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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du lundi 22 novembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du lundi 22 novembre 1920

 

 

La discussion s​ur la IIIe Internationale a continué hier au Congrès fédéral de la Seine

La deuxième journée du Congrès de la Fédération de la Seine produira certainement l'impression la plus réconfortante dans les masses profondes du Parti.

Après un discours excellent de Paul Louis, qui, avec sa profonde connaissance de la doctrine socialiste et de la situation internationale, a magistralement exposé les arguments favorables à l'adhésion, le citoyen Renaudel a défendu la motion Blum.

Des incidents tumultueux ont marqué son intervention, mais les délégués, à l'appel véhément de Georges Pioch, ont tenu à faire respecter le droit de parole. Il faut se féliciter du résultat ainsi obtenu.

Puis, avec l'accent de sincérité la plus profonde, Raoul Verfeuil a parlé en faveur du rapprochement des forces révolutionnaires et de l'unité. Une ovation émouvante l'a accueilli lorsqu'il s'est écrié : « Quelle que soit la décision que prendra le Congrès national, je déclare hautement que je resterai dans le Parti ! »

Il semblait que des nuées mauvaises se déchiraient et que l'atmosphère lourde de passions s'éclairait soudain.

Et enfin Paul Vaillant-Couturier, en conclusion d'un nerveux discours en faveur de l'adhésion, lança un appel vibrant à l'unité révolutionnaire. Le Congrès applaudit longuement sa péroraison généreuse adressée à notre camarade Longuet et à ses amis pour leur demander de se serrer autour de la majorité du parti pour une action commune.

Jean Longuet qui, en raison de leur tardive, dut écourter son discours, s'associa, d'une manière générale, aux déclaration de Verfeuil, tout en s'élevant contre les exclusions pour faits de tendance.

On peut dire qu'hier un grand résultat d'unité socialiste et révolutionnaire a été assuré.

Dans toute la France, les camarades qui veulent non seulement sauvegarder mais développer les forces d'action du Parti, s'en réjouiront grandement et, dans toutes les Fédérations, l'œuvre des socialistes de la Seine sera reprise et amplifiée.

 

LA SÉANCE DU CONGRÈS

Le Congrès fédéral de la Seine, qui avait tenu deux séances, à la Bellevilloise, le dimanche 14 novembre, s'est réuni hier dans la salle des fêtes de la mairie du Pré-Saint-Gervais.

Au début de la séance du matin, - présidée par Boistard, mère du Pré, assisté de Laroche et Piétri - il est décidé, après un échange de vues, - et sur la proposition de Paul Louis, - que le temps dont dispose le Congrès dans la journée sera divisé en quatre fractions. Les partisans de la motion Cachin-Frossard, ceux de la motion Longuet-Faure, ceux de la motion Paoli-Blum, et ceux de l'amendement Heine, - disposeront chacun d'un quart du temps. Les orateurs parleront dans l'ordre suivant : 1° Paoli-Blum ; 2° Longeut-Faure ; 3° Cachin-Frossart ; 4° amendement Heine.

 

MONTAGNON

Montagnon indique tout de suite que la question de la IIIe Internationale fait surgir entre les partisans de la motion Paoli-Blum, - qu'il défend, - et ceux de l'adhésion, un inconciliable différend sur la doctrine et sur les méthodes.

Comme cela nous mènera très probablement à faire la scission à Tours, - ayons, camarades, cette dernière courtoisie de nous parler les uns aux autres avec franchise et en évitant les petites habiletés subalternes.

Le différend sur les méthodes

Notre camarade essaye d'abord de montrer que l'organisation des Partis socialistes préconisée par la IIIe Internationale est opposée au statut actuel de notre Parti.

Suivant la pratique des organisations bolcheviks d'avant la guerre, vous voulez que l'impulsion parte d'en haut. Et cela est d'ailleurs nécessaire pour la mise en œuvre de cette méthode proprement insurrectionnelle préconisée par Moscou.

Au contraire, dans notre Parti, l'impulsion vient d'en bas, et les organes supérieurs ne sont que les exécuteurs de la volonté de la masse.

Même opposition entre la pratique syndicale française et la politique - de subordination des noyaux syndicalistes révolutionnaires au parti, et de l'Internationale syndicale à l'International politique - proposée par Lénine.

Songez, pour apprécier cette opposition, qu'au congrès de la C.G.T., à Orléans, les minoritaires mêmes, Bouet, Mayoux, Sirolle, ont rejeté la domination, sur le mouvement syndical, de tout parti politique, - quel qu'il fût !

Montagnon en vient aux organisations illégales. Il rappelle que Moscou leur donne la prépondérance sur le Parti officiel.

Dans un pays comme le nôtre, où la plus minuscule réunion est contrôlée par un policier, où les agents provocateur foisonnent une telle politique est-elle possible ?

Voix diverses. - Oui ! Oui !

Montagnon. - Camarades, vous m'épouvantez, de vous engager avec des armes tellement minimes contre une organisation redoutable. Vous devriez être des conducteurs d'hommes ! Non, vraiment vous n'avez pas le droit de livrer une bataille vouée à la défaite !

Des voix. - Qui propose cela ?

Montagnon. - Il y a des textes ! Si vous les acceptez, cela vous engage à entreprendre une certaine action.

Vous avez lu, ces jours-ci, un appel aux ouvriers français où l'on vous demande de faire sauter des trains de munitions…

Eh bien ! moi, je vous dis… J'avoue publiquement que je ne pourrais pas faire cela. Je ne veux donc pas le conseiller à la masse…

Des voix. - On le sait !

Montagnon. - Et d'ailleurs, je connais intimement des camarades absolument inaptes à faire sauter un train qui cependant votent des motions engageant les autres à faire ces actions.

Le différend doctrinal

Montagnon reprend la distinction, développée déjà par Léon Blum, entre la révolution et la conquête de l'État. Il envisage, à ce propos, le cas d'une prise de possession prématurée du pouvoir aboutissant à un état social inférieur à l'état bourgeois, - et il dit :

À force de discuter, nous perdrons de vue la raison humaine de notre action… Et si votre révolution aboutit à l'accroissement des charges de la population laborieuse, - je ne vous le cache pas, - je suis contre cette révolution-là !

Notre camarade expose ensuite que la dictature n'est tolérable que si elle est brève et exercée par un parti aux rouages démocratiques. C'est pourquoi il faut, au sein de la société capitaliste, former les institutions et les hommes capables de faire vivre la société socialiste.

Montagnon envisage les difficultés de la vie d'un jeune État prolétarien entouré de paysans et de petits bourgeois hostiles, et combattu par les détenteurs des grands services publics :

C'est pourquoi vous devez, dès maintenant, mettre sous le contrôle de l'État les services publics. Ainsi quand vous vous emparerez de l'État, vous jouirez non seulement du bénéfice des institutions politiques mais du pouvoir afférent à la direction des grands monopoles.

Et notre camarade conclut ainsi :

Pour nous, l'important, c'est la révolution économique ; pour vous, c'est la révolution politique.

Sans doute, à Tours, nous nous séparerons.

Mais, camarades, malgré vos motions incendiaires, ce qui déterminera votre action, c'est la situation économique, cette situation que vous vous refusez à étudier. (Protest.)

Oui, je sais que depuis 10 ans, on n'étudie plus dans le Parti. Autrefois, nous lisions Bernstein, Kautsky. Cela nous donnait une certaine liberté d'esprit et valait mieux que d'approuver, sans les lire, les thèses de Lénine.

 

CHEVALLIER

Chevallier défend la motion Longuet-Faure.

Il a, dès mars 1918, préconisé l'adhésion à la IIIe Internationale. Mais il ne connaissait pas alors les conditions. Il se faisait, en particulier, de la dictature du prolétariat une idée très différente de celle de Lénine.

D'après Lénine, la dictature du prolétariat, ce n'est pas la dictature du prolétariat, - c'est celle de l'élite, - et même seulement d'une fraction de l'élite.

Or, il est bien dangereux de donner des pouvoirs dictatoriaux à un comité. On corrompt facilement un comité alors qu'on ne suborne pas une masse.

L'orateur critique la méfiance des intellectuels incluse dans les thèses de Moscou. Puis il reproche aux auteurs de la motion Cachin-Frossard de prétendre adhérer sans réserves alors que leur texte en contient d'implicites. Chevallier assure que ceux qui combattent le réformisme en font à l'occasion. Il cite les noms de bourgeois qui font partie du Comité d'action.

Georges Pioch. - L'allusion est trop directe. Il n'y a pas de connivence entre le Comité d'action et le Comité de la IIIe Internationale. Chevallier, vous êtes peut-être Romain, vous êtes peut-être Brutus, vous livreriez sans doute votre fils. (Applaudissements).

Chevallier. - Je suis partisan du Comité d'action naturellement. Mais, quand certains camarades se cantonnent dans une opposition verbale, ils font des dupes.

Et Chevallier continue :

Allez-vous demander au groupe parlementaire de faire des professions de foi bolcheviste ? Non ! vous lui demandez d'obtenir une amnistie plus large !

Et si la réaction temps de défaire la loi de huit heures, demandez-vous au groupe parlementaire d'affirmer le principe des Soviets, en vous désintéressant de la défense des huit heures ?

Chevallier critique ensuite la suppression de la R.P., la tactique terroriste. Enfin il regrette que tous les efforts n'aient pas été faits pour conclure une entente, et il conclut en disant :

Il y a de nos camarades qui brisent l'unité avec une telle légèreté que j'en suis épouvanté.

Après le discours de Chevallier la séance est levée.

 

PAUL LOUIS

Paul Louis prend la parole, au début de la séance de l'après-midi, pour défendre la motion Cachin-Frossard. Il se propose principalement de répondre à Blum, mais son discours envisage la situation internationale, analyse la crise du socialisme, et précise mille points de doctrine.

Notre camarade décrit le bouleversement du monde depuis 1914 :

Avant 1914, nous avons connu l'aspect harmonieux du capitalisme. En 1914, nous sommes entrés dans la période catastrophique, dès longtemps prévu par Marx.

Or, l'exposé fait, dimanche dernier, par Blum, eût pu être présenté en 1912 et 1913. Notre ami a parlé, comme s'il n'y avait rien de changé entre la structure du monde d'aujourd'hui et celle du monde de 1914.

La déviation révisionniste

Paul Louis montre que la situation est révolutionnaire. Il rappelle les conflits entre ouvriers et patrons anglais qui furent réglés par la diplomatie industrielle, mais qui peuvent renaître demain et trouver une issue seulement dans la violence. Il évoque les prises de possession d'usines en Italie, et fait entrevoir que demain, des circonstances, pourra surgir un mouvement révolutionnaire en France.

Ce mouvement qui agite le prolétariat mondial, Paul Louis considère qu'il est une réaction contre le réformisme et le révisionnisme qui se sont développés pendant la guerre.

Cette déviation révisionniste est un fait général, car elle s'est produite même dans les pays neutres.

Et l'orateur souligne qu'en Suède des réformistes ayant eu tout le pouvoir politique à leur disposition ont dû démissionner sans avoir réalisé une seule réforme prolétarienne. En Belgique, un fait analogue a eu lieu.

C'est de ce révisionnisme que la deuxième Internationale est morte. Ce qui l'a tuée, c'est que ses sections nationales ont pratiqué la collaboration de classes.

La reconstruction est aujourd'hui impossible

Paul Louis oppose alors au révisionnisme la politique de la minorité française pendant la guerre ; et il montre que l'adhésion du Parti à la IIIe Internationale est la conclusion de cette politique :

Je m'adresse aux camarades avec qui j'ai lutté pendant la guerre et je leur dis : « Abandonnez-vous aujourd'hui l'action commencée en 1915 ? »

L'orateur explique la « reconstruction » de l'Internationale est aujourd'hui impossible :

À Strasbourg, la majorité a manifesté son accord avec les thèses de la IIIe Internationale. 

De plus, elle avait décidé d'entrer en négociations avec l'Italie : mais celle-ci reste avec la IIIe Internationale ; - avec l'Angleterre : mais celle-ci reste avec avec la 2e Internationale…

Paul Louis montre que toute conférence de reconstruction est actuellement vouée à l'échec, ou plutôt que « la reconstruction ne peut plus être faite que dans la IIIe Internationale ». À quoi, Verfeuil observe :

- Nous sommes tout à fait d'accord !

L'orateur essaie alors de montrer, - par des citations de documents, publié en France depuis plus de deux ans, - (Le Programme, de Boukranie ; L'État et la Révolution, de Lénine : Les problèmes du pouvoir des Soviets) - que la doctrine exposée dans les thèses était connue dès longtemps en France.

Puis Paul Louis fait voir qu'on juge mal la Révolution russe si on la sépare des conditions de son développement.

La révolution russe a subi l'assaut du monde capitaliste comme la révolution française subit l'assaut de la coalition des monarchies, - et comme celle-ci, elle a dû concentrer les pouvoirs.

Mais, après la cessation du blocus, le centralisme de la révolution sans doute diminuera.

Analyse des thèses

Notre camarade fait alors une analyse succincte des thèses de la IIIe Internationale et montre qu'elles reprennent les idées du vieux socialisme exposé jadis par Guesde et Vaillant.

L'idée fondamentale du bolchevisme c'est l'idée de lutte de classes sans laquelle il n'y a pas de socialisme.

Quant au réformisme, qui le défendra ? L'expérience l'a condamné.

Le parlementarisme ? Attend-on de lui la transformation sociale ?

La dictature du prolétariat ? Hélas ! nous n'avons le choix qu'entre deux dictature : ou celle de la bourgeoisie, que nous subissons, ou celle du prolétariat.

La coopération entre le Parti et les syndicats a toujours été réclamée. D'ailleurs, il y a en France une situation spéciale pour les syndicats : situation à laquelle la motion Cachin-Frossard a égard. Mais il faut cependant pour que l'entente entre les deux organisations ait lieu, que toutes deux se placent sur le même plan.

L'idée de la révolution internationale, elle est une vieille idée révolutionnaire française…

Organisation et tactique

Enfin Paul Louis examine les modifications proposées aux statuts du Parti. Il se plaint de l'indiscipline du groupe parlementaire.

On a parlé de dictature dans le Parti ! Quelle exagération ! Le conseil national continuera à exister. On pourra même multiplier ses sessions, - et envisager des modalités permettant aux militants de province de participer davantage à la direction du parti.

Puis notre camarade défend ses amis du reproche « de vouloir la Révolution pour demain ».

« Nous ne prêchons pas l'émeute ! Nous demandons seulement aux socialistes révolutionnaires de se séparer des réformistes », - disait Zinoview, il y a peu de jours. C'est là la formule de notre tactique de demain.

Le fait fondamental, c'est que la situation est révolutionnaire… Et ce serait camarades, une lâcheté et une trahison si nous laissions passer le moment de faire la révolution !

Enfin Paul Louis conclut en évoquant le rôle que pourrait jouer le Parti français dans la Révolution mondiale. Il rappelle le beau rôle joué par Longuet et Paul Faure pendant la guerre, et il les engage à se mettre à rejoindre la majorité du Parti pour renforcer la cause de la Révolution.

L'orateur est longuement applaudi, et l'assemblée décide l'impression et la publication de son discours.

 

LEROY

C'est ensuite au nom de la motion Heine (amendement à la motion d'adhésion sans réserves) Leroy (14e) qui prend la parole.

« Si nous présentons cette motion, explique-t-il au milieu d'une certaine agitation et à travers de nombreuses interruptions, c'est parce que nous avons trouvé dans la motion du Comité de la IIIe des réserves alors que nous n'en voulons aucune. Sur trois points notamment on a modifié les conditions posées par l'Internationale communiste. Le but de la motion est de les rétablir. »

Ceci nous paraît indispensable, termine Leroy, pour permettre notre adhésion.

 

RENAUDEL

Renaudel monte à la tribune. Dès son apparition il est accueilli par une manifestation d'une extrême violence. Des huées partout surtout des tribunes réservées au public. Quelques délégués applaudissent par contre-protestation. Une intervention vigoureuse de Georges Pioch est indispensable pour ramener le calme… au bout d'un certain temps.

Renaudel peut alors s'exprimer. Mais dès ses premiers mots un nouvel incident surgit :

Je vous préviens, déclare Renaudel que contrairement à mon habitude je suis décidé à ne pas résister aux interruptions. Si on m'interrompt je quitterai la tribune. Et je vous préviens, ajoute-t-il, que c'est une manœuvre…

Vaillant-Couturier. — … Et vous vous y connaissez.

Renaudel. - Vous aussi, Vaillant-Couturier qui, nouveau venu, êtes entré au Parlement en laissant croire que c'était de l'action révolutionnaire.

Le Parti se trouve actuellement, continue Renaudel, en face d'un problème d'où dépend son existence même. Il s'agit de savoir s'il restera tel…

À nouveau le Congrès se livre à des manifestations bruyantes. Fidèle à sa promesse, Renaudel descend de la tribune et il faut insister auprès de lui pour qu'il y remonte continuer un discours qui sera à nouveau et maintes fois interrompu et donnera lieu à plusieurs incidents.

« Le socialisme de guerre »

Constatant la situation actuelle du Parti et l'inquiétude des militants devant les exclusions annoncées, Renaudel déclare avec force :

Non, on ne doit pas défendre un seul de nous parce qu'il est directement menacé. Il y a une solidarité entre tous ceux qui ont fait la même politique. Aujourd'hui on ne peut plus prendre la parole en public si on n'est pas d'accord avec une tendance. On nous décrie, on nous traite de vendus et de traîtres. Qu'ils se lèvent donc ceux qui se sont trouvés avec moi pendant la guerre et qui prennent cela à leur compte. Ou sinon qu'ils me défendent contre ces attaques !

Après avoir déclaré qu'il ne reniait rien de ce qu'il a fait « ni pour son pays ni pour son parti », Renaudel rappelle que c'est Frossard lui-même qui a reconnu, à Strasbourg, qu'on n'avait pas le droit d'invoquer l'attitude au 2 août 19114 contre un militant tant que le Parti n'aurait pas précisé sa conception de la Défense nationale.

Pendant la guerre, les protestation contre la Défense Nationale étaient rares…

Une voix. - On nous aurait fusillés… Et Frossard ne la contestait ni à Strasbourg, ni au Congrès confédéral de 1918. Et Brizon trouvé en 1918 également qu'on ne devait pas faire de grève lorsque les Allemands étaient à 80 kilomètres de Paris.

Tommasi proteste

Question de méthodes

Renaudel en arrive alors au fond de la question.

Entre les bolcheviks et nous, affirme-t-il c'est une divergence de méthodes et non de but.

On n'a pas le droit de dire que l'approbation des méthodes bolchevistes et la défense de la Révolution russe sont une même chose. Nous sommes avec la Révolution russe en tant que c'est le peuple qui l'a faite, avec la Révolution russe qui a renversé le tsarisme. Nous sommes avec elle en combattant la politique réactionnaire du gouvernement qui est non seulement criminelle mais imbécile. Mais en faisant leur politique internationale les bolcheviks nous obligent à pénétrer davantage leurs méthodes qui sont inapplicables ici et même en Russie ne sont pas les meilleures. Remettre le pouvoir à une seule fraction politique à l'exclusion de toutes les autres vous ne me ferez pas dire que c'est le meilleur régime.

Devant une salle houleuse et qui l'interrompt fréquemment, Renaudel entreprend donc la critique du régime bolchevik qui selon lui a anéanti la liberté ouvrière. Il appuie son exposé sur un rapport menchevik établi par Marthe.

Tommasi. - Celui qui a écrit cela a déclaré que les bolcheviks étaient une vermine qu'il fallait exterminer dans le sang.

Renaudel. - Zinoviev en a traité d'autres de « poux et punaises ».

Mais à ce moment un délégué demande à Renaudel s'il est exact qu'il a, pendant la guerre, réclamé la cour martiale pour les signataires d'un factum pacifiste.

Mouflard, qui fut poursuivi par Hélène Brion, vient déclarer que devant le tribunal on s'est servi contre lui de déclarations de Renaudel relatives au « cafard du poilu ».

Ces interventions provoquent une grosse émotion.

Avec force Renaudel proteste contre ces affirmations qu'il déclare fausses et évoque son rôle dans l'affaire de l'« affiche de Saint-Étienne » où il vint au secours des camarades compromis dans un complot policier.

Il reprend ensuite sa critique de régime bolcheviste.

Les bolcheviks, affirme-t-il, ont voulu légitimer, en établissement le principe de la dictature prolongée, la suppression de la Constituante.

Les pratiques qu'ils ont érigées en règle, on a pu sans les appliquer établir un régime socialiste solide en Géorgie. 

Et Renaudel termine :

Si le socialisme veut conquérir ce pays où il a derrière lui 150 ans de luttes ouvrières, il faut que vous reteniez ces mots de Jaurès : « Une révolution ne peut triompher que si elle a sinon la majorité acquise du moins la bienveillance de la majorité ». La civilisation prolétarienne ne peut aboutir que par le groupement toujours plus vaste et l'action toujours plus méthodique.

Cette péroraison est accueillie par des manifestations diverses.

 

RAOUL VERFEUIL

Au début de son exposé, Verfeuil qui défend la motion Longuet-Faure, rappelle l'action minoritaire pendant la guerre, et ses difficultés, - et qu'il fut un des premiers partisans de l'adhésion :

Les principes de la IIIe Internationale ne nous épouvantent pas. Nous sommes pour le régime soviétique, - pour la dictature. Et celle-ci ne doit pas être maintenue seulement pendant la crise mais tant que la bourgeoisie durera.

Cependant les coopérateurs et les syndicats doivent avoir part à la dictature.

Cependant Versailles déplore les violences :

Par conception, par caractère, par tempérament, nous sommes enclins à ne pas user de violence…

Notre ami fait la critique des thèses sur la question agraire et sur les syndicats. Il [cait] des lectures. Des camarades en contestent le sens et lisent d'autres passages. Et Verfeuil conclut ce débat en disant :

Tout cela prouve qu'il y a dans les thèses pas mal de contradictions. Et c'est une des raisons pourquoi nous ne pouvons pas accepter les thèses en bloc et pourquoi nous faisons des réserves, celles mêmes que Frossard fait dans sa motion.

Verfeuil essaye alors de montrer que sur les syndicats, sur le titre du Parti, sur les exclusions, les deux motions, Cachin et Longuet, font des réserves analogues. Il insiste et lit le texte de la motion de la Corrèze (qu'on a pu lire dans l'Humanité) où des réserves explicites sur les conditions sont produites. Frossard intervient alors :

Frossard. - Je me félicite du succès qu'obtient ici la motion de la Corrèze. Mais je voudrais qu'on m'expliquât en quoi les trois réserves contenues dans cette motion sont en contradiction avec le texte de la motion du Comité de la IIIe internationale.

Verfeuil. - Tu m'accordes ce que je voulais démontrer, c'est-à-dire que cette motion contient des réserves.

Verfeuil dit ensuite qu'il signerait volontiers la motion Cachin-Frossard si elle ne supprimait pas la représentation proportionnelle. Il suffit, à son avis, que la majorité délègue à la C.A.P. des hommes ayant bien des opinions de la majorité pour que la politique du Parti deviennent plus ferme.

Peut-être d'ailleurs arriverons-nous à nous mettre d'accord sur telles concessions que nous n'attendons pas de l'intransigeance de certains mais que nous espérons de la compréhension de certains autres.

Et Verfeuil fait un appel à l'unité :

Nous souhaitons l'unité de tous les éléments de gauche pour l'action vigoureuse qui ne sera totale que le jour où la C.G.T. agira à nos côtés.

C'est pourquoi, quoique vous décidiez à Tours, je resterai dans le Parti. (Applaudissements.)

L'unité est plus indispensable que jamais. Nous avons avalé les couleuvres des majoritaires pendant la guerre, nous pouvons bien avaler les petits serpents des conditions… Nous avons supporté la dictature de Renaudel ; ne craignons pas celle de Loriot…

Et Verfeuil conclut en affirmant qu'il faut opposer au bloc unique des bourgeois le bloc intangible des socialistes.

 

VAILLANT-COUTURIER

Paul Vaillant-Couturier prend la parole après Verfeuil. Sa voix est un peu fatiguée par suite de la campagne de propagande qu'il vient de faire dans le Nord. Cependant son discours fut d'un élan par instants pathétique, et sa péroraison émut profondément la plus grande partie de l'assemblée.

Vaillant estime qu'il n'y a que deux attitudes franches : celle du Comité de la IIIe internationale, et celle des partisans de la motion Blum-Paoli.

Il y a une troisième motion que Verfeuil a défendu en disant qu'elle n'existait pas. Il est d'accord avec nous sur tous les points ! Avec qui est-il donc en désaccord, sinon avec les autres rédacteurs de la motion ?

Le député de la Seine recense alors les « conditions » que les reconstructeurs écartent : il en compte dix-sept !

Les reconstructeurs disent : « Nous voulons aller à l'Internationale ! » Et ils refusent d'entrer dans aucun des chemins qui y mènent.

Parmi eux, il y a des gens qui pensent comme Verfeuil et qui sont avec nous. Et les autres !

Et Vaillant Couturier s'exclame, à propos de l'« unité », dont on fait une chose sacrée unie au souvenir du grand martyr Jaurès :

Il y a quelque chose d'indécent dans l'évocation constante que font nos adversaires de la personne de Jaurès pour masquer leur politique présente… (Protestations.)

Oui, il est au moins étrange de voir faire cette confusion entre la personne de Jaurès et le jauressisme actuel qui donne des interprétations de la pensée du maître dignes d'un Millerand, d'un Briand et d'un Viviani.

Ah ! c'est un[e] attitude commode de se rattacher à une tradition, comme si on pouvait dire que la méthode d'hier vaut pour l'action d'aujourd'hui.

N'est-il pas fou de nous insurger contre les devoirs que la réalité, chaque jour recréée, nous impose, au nom des principes qui hier furent les étendards flottants sur nos défaites !

Vaillant affirme avec force qu'il veut l'unité plus que quiconque :

L'unité, nous faisons mieux que la vouloir, nous la faisons, en formant un front unique avec les révolutionnaires russes.

Delépine. - Cher ami, je serai touché par votre appel quand vous aurez fait ce que les bolcheviks ont fait.

Vaillant. - Nous vous convions à venir avec nous pour le faire !

Et Vaillant-Couturier poursuit :

Vraiment, nous en avons assez d'entendre l'éloge de l'unité dans la bouche de ceux qui se préparent à se dresser demain contre l'unanimité de la classe ouvrière.

Est-ce que « votre » unité vous a sauvé de la participation ministérielle ? Vous a-t-elle empêché de livrer le peuple à la boucherie ? (Tumulte).

Je m'étonne que les camarades avec qui en 1916, j'ai un peu « conspiré »…

Longuet. - Pas contre la défense nationale ! (Applaudissements).

Vaillant. - Ah ! si en 1916 vous étiez pour la défense nationale, quand vous vous faisiez votre propagande pacifiste, quelle besogne était-ce là ?

Longuet. - Ensemble alors, nous combattions le gouvernement de notre pays qui assassinait la France !

Vaillant. - Alors, pourquoi votiez-vous les crédits pour l'assassinat de votre pays ?

Si il y avait eu à ce moment un vrai parti révolutionnaire, est-ce que ceux qui nous tendaient la main en Champagne n'auraient pas trouvé des compagnons ici ?…

Vous, vous avez voté la prime de démobilisation.

Mayéras. - Moi ! Non !… Mais vous, ne l'avez-vous pas touchée ?…

À cet instant, et pendant tout ce dialogue, le tumulte est inouï. Mais peu à peu le calme se rétablit. L'orateur, visiblement fatigué, s'appuie à la table ; sa voix est rauque, mais il empoigne finalement l'assemblée par un appel à l'unité révolutionnaire.

Impossible de résumer ce morceau, donc voici quelques fragments :

J'espère que ceux qui ont été toute leur vie des révolutionnaires ne voudront pas délaisser le combat au moment où il fait rage en Russie…

Chacun de nous a dû faire des sacrifices… Mais il l'a fallu. Il le faut pour lutter contre la terreur capitaliste.

Renoncez à votre opposition à la doctrine communiste qui nous divise et nous dresserons un front solide en face de la bourgeoisie. (Ovation).

 

Il est alors décidé que Heine, Bracke, Longuet et Rappoport parleront chacun vingt minutes et que la discussion sera close.

Après quelques explications de Heine, Longuet a la parole.

 

LONGUET

Longuet exprime ainsi :

À Strasbourg, on se demandait si le Parti poserait des conditions avant d'adhérer à Moscou. Aujourd'hui, au contraire, la question est de savoir si on acceptera toutes les conditions de Moscou. Et ce débat surgit pour nous diviser, - au moment même où nous sommes, pour la pratique, plus unis que jamais.

Cette situation étrange a été causée par la façon dont Cachin et Frossard ont accompli leur mission.

Nos camarades russes nous apportent un ensemble de thèses et de conditions, - dont certaines sont l'expression du socialisme traditionnel. Mais, sur beaucoup de point[s], notamment sur la dictature du prolétariat, les thèses innovent.

Quant aux conditions elles froissent presque toutes la mentalité française, essentiellement indépendante. En fait, tous font des réserves sur ces conditions. Mais les uns avouent qu'ils en font et d'autres le nient qui pourtant en font.

On a dit que, quant à nous, nous repoussions toutes les conditions ! C'est une erreur ! Par exemple, nous souhaitons une plus forte centralisation de l'Internationale. De même, nous avons, lors des élections législatives, écarté de la candidature les députés qui avaient voté le traité de Versailles.

Longuet proteste ensuite contre la façon brutale, sectaire et bornée dont les bolcheviks traitent certains socialistes français. Il insiste sur l'« extravagance » de certaines conditions : celles relatives à la propagande clandestine, et à la propagande dans l'armée. Puis il poursuit :

Les partisans de la motion Cachin-Frossard refuse la R.P.

La scission entre majoritaires et minoritaires, de l'avis de Hugos Haase, fut un désastre ; et de l'avis de ce même camarade, la scission n'aurait pas eu lieu si la R.P. avait existé dans le Parti allemand.

Si vous obstruez cette soupape de sûreté qu'est la R.P., vous briserez tout l'appareil !

Puis Longuet décrit la dispersion des forces socialistes dans le monde.

L'immense majorité des forces prolétariennes est aujourd'hui en dehors de la IIIe Internationale.

Si vous voulez l'unité internationale, ce n'est pas en acceptant les conditions que vous la réaliserez.

D'ailleurs le problème est devenu pour nous un problème français. Et, à ce propos, pour répondre à des questions qui m'ont été posées :

Vous dites que vous n'exclurez pas les centristes ! Qu'est-ce qu'un centriste ? Et puis, vous ne pouvez faire qu'au lendemain du vote nous perdions nos convictions de la veille, et que nous renoncions à les exprimer. Le problème est de savoir si vous substituerez à l'atmosphère de liberté un air monastique… Car alors, vous auriez la responsabilité de la scission.

Longuet envisage les conséquences éventuelles de la scission.

La fraction de droite tendrait fatalement vers le ministérialisme et celle de gauche tomberait dans toutes les folies de l'anarchisme.

Voilà pourquoi je ferai tous les sacrifices pour l'unité. Je resterai dans le Parti. Mais, si un seul militant est exclu pour un procès de tendance, nous serons tous solidaires !

Lorsque Longuet a terminé, Bracke se dirige vers la tribune, mais l'assemblée réclame Rappoport. Celui-ci demande qu'on écoute Bracke ; mais un certain nombre de camarades interrompent Bracke dès qu'il dit un mot. Et notre ami ne peut faire son exposé.

Il est enfin entendu que Bracke et Rappoport pourront parler dimanche prochain. Le Congrès procède ensuite à la nomination de la Commission des Résolutions.

La séance est levée vers 21 heures. Prochaine séance : dimanche 28, à 9 heures, à la Belle.

 

UNE MOTION

Le Congrès a adopté à l'unanimité la motion suivante :

Le Congrès fédéral proteste avec énergie contre la mesure gouvernementale qui vient de frapper de suspension notre camarade Georgen, maire d'Aubervilliers et envoie son salut fraternel et son admiration à ce camarade, atteint dans ses fonctions municipales pour avoir résisté, dans la mesure du droit quee laisse encore la loi bourgeoise, contre les menées réactionnaires et militaristes dirigées contre les élus municipaux socialistes par des ligues de factieux exploitant les sentiments de douleur des parents des victimes de la guerre.

 

La Comm​ission des résolutions

La Commission des Résolutions, désignée hier soir à l'issue de la deuxième séance du Congrès Fédéral de la Seine, se réunira ce soir, à 20 heures, au siège du Parti, 37, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie.

Les citoyens qui la composent sont instamment priés d'être présents : ce sont :

[…]

 

 

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Pour la Russie ! Pour la paix des peuples !

Le meeting de la salle Wagram

Malgré le froid âpre et l'heure matinale de l'ouverture du meeting organisé en faveur de la révolution russe par l'Union des Syndicats de la Seine, le Parti socialiste et la Ligue des Droits de l'Homme, des milliers de citoyens se pressaient dès neuf heures dans le vaste hall de la salle Wagram.

Après une brève allocution de Leclère, le militant métallurgiste de Puteaux, Guiraud, secrétaire adjoint de l'Union des Syndicats de la Seine, exprime son admiration pour la Commune russe qui, malgré les terribles épreuves que les blocus lui inflige, résiste victorieusement à tous les assauts.

En termes énergiques, il adjure le prolétariat d'interrompre partout l'aide indirecte que, par la fabrication des munitions, ils apportent aux ennemis acharnés des Soviets.

Lallemand élève surtout une vigoureuse protestation en faveur des militants qui expient dans les geôles de la République bourgeoise leurs paroles et leurs actes de propagande révolutionnaire.

Rappoport met en lumière les conséquences du blocus capitaliste qui jusqu'à présent empêche la Russie d'organiser la production économique dans les conditions normales. Il stigmatise les gouvernements bourgeois qui, par la prolongation de cet infâme blocus, provoquent la misère et la mort de centaines de pauvres gens. Il a des expressions dures, cinglantes pour qualifier nos maîtres de l'heure, les hommes d'affaires de la Chambre des [prosateurs] qui sont à la tête de la réaction européenne et veulent à toute force étouffer le premier foyer du communisme.

Bracke renouvelle l'adjuration de [Guiraud]. Il déplore que jusqu'à l'heure présente le prolétariat organisé n'ait pas fait un effort d'ensemble pour arrêter la production des engins de guerre que notre gouvernement n'a cessé d'expédier aux aventuriers tsaristes en lutte contre la révolution.

Après Wrangel battu à plate couture, quel ennemi nouveau suscitera-t-on contre la République des Soviets ? Notre gouvernement se lassera-t-il de poursuivre une série d'expériences désastreuses ?

Bracke pose la question fortement. Il termine son discours en flétrissant la Chambre du bloc qui ne craint pas de déshonorer ce qui nous reste de forme républicaine par sa politique de réaction qui fait battre des mains tous les cléricaux.

Paul-Boncour montre la répercussion du blocus sur notre propre situation économique.

« Il est certain, dit-il, aucune nation ne peut se suffire à elle-même et que le chaos actuel ne peut être atténué que par une entente internationale. Je considère que le fait de tendre les fils barbelés du blocus autour de l'énorme réservoir de vivres de la Russie est un véritable crime. L'expiation commence ».

Corcos et Ferdinand Buisson terminent la série des discours en apportant à la Révolution russe la sympathie chaleureuse de la Ligue des Droits de l'Homme.

« La Ligue, dit Ferdinand Buisson, a toujours mis à sa main dans celle du prolétariat. Elle continue. »

Tous les orateurs ont été applaudis. Leurs discours ont été sanctionnés par un ordre du jour acclamant la République des Soviets et protestant contre la politique stupide et brutale du gouvernement.

Aucun incident ne s'est produit à la sortie, malgré la présence aux abords de la salle d'une centaine de policiers.

 

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Fédération de la Seine

Commission exécutive

Séance du 15 novembre 1920

Présents : […]

Coen préside.

Lecture d'une protestation de la section de Saint-Ouen contre la collaboration de l'organisation bourgeoise « Ligue des Droits de l'Homme » aux meetings du 10 novembre dernier ; lecture d'une lettre de la 20e section relatant divers incidents regrettables qui se sont produits au cours du discours du citoyen Vandamme, au meeting de la Bellevilloise. Dondicol demande que chaque orateur conserve sa liberté de parole pleine et entière. Dupont précise le point de vue de la Ligue des Droits de l'Homme, en tant que membre de celle-ci. Après une longue discussion entre Coen, Pioch, Dondicol, Ker, Bonnaud, Rochefeuil et Papillot, on adopte à l'unanimité moins 3 voix une motion de Bonnaud limitant à trois ou quatre grandes réunions le nombre de meetings prochains et laissant aux membres du Parti socialiste le droit de défendre sans réserves la Russie soviétique et ses grands révolutionnaires.

[…]

 

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Une réunion socialiste interdite à Strasbourg

Strasbourg, 21 novembre. - (Par téléphone de notre correspondant particulier). - La préfecture du Bas-Rhin a interdit une réunion privée de la section socialiste de Strasbourg, qui devait avoir lieu ce soir à l'Aubette, et dans laquelle les camarades Grumbach et Rappoport devaient parler sur la question de l'Internationale. La préfecture invoque comme raison le fait que le 22 novembre est l'anniversaire de l'entrée des troupes françaises en Alsace.

Le journal socialiste de Strasbourg la Freie Press, publie contre cette interdiction qui fait sensation à Strasbourg, une protestation énergique déclarant qu'il est intolérable que les autorités veuillent fixer la date des réunions socialistes, et souligne qu'il s'agit d'une réunion privée à laquelle n'étaient convoqués que les membres du Parti socialiste.

 

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Lettre ouverte de l'international sy​ndicaliste de Moscou à l'international d'Amsterdam

Londres, 21 novembre. - (Par téléphone de notre correspondant particulier). - Une lettre ouverte signé par Lénine, Zinoviev, Radek, Quelch, Bela Kun, etc., pour la IIIe internationale, par Tomski, Lozovski, Rosmer et Chabline pour la Fédération internationale des Syndicats, a été adressée à l'Internationale syndicale d'Amsterdam.

La lettre est une violente attaque contre les chefs de l'Internationale d'Amsterdam.

« Votre Congrès, dit la lettre, est en réalité un congrès de chefs jaunes qui ont continuellement trahi les intérêts du mouvement ouvrier en général et des syndicats en particulier. Vous direz sans doute que nous insultons dix millions d'ouvriers organisés. Vous direz ce que vous voudrez. Nous n'avons pas la moindre pensée d'insulter les ouvriers organisés. Ce n'est pas la faute des ouvriers, mais leur malheur que vous, les chefs jaunes, vous puissiez parler au nom des organisations ouvrières. Nous savons bien que, parmi les millions d'ouvriers que vous représentez, il y a beaucoup d'ouvriers honnêtes et consciencieux, qui, toutefois, ne sont pas suffisamment organisés pour se tourner contre vous. Vous pouvez être assurés que ce moment-là ne tardera plus. »

La lettre stigmatise ensuite l'attitude des chefs pendant la guerre.

« Legien et ses suivants ont poussé les ouvriers allemands contre les ouvriers français ; tout aussi cyniquement que Jouhaux et les siens ont poussé les Français contre les Allemands. Maintenant ils se réunissent pour se pardonner mutuellement.

« Vous avez, continue la lettre, changé quelque peu, à la fin du massacre, vos méthodes de trahison envers les ouvriers, mais la trahison reste comme toujours votre profession. Vous avez aidé les bandits de la Ligue des Nations à fonder un bureau du travail qui essaye de bander les yeux aux ouvriers de tous les pays en leur faisant croire que la bourgeoisie prend soin de la protection du travail. Au fond du cœur, chacun de vous sent parfaitement que le bureau international du travail est une organisation capitaliste. »

La lettre reproche à Legien l'expulsion des communistes des syndicats allemands, ce qui a permis la récente résolution prise par l'aile droite en France et par Henderson, un autre chef jaune, de proposer l'exclusion des communistes du Labour Party.

« Vous déclarer la guerre à l'Internationale communiste, vous aurez cette guerre, dans laquelle les ouvriers n'ont rien à perdre, excepté vous.

Le manifeste termine en disant que conscients de leurs forces défaillantes et de la mort de la IIe, « les traîtres tentent de substituer à celle-ci l'Internationale syndicale jaune, mais l'Internationale syndicale de Moscou la détruira ».

Commentant cette lettre, le Daily Herald en regrette le ton. Rien ne peut être gagné, dit-il, en qualifiant de traîtres ceux qui ne sont pas d'accord avec vous. La tâche constructive de la gauche n'est pas de perdre son temps à prétendre que tous les droitiers sont des traîtres, et tous ceux de la gauche des anges, mais de travailler à l'amélioration de la machine trade-unioniste. - C. David.

 

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Les oubliés

Pour les victimes de la machine

La grande course à l'augmentation des salaires et des traitements causée par la vie chère, une catégorie de travailleurs a été complètement oubliée. Ce sont les victimes d'accident de travail.

Que, pendant la guerre, alors que les bras, les jambes et les têtes voltigeaient sur les champs de bataille, la victime de l'usine ou du travail aux champs qui tombait isolée et sans gloire, ait été oubliée, c'est compréhensible !

Mais deux ans se sont écoulés depuis la fin du grand carnage ; les parlementaires, les ministres, les fonctionnaires civils et militaires, les retraités ont vu leurs revenus augmenter ; la classe ouvrière même a arraché péniblement une augmentation de salaire. Seule la victime du travail n'a rien obtenu. À la danse des milliards, elle n'a point participé.

Comment les accidentés pourraient-ils vivre avec les pensions, insuffisantes avant la guerre, et dérisoires depuis - (aveugle, 3 fr. par jour ; amputé d'un bras, 0 fr. 90 ; amputé des deux cuisses, 2 fr. 50 et d'autres encore plus minimes). Pourquoi le législateur n'a-t-il pas pensé à eux ? Pourquoi n'a-t-il pas songé au soldat de la vie économique ? À celui qui est un facteur essentiel de la prospérité du pays ?

Si le militaire tombe en défendant la richesse de la nation, l'ouvrier, lui, tombe en la créant. Ils ont donc droit à la réparation de la perte qu'ils ont subie.

Les mutilés du travail ne sont pas exigeants car eux, les restrictions les connaissent mais ils disent aux législateurs : « Nous ne pouvons plus vivre avec les pensions d'inanition que vous nous donnez ; faites quelque chose pour nous qui avons donné notre vie, notre force pour la prospérité du pays. »

Mais aussi, les mutilés du travail ont tort. Jusqu'ici ils sont restés isolés et partant sans force. Donc camarade mutilés du travail à l'œuvre, groupons-nous, prenons exemple sur nos camarades les mutilés de guerre. De nos misères et de nos faiblesses réunies, sortira notre force lorsque nous serons groupés, nous serons écoutés et partant exaucés : car notre cause est juste et nos revendications modestes.

Venez en masse à notre jeune fédération, apportez-nous par votre présence le réconfort et la force nécessaire pour mener à bien l'œuvre que nous avons entreprise. - Le secrétaire général de la Fédération des mutilés du travail du Rhône : Louis Genin.

P.-.S - La Fédération des mutilés du travail du Rhône a son siège à Lyon, 7, rue de la Tunisie, ou s'y tient une permanence les mardi et vendredi de 14 à 18 heures ; les personnes victimes du travail y trouveront gratuits tous les renseignements nécessaires.

 

Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du lundi 22 novembre 1920

- « la discussion sur la IIIe Internationale a continué hier au Congrès fédéral de la Seine », avec les interventions de Montagnon, Chevallier, Paul Louis, Leroy, Renaudel, Raoul Verfeuil, Paul Vaillant-Couturier, Jean Longuet

- « Pour la Russie ! Pour la paix des peuples ! Le meeting de la salle Wagram », par l’Union des Syndicats de la Seine, le PS et la LDH

- extrait de la séance du 15 novembre de la Commission exécutive de la Fédération de la Seine, lors de laquelle la section de Saint-Ouen proteste contre la collaboration de « l’organisation bourgeoise «’Ligue des Droits de l’Homme’ » aux meetings du 10 novembre précédent pour la Russie

- interdiction d’une réunion socialiste, privée, à Strasbourg

- « lettre ouverte de l’Internationale syndicaliste de Moscou à l’Internationale d’Amsterdam », très virulente

- « Les oubliés. Pour les victimes de la machines », avec la nouvelle Fédération des mutilés du travail du Rhône

le 21 November 2020

 
 

Il y a cent ans : L'Humanité au jour le jour

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)