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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du samedi 27 novembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du samedi 27 novembre 1920

 

 

Les premiers communistes français et le Réformisme - par Maurice Dommanget

En demandant la répudiation du réformisme, Moscou est dans la plus ancienne tradition communiste française, car c'est par la « Conjuration des Égaux » que le socialisme est entré dans l'histoire.

Tous les leaders babouvistes, sauf Antonelle, doutaient de l'efficacité des réformes. S'ils préconisaient dans leur programme d'action immédiate et comme en « hors d'œuvre » le rétablissement de la Constitution de 1793, c'était pour rallier le peuple, « pour l'amener à se prononcer sur l'objet constant de ses vœux secrets ». Mais les babouvistes ne se faisaient pas d'illusions sur la Constitution de 1793, ils en voyaient très bien les graves défauts et réprouvaient particulièrement les articles qui en définissant le droit de propriété, consacraient celui-ci « dans toute son effrayante latitude ».

Buonarroti fait parfaitement sentir que le remède n'est pas dans des « modifications du droit de propriété », mais dans son « entière abolition ». Toutes les mesures destinées à diminuer les ravages de l'inégalité, toutes les lois réformatrices n'opposent au torrent impétueux de l'opulence « que de faibles remparts toujours minés et renversés par l'action de l'avarice et de l'orgueil ». Pourquoi ? Parce que, écrit Buonarroti, « le maintien du droit de propriété fournit constamment mille moyens de franchir tous les obstacles ».

Descendant du général au particulier, Buonarroti examine l'impôt progressif préconisé par certains démocrates. Il en montre la dérision, étant donné la difficulté d'une « estimation exacte des fortunes », puis, admettant par impossible son fonctionnement convenable, il le rejette quand même : « Cette manière d'asseoir l'impôt, écrit-il, serait tout au plus un acheminement au bien ; elle pallierait le mal, mais elle n'en couperait pas la racine ».

Voilà qui est déjà bien. Mais la controverse entre Babeuf et Antonelle est autrement suggestive. Elle mérite d'être rapportée.

Antonelle, rédacteur de l'Orateur plébéien, reconnaissait que le communisme - ou comme on disait alors la communauté des biens, - est le seul état juste, bon, conforme aux lois de la nature. Mais, invoquant les contingences, il désespérait d'extirper le chancre capitaliste. En conséquence, il entendait « le cerner de toutes parts, et, si l'on ne peut encore le repousser et le circonscrire dans de plus étroites bornes, lui opposer au moins des calmants qui arrêtent ses ravages ». Cela voulait dire que par des lois « dirigées contre l'ambition et l'avarice », Antonelle pensait atteindre « un degré supportable d'inégalité sociale ». Cela impliquait, évidemment, la croyance en la possibilité et en l'efficacité de la réforme dans la société capitaliste. Nos modernes opportunistes ne pensent pas, ne parlent pas autrement.

Mais Antonelle pouvait encore s'illusionner sur la valeur des lois sociales : en 1797, l'expérience démocratique ne faisait que commencer.

Voyons comment Babeuf répond à son camarade. D'abord, qu'est-ce que ce degré supportable d'inégalité dans les fortunes donc Antonella se contente ? Où commence et où fini-t-il ? N'est-il pas plus difficile à fonder que le régime d'égalité ? Mauvais système. Si le peuple « au grand jour » transige avec les scélérats, s'il se contente d'une demi justice, il est presque sûr de ne point l'obtenir. La classe bourgeoise, la « caste friponne du million » marchandera, temporisera, et le peuple, bonne bête, sera dupe une fois de plus. Pas de demi-mesures. « Les lois populaires partielles, dit Babeuf, les demi-moyens régénérateurs, ces simples adoucissements… sont toujours sans solidité. La loi Licinia à Rome, celle du maximum en France durèrent peu et furent aisément éludées ».

On voit que Babeuf rejette impitoyablement les moyens réformistes. Pour renforcer son point de vue, il cite même Diderot qui considère les palliatifs non seulement comme des causes premières, mais comme des causes secondes des maux de l’humanité.

« Souvent, dit en effet, l'auteur de la Religieuse, ceux qui les ont faites (les lois) ont adopté comme bons de véritables abus et ont travaillé, pour ainsi dire, à perfectionner, régler l'imperfection elle-même et les choses les plus répugnantes au bon ordre ».

Tel est bien l'avis de Babeuf. « Non, non, Antonelle, dit-il, ce n'est point à la fin du dix-huitième siècle, ce n'est pas lorsque nous sommes investis de toutes les lumières de l'expérience et de la philosophie, que nous devons chercher à étançonner, à appuyer de faibles contrepoids, à soutenir ce vieil édifice de la propriété individuelle qui a servi durant tant de siècles d'antre dévorant où allait s'engloutir la substance du plus grand nombre ».

Comment ? La misère est à son comble, la classe ouvrière gémit, la « sociabilité est prête à se dissoudre », suivant le mode de Diderot, et c'est le moment qu'Antonelle choisit pour consolider, pour étançonner la caverne des brigands ?

C'est trop fort ! « Laisse, Antonelle, laisse les malheureux jetés hors de la société par les monstres de la caverne, laisse-les faciliter son prompt écroulement ; ne viens pas avec tes étançons, tes contrepoids ; ne viens pas aussi pour régler, perfectionner l'imperfection. Laisse 24 millions d'Erostrates renverser à tes yeux le temps infâme où l'on sacrifie au démon de la misère et de l'assassinat de presque tous les hommes. »

On voit que la répudiation des illusions du réformisme - qui est un moyen de duperie bourgeoise et de corruption du mouvement ouvrier, - était déjà menée par les principaux babouvistes.

En inscrivant dans ses postulats avec la dictature du prolétariat, la IIIe internationale rejoint donc la plus ancienne tradition communiste française.

Des audacieux prétendent que pour entrer dans la IIIe internationale, il nous faut renier l'histoire socialiste de ce pays.

Erreur profonde, pour entrer dans l'Internationale communiste, nous n'avons pas à renier l'histoire socialiste, nous n'avons qu'à y revenir.

Maurice Dommanget.

 

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Chômag​e - par Marcel Cachin

Appelé jeudi dans le Nord, par nos camarades de la région roubaisienne du textile, il m'a été donné d'interroger les hardis militants de Croix et des environs sur la situation présente de l'industrie locale.

Un chômage intense y sévit, particulièrement pénible en ce début d'hiver. Dans la plupart des usines, on ne travaille que quelques jours, un, deux ou trois par semaine, et comme la vie y est fort chère, la détresse du prolétariat peut devenir rapidement générale. Pourquoi c'est arrêt subit de la production ?

Les patrons possèdent de gros stocks de marchandises ouvrées. Ils détiennent également en abondance les matières premières nécessaires à leur industrie.

Mais les tissus qu'ils vendent et que revendent les marchands ont atteint des taux si élevés que les acheteurs se refusent désormais à acquérir des produits devenus somptuaires. On use ses vieux vêtements ; on fait retourner son pardessus ; on utilise les laissés pour compte de la garde-robe. Dès lors, les stocks accumulés par les fabricants ne s'écoulent pas ; et puisque les commandes n'arrivent plus on licencie les ouvriers et les ouvrières. On crée la morte-saison dont le nom par ce temps est deux fois plus justifié puisque si elle dure ce sera la saison où l'on meurt.

Mais les capitalistes imprévoyants du textile sont menacés eux-mêmes d'un péril grave. Pour écouler les produits en magasin, une seule solution ; diminuer les prix de vente afin de les rendre accessibles au public qui aujourd'hui se dérobe. Or, abaisser les tarifs dans des proportions importantes, c'est diminuer à tel point les profits que pour de nombreux patrons c'est la catastrophe.

Grandes maisons de vente sur le compte desquelles courent des bruits alarmants ; grands capitalistes de la production menacés dans leur crédit ; ouvriers et ouvrières réduits aux secours de la bienfaisance publique, quel est le bilan. Tel est le produit sûr de « l'ordre » bourgeois. Au milieu de cette anarchie, les docteurs de la science économique officielle offrent leur orviétan. Ils s'en prennnent avec une fureur comique à la journée de huit heures, au bolchevisme, aux exigences des travailleurs, à la vague de paressse, à toutes les sottises que ressasse leur presse servile. En réalité, il y a là un symptôme nouveau de la dislocation du régime qui, de plus en plus, est incapable d'assurer normalement son existence. Les contradictions internes de la société capitaliste apparaissent ainsi aux yeux des moins socialistes ; ce n'est pas nous qui créons les conditions de la Révolution sociale ; nous constatons un état de fait qui ne peut trouver sa conclusion que dans la suppression de l'organisme bourgeois lui-même.

Marcel Cachin.

 

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Le complot

La libération des emprisonné s'impose

[…]

L'effondrement

Nice, 26 novembre. - (Par téléphone de notre correspondant.) - Un non-lieu vient d'intervenir en faveur du Dr Gillard qui avait été arrêté sous prétexte de complot au mois de mai dernier et qui, après plusieurs semaines d'emprisonnement, avait bénéficié d'une mise en liberté provisoire.

 

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Le Congrès International syndical

La réponse à Moscou

Londres, 26 novembre. - (Par téléphone de notre correspondant particulier). - Le congrès a discuté ce matin la question du change. À la demande des délégués hollandais, la Commission a présenté un amendement recommandant l'annulation mutuelle des dettes de guerre comme l'un des moyens efficaces pour atténuer les effets de la crise du change. Elle demande en outre que le montant total des indemnités dues soit fixé uniformément, et que les paiements soient faits par l'intermédiaire de la Ligue des Nations.

De l'avis du Congrès, la mesure avantagera les États débiteurs.

Les délégués norvégiens et italiens de la Commission se sont opposés à cette résolution. Aucune amélioration ne sera possible, déclarent-ils, tant que le système socialiste ne sera pas établi.

Bonzzi (Italie) propose de réclamer non seulement l'annulation des dettes de guerre, mais également celle des réparations.

Jouhaux plaide en faveur de la Ligue des Nations qui peut être utile aux ouvriers du monde. L'association avec la Ligue ne doit pas entraîner l'abandon de l'action directe.

La résolution générale qui déclare que les problèmes financiers sont inséparables de la situation économique, qui réclame une paix universelle, et préconise un emprunt international basé sur les richesses et les ressources de toutes les nations a été votée par le congrès. La Norvège l'Italie, le Canada ont voté contre.

L'amendement des Hollandais a été adopté également. La Belgique, le Canada votant contre, l'Angleterre s'abstenant.

Une résolution sur la socialisation a été présentée par la Commission et votée sans opposition. Elle demande la socialisation de la terre et des moyens de production. Comme première mise à exécution, elle préconise la socialisation de l'industrie minière, des transports et de toutes les branches de production qui dans l'opinion du prolétariat de chaque pays sera réalisable.

Elle recommande en outre que le bureau de l'Internationale ouvre des négociations avec l'Internationale des mineurs, celle des marins et des ouvriers des transports, en vue d'atteindre ce but.

La séance de l'après-midi a été consacrée à la discussion du système des soviets.

Dumoulin (France) qui a présenté une résolution, s'est élevé contre les calomnies lancées contre le Congrès. Aucun gouvernement communiste ou socialiste n'a le droit, dit-il, de calomnier une organisation comme la nôtre. La prise du pouvoir n'autorise pas les bolcheviks à dicter son devoir au syndicalisme international.

D'Aragona (Italie), en annonçant que l'Italie s'abstiendra de voter, a déclaré que les délégués italiens reconnaissaient le bien-fondé des critiques faites et qui sont la conséquence de l'attitude de certains centres syndicalistes nationalistes envers la guerre et la révolution russe.

À une interruption de Grissen (Belgique), qui fait remarquer que D'Aragona avait participé à l'élaboration de la résolution, le délégué italien a déclaré qu'il s'était rallié à une résolution approuvant tous les efforts qui seront faits pour exclure l'aile droite du mouvement syndicaliste.

La résolution de la commission a été votée par 22 122 000 voix contre 150 000 et 2 300 000 abstentions.

La Norvège a voté contre, l'Italie s'est abstenue. La résolution est très longue et est intitulée : Résolution contre la soi-disant Internationale syndicale de Moscou. Elle relève le dernier manifeste de Moscou, et sa menace de détruire l'Internationale jaune d'Amsterdam. Elle ajoute que ces attaques n'émanent pas du prolétariat russe, qui ne doit pas en être rendu responsable. « Ces critiques calomnieuses, dit la résolution, font preuve d'ignorance ou de mauvaise fois. »

Elle continue en demandant au Congrès de déclarer qu'il ne se laissera pas diviser ni détruire, et d'assurer leur autonomie aux organisations affiliées.

La résolution termine en envoyant son salut aux ouvriers russes et à tous ceux qui ont été trompés sur les buts de l'Internationale syndicale. - C. David.

 

 

 

Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du samedi 27 novembre 1920

- « les premiers communistes français et le Réformisme » par Maurice Dommanget - « pour entrer dans l'Internationale communiste, nous n'avons pas à renier l'histoire socialiste, nous n'avons qu'à y revenir. »

- « chômage » par Marcel Cachin, à la suite de son meeting à l’invitation de la section de Croix où il a appréhendé la crise dans le textile roubaisien

- « le complot » prétendu des syndicalistes grévistes de mai

- suite du Congrès International syndical à Londres : « la réponse à Moscou »

 

le 26 November 2020

 
 

Il y a cent ans : L'Humanité au jour le jour

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)