bien ê le pt commun de ts ces courants ? Il y a, me semble-t-il, les notions, déjà évoquées, de centre et de périphérie.
Les communistes fçais ont eu continument, en tt cas jusqu’à un moment avancé du processus de décolonisation, la conception que la démocratisation progressive de la société française, grâce à leur action, pourrait ê bénéfique aux marges, aux peuples colonisés.
Il faut faire ici appel à la thématique de la « partie » et du « tout ». La plupart des études attribuent la paternité de cette expression à Maurice Thorez, en 1956. Or, elle a, à ce moment, déjà au moins deux décennies d’existence. Elle est y née, j’y reviens, avec le FP : c’est Gabriel Péri, au VIII è Congrès du PCF, en 1937, qui l’utilise pour la première fois : la question coloniale est « une partie subordonnée par rapport à un tout, qui doit être traitée par rapport à ce tout ». Thorez, donc, en mars 1956, ne fait que la reprendre, lorsqu’il tente de justifier le vote des pouvoirs spéciaux en Algérie, en mars 1956 : « Le Parti communiste n’a pas voulu sacrifier le tout à la partie ». Qu’est-ce que « la partie » ? C’est la guerre d’Algérie, qualifiée d’« affaire très importante, mais pourtant délimitée à la préoccupation essentielle ». Qu’est-ce donc que ce « tout », quelle est la « préoccupation essentielle » ? Dans le monde, c’est l’existence du monde socialiste, avec en son cœur l’Union soviétique ; dans la vie politique métropolitaine, au sein de laquelle le PC mène son combat général (càd englobant l’émancipation future des colonies).
On peut comprendre que les colonisés, eux, ne pouvaient, ni ne voulaient, attendre la démocratisation, après tout hypothétique, d’une France par la suite émancipatrice. Les dirigeants du FLN, dt certains étaient de ttes façons anticommunistes, ne se privèrent pas de le faire remarquer. Césaire l’avait dit dans sa lettre de rupture à ses anciens camarades, précisément en 1956. Un autre colonisé, Nguyen Ai Quoc, devenu Ho Chi Minh, fit de même, à sa façon : en faisant la Révolution chez lui sans, à vrai dire, attendre ni le PCF ni l’Internationale ;
Tant il est vrai que, paraphrasant une formule célèbre, la libération des colonisés fut l’œuvre des colonisés eux-mêmes.