Fédération de l'Oise

Fédération de l'Oise
Accueil
 
 

Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du lundi 15 novembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du lundi 15 novembre 1920

 
 

L'Assemblée plénière de la Société des Nations - par Marcel Cachin

La défaite subie par le wilsonisme aux États-Unis atteint en son existence même la Société des Nations, pièce maîtresse de la conception de paix de l'ancien président. La place de l'Amérique restera vide à Genève. Et les deux pays qui dominent cette organisme paradoxal, la France et l'Angleterre, sont divisés à peu près sur tous les objets de la future discussion. Lloyd George a déclaré qu'il se rendrait à la réunion. Il y rencontrera Léon Bourgeois, Viviane, Hanotaux, politiques fort éloquents, mais aussi impropres les uns que les autres à toute action vigoureuse. La Grande-Bretagne détient un grand nombre de mandats qui lui permettront de faire sanctionner par la Conférence ses desseins impérialistes et mercantiles.

L'idée de la Société des Nations avait été accueillie avec grande faveur en décembre 1918 par les peuples occidentaux épuisés, parce qu'en tête des articles du programme wilsonien se trouvait placé le désarmement universel. Il ne devait plus subsister, nous disait-on, dans le monde, de véritable force armée que celle dont la Société nouvelle aurait le contrôle de la direction.

On peut mesurer aujourd'hui l'énormité des illusions du président et l'étendue de son impuissance. C'est son propre pays qui prépare l'armement naval le plus considérable qu'il ait jamais connu. L'Angleterre poursuit vigoureusement sa volonté séculaire de la maîtrise des mers. Et la France capitaliste conserve 800 000 hommes dans ses casernes.

Nul ne pourra accuser les peuples d'avoir, en 1919, gêné ou entravé par leur attitude les velléités pacifiques du président Wilson.

Aussi la preuve est-elle faite désormais que le régime capitaliste, en dépit des bonnes intentions de ses idéologues et de ses philosophes, ne peut résoudre le problème du militarisme et de la paix. De l'aventure wilsonienne, c'est là le résultat le plus certain et le plus positif. Ajoutons qu'il n'est pas médiocre à nos yeux et qu'il a servi à la propagande du socialisme autant ou plus que les démonstrations théoriques que nous multiplions depuis tantôt un demi-siècle.

Décapité de son auréole, que va devenir l'organisme de Genève ? Un journal espagnol estime qu'il va être réduit à l'humble rôle de commission d'arbitrage pour résoudre les petites questions entre les petits peuples. Des exemples récents, celui des relations polono-lituaniennes par exemple, prouvent à l'évidence que les petites nations elles-mêmes comme les autres, obéissent sans vergogne à leurs instincts d'expansion et de domination.

Quant aux gouvernements des grandes puissances, les intérêts des hommes de finance et de bourse continuent seuls de les guider dans tous les actes de leur politique extérieure. La conquête du pétrole mondial, la main-mise à tout prix sur les matières premières, voilà leur essentiel soucis. Le capitalisme est sorti plus exigeant et plus gourmand de la grande tuerie. Il se rit des décisions des moraliste, des orateurs éloquent, « des prêcheurs de stérile idéalisme » qui vont pérorer sur les bords du Léman. Il suit son destin qui est de conquérir, d' asservir, de gagner de l'argent par tous moyens. Il ne reconnaît d'autre critère que la force qui fut jusqu'à présent son unique moyen de domination. Et ces jours derniers, M; Winston Churchill, ministre de la guerre de la Grande-Bretagne, résumait cyniquement, en face de l'hypocrisie de Genève, les préoccupations de l'impérialisme par cette phrase lapidaire :

« Nous devons consacrer l'entr'acte de la paix au développement intensif de la guerre chimique par les gaz. »

Cette formule pourrait servir de préface aux palabres de l'Assemblée solennelle de la Société des Nations qui commenceront ce matin dans la cité du lac bleu.

Marcel Cachin. 

 

----

 

La première journée du Congrès fédéral de la Seine

Daniel Renoult lit un important document

Discours de L.-O. Frossard et de Léon Blum

 

La première journée du Congrès de la Fédération de la Seine a présenté d'un bout à l'autre un vif intérêt.

Après une intervention de Manier, au début de la séance du soir, Daniel Renoult a donné lecture d'un important document signé de Zinoviev, relatif au triple problème des exclusions, de la représentation possible d'une minorité dans les organismes directeurs du Parti, de la situation des délégués au Congrès qui voteront contre l'adhésion.

Cette communication s'adresse au Parti tout entier, qui trouvera là des précisions nouvelles et des raisons supplémentaires pour sa décision.

Puis, Frossard, dans un très important discours, a développé tous les arguments qui doivent à son avis imposer l'adhésion. Il a répondu amplement et avec franchise aux objections de ses contradicteurs et a terminé en dénonçant l'unité menteuse, qui n'est que le manteau de nos divisions, et en faisant, d'autre part, un vibrant appel pour l'unité révolutionnaire sincère. Il a mêlé à cet appel une évocation émouvante de la lutte qu'il a menée pendant la guerre aux côtés de Jean Longuet.

Après lui, Léon Blum a repris avec force les démonstrations que nos lecteurs connaissent et qui tendent à persuader au Parti qu'il ne peut entrer dans la IIIe internationale, sans rompre avec toutes ses traditions.

Il a insisté sur l'incompatibilité qui, selon lui, existe entre les thèses de Moscou et la doctrine éprouvée du socialisme.

Les 21 conditions ont été ensuite soumises par lui à une critique serrée.

À la fin de ses explications, Blum a examiné nettement le problème de l'unité. Il a demandé quelle serait la situation de la minorité après le prochain congrès national et, après une réponse de Frossard, qui ne l'a pas satisfait, il a conclu que la transformation profonde qui va s'accomplir dans le Parti rendra à chacun sa liberté d'action.

La discussion se poursuivra dimanche prochain. On peut dire que les discours d'hier auront dans tout le pays socialiste une large répercussion.

 

SÉANCE DU MATIN

Le Congrès de la Fédération de la Seine a commencé hier, à 10 heures, à la Bellevilloise. Il continuera les dimanches 21 et 28 novembre.

Après le règlement de diverses questions de procédure, Heine vient lire un amendement à la motion Cachin-Frossard. Ce texte propose, en particulier, que le Parti se nomme dorénavant « communiste » et que les noyaux syndicalistes révolutionnaire soient subordonnés au Parti. Au sujet des dispositions de la motion Cachin-Frossard qui permettent la non-exclusion des centristes, l'amendement proposé par Heine définit une procédure légèrement différente. Au lieu d'invoquer le bénéfice des conditions 7 et 21 pour les centristes, on demanderait au Comité exécutif de l'Internationale communiste de leur accorder cette faveur. D'une manière générale, l'amendement est inspiré de cette idée qu'il n'appartient pas aux partis nationaux de faire, sans l'avis du Comité de l'Internationale, des modifications aux textes imposés.

Manier (Champigny) fait ensuite une critique des thèses de Moscou. Il est contre la subordination des syndicats au Parti. Il montre qu'il est impossible de renoncer à toute action réformiste. La proposition de Heine lui paraît plus logique que celle des partisans de la motion Cachin-Frossard. Cette motion, si elle était adoptée, serait la source d'interminables discussions :

Les militants croiront qu'on a tout accepté de Moscou, alors qu'on a fait des réserves capitales ; et on rediscutera à perte de vue.

On ne peut pas ne pas adhérer à Moscou. Il y aurait danger pour la révolution russe et pour notre politique intérieure.

Je reste sur la position d'adhésion, mais il faut faire des réserves nettes.

Baudin intervient en faveur de l'adhésion à la IIIe Internationale. Fischer indique les différences entre les thèses et la motion Cachin-Frossard. Puis, Thaon vient poser la question suivante :

Si le Parti demande à adhérer à l'Internationale communiste dans les termes de la motion Cachin-Frossard, sera-t-il admis ?

Frossard annonce alors que Renoult donnera connaissance, à la séance de l'après-midi, d'un document officiel qui éclaircira la question posée par Thaon.

La séance est levée à midi.

 

DANIEL RENOULT

La séance reprend à 14 heures. Ribaud (3e) préside, assisté de Clamamus, maire de Bobigny, et de la citoyenne Leiciague (9e).

Daniel Renoult a la parole. Il explique que deux des points du document, dont il va donner connaissance au Congrès, ont été incorporés à la motion d'adhésion Cachin-Frossard. Le troisième point a trait à la représentation proportionnelle.

Notre camarade continue ainsi :

Tous les partisans de la motion de la IIIe Internationale estiment qu'il n'est pas possible de conserver le statut actuel du Parti.

Il est faux cependant que nous voulions supprimer la liberté d'opinion. Il n'est pas question de supprimer la représentation proportionnelle pour les Congrès fédéraux, et pour les Conseils et Congrès nationaux.

Mais il faut un pouvoir de direction…

Renoult expose qu'il a pu constater, en assistant aux séances de la C.A.P., que le Parti n'est pas dirigé.

À plusieurs reprises, les votes ont donné 11 voix contre 11, les majorités sont maintenant de 13 contre 11 ou 12.

Les divergences qui partagent la C.A.P. empêchent celle-ci d'agir sur le groupe parlementaire. C'est ainsi que - le Parti étant de plus en plus révolutionnaire - le groupe parlementaire, cependant, vote pour Deschanel, on adopte les crédits pour la propagande macabre du soldat inconnu.

Il faut donc supprimer la R.P. dans la C.A.P.

Mais une question se pose. N'est-il pas possible de concéder, à côté de la majorité, une représentation limitée à une minorité qui serait sur certains points divergente, mais qui manifesterait le désir de suivre les directives de la majorité.

Nous avons dit cela au Comité de l'Internationale communiste. Il nous a compris.

Et, pour en témoigner, Renoult donne lecture du document suivant :

Article 7. - L'exception prévue à l'article 20, en ce qui concerne l'exclusion des « centristes » s'appliquera à Longuet, Paul Faure, - et aux membres de leur groupe, - si, après le vote du prochain Congrès, ils restent dans le Parti et en acceptent les décisions, ainsi que les thèses et les conditions de l'Internationale communiste. Leur admission, dans ces conditions, sera définitive, sous réserve de l'acceptation du Comité exécutif de l'Internationale.

Renaudel. - Mais qu'est-ce que ce document ? Il commence comme vous avez dit ? Est-ce une lettre ?

Daniel Renoult. - Je m'expliquerai après ma lecture.

Article 20. - La question des deux tiers doit s'entendre ainsi : la majorité composée du Comité de la IIIe internationale et des éléments qui défendent déjà l'adhésion et les conditions s'assurera une majorité minimum des deux tiers dans tous les organismes directeurs du Parti et de l’Humanité. Un tiers, au maximum, pourra être concédé à la minorité, pourvu qu'elle accepte en principe, les thèses et les conditions.

Raoul Verfeuil. - Toutes les conditions ?

Frossard. - « En principe… »

Renaudel. - La Révolution, en principe !

Article 21. - Les délégués de ladite minorité au prochain congrès ne seront pas exclus, s'ils se soumettent à la décision du Parti. Comme pour le Parti indépendant d'Allemagne, un délai de trois mois, à dater de la clôture du Congrès, sera laissé aux organismes locaux pour juger des cas individuels sous le contrôle du Parti et du Conseil exécutif de l'Internationale.

Berlin, octobre 1920.

Signé : Zinoviev ; Le délégué français : D. Renoult.

 

Daniel Renoult. - Afin de satisfaire le citoyen Renaudel, j'expliquerai de quelle manière ce document a été rédigé.

Mes amis du Comité de la IIIe et moi avons tenu à nous mettre en rapport avec le comité de l'Internationale communiste. C'est pourquoi j'ai été délégué auprès de Zinoviev. Le document que je viens de lire est le procès-verbal de cette entrevue !

Renaudel. - Racontez l'entrevue !

Daniel Renoult. - Je raconterai ce qu'il y a lieu de raconter. Et Renaudel nous racontera sans doute ! les conversations qu'il a eues avec les bandes social-démocrates, les gredins de Pologne, assassins de bolcheviks. (Applaudissements.)

Je ne veux pas intervenir au fond. Mais je dois dire que, contrairement à ce que l'on répand, nous n'avons eu qu'un souci : assurer l'adhésion à la IIIe Internationale en causant le moins possible de dommage matériel à notre Parti.

On dira que « nous avons voulu la scission ». Non ! nous aurons tout fait au contraire pour conserver avec nous tous les éléments sincèrement socialistes.

La vérité ! c'est qu'il y a une intrigue ourdie contre le Parti. Nous n'y prêteront pas la main. Et nous pourrons dire, la conscience tranquille, avec les 170 000 membres du parti : « Combien êtes-vous pour oser votre votre acte criminel ? » (Applaudissements.)

 

FROSSARD

Frossard va s'efforcer, dans un exposé qui durera près de deux heures, d'aborder tous les points du problème qui se pose actuellement devant les consciences socialistes.

Fréquemment applaudi, parfois interrompu par des manifestations diverses dont il est impossible de rendre compte en détail, il va être écouté avec une attention passionnée par tout le Parti.

Dans la crise que traverse le Parti, j'ai pris une part trop lourde de responsabilités pour ne pas apporter ici des explications complètes, commence-t-il par déclarer.

Et il aborde le fond du sujet en le raccordant au passé socialiste.

Le congrès de 1905 avait établi l'Unité, le congrès de 1920 va peut-être la briser.

Après les efforts accomplis pour réaliser cette unité, les efforts de Jaurès pour la rendre effective, pour établir une harmonie de pensée, la guerre est venue qui a tout désagrégé ; la guerre a moralement dévasté le Parti.

Nous sommes séparés aujourd'hui de ceux qui furent nos amis pendant la tourmente. Je ne puis pas faire litière de ces amitiés et c'est avec angoisse que je me représente le spectacle de demain où nous serons peut-être dressés les uns contre les autres, l'injure aux lèvres et la menace au poing.

 

La IIe Internationale

La crise est mondiale. Elle a dévasté tous les partis socialistes. Tous traversent la même crise que le nôtre et sont en proie aux mêmes divisions meurtrières.

La responsabilité de la guerre n'incombe pas à la IIe Internationale, le 2 août 1914 a été en réalité la faillite du prolétariat international. (Applaudissements).

Les fautes de la IIe Internationale, c'est pendant la guerre qu'elle les a commises en s'installant dans la guerre, en pratiquant une collaboration de classes qui persiste encore dans certains pays.

 

Une Internationale d'action

Cette pratique l'a ruinée. Il faut maintenant reconstituer une Internationale d'action.

La Révolution russe exerce sur le monde un rayonnement qui va croissant sans cesse et attire les masses ouvrière vers la IIIe Internationale.

De même qu'il n'y a pas de parti possible sans un minimum d'accord sur la doctrine et sur les méthodes, il ne peut y avoir de véritable Internationale d'action si chaque partie y conserve la possibilité, sous des prétextes d'opportunité locale, de se refuser un minimum de doctrine, de méthode et de discipline.

C'était, du reste, Frossard le montre par une citation, l'opinion de Jules Guesde en 1904.

Il est, par conséquent, légitime que la IIIe Internationale prenne des garanties à l'égard des partis qui lui apportent leur adhésion.

Sans les conditions posées, la IIIe Internationale ressemblerait rapidement à la IIe et connaîtrait la même faillite.

 

La Révolution sociale

Des divergences se sont manifestées sur la conception de la Révolution sociale.

On nous a reproché de systématiser l'usage de la violence. Pourtant Karl Marx n'a-t-il pas dit que la force était la grande accoucheuse des sociétés. Il l'a toujours soutenu, depuis le manifeste communiste jusqu'au programme de Gotha.

Léon Blum a dit se rallier à la formule de Guesde : « S'emparer du pouvoir par tous les moyens, y compris les moyens légaux ».

J'attends, Blum, que vous apportiez la démonstration, que vous avez essayée sans aboutir, que ce n'est plus le socialisme traditionnel que nous défendons.

Et Frossard établit par une citation qu'au Congrès de Tours, en 1901, le citoyen Renaudel défendait le droit du socialisme à recourir à la violence.

Verfeuil. - C'est un socialisme élémentaire.

Frossard. - Nous avons passé notre temps pendant la guerre à rappeler le Parti à ces vérités élémentaires.

Il y a nécessité à rappeler certains éléments aux principes mêmes du socialisme dont certains s'écartent, tel Albert Thomas dont Frossard lit un article, d'Ellen Prévot dont certains passages de sa profession de foi aux électeurs de Toulouse soulèvent des protestations dans le congrès.

Il faut aussi se pénétrer de cette idée que le suffrage universel n'est qu'un moyen pour diminuer le pouvoir politique de la bourgeoisie. Nous l'utilisons et nous engageons la lutte avec l'ennemi sur tous les terrains où il veut bien nous appeler.

Mais ce n'est que de haute lutte et par la force que nous nous emparerons complètement de ce pouvoir. (Applaudissements).

Quand nous disons qu'il y a « situation révolutionnaire », nous voulons dire que la guerre a créé un déséquilibre général, politique, économique, social, duquel peuvent surgir des circonstances favorables à la prise de possession du pouvoir par le prolétariat. Cela ne signifie pas qu'il soit possible de fixer à l'avance l'heure de la Révolution. Ni non plus qu'il faille la faire au lendemain de l'adhésion à la IIIe.

Ce que nous avons à faire, c'est de préparer les esprits et les cœurs pour, l'heure venue, avoir le maximum de chances de succès et le minimum de résistances.

La prise de pouvoir n'est que le commencement de la Révolution. Et Frossard évoque l'exemple des travailleurs italiens qui n'ont pas aperçu assez clairement la nécessité de faire précéder de la conquête du pouvoir les réalisations socialistes.

Renaudel. - Zinoviev les a blâmés !

Frossard. - Non, il n'a pas blâmé les masses. Il a blâmé les chefs de n'avoir pas diriger le mouvement dans le sens révolutionnaire où il aurait pu triompher.

Frossard continue :

Il y a des camarades qui pensent que la Révolution ne peut se produire que dans certaines conditions de production et de prospérité.

Mais nous ne sommes pas maîtres de l'heure. Et si l'occasion se présente, nous n'avons pas le droit de nous dérober à nos responsabilités. (Applaudissements).

 

La dictature du prolétariat

Tout le Parti, ou presque, accepte aujourd'hui la dictature prolétarienne comme une nécessité révolutionnaire.

Mais pour certains elle doit être excessivement limitée en durée. Pour d'autres, au contraire, elle doit durer jusqu'à ce que le socialisme soit réalisé.

Et par qui sera-t-elle pratiquée ? Par les institutions politiques de demain.

Il faudra commencer par briser toutes les formes politiques du passé. À l'organisation de violence de la bourgeoisie nous devrons substituer l'organisation de violence de la classe ouvrière : la dictature de la majorité des producteurs sur la minorité des parasites expropriés.

Cette dictature, c'est l'élite intelligente et audacieuse qui aura mené la révolution qui l'exercera.

À un monde nouveau, il faut un régime nouveau. Le régime soviétique, autrement représentatif et simple que le parlementarisme bourgeois, prendra sa place.

 

Le parlementarisme

Cela veut-il dire que nous devons renoncer à toute action électorale ? Non. Lénine lui-même a proclamé son utilité à condition de mener en même temps la lutte continue et implacable contre la bourgeoisie. Les bolcheviks ont, du reste, mené en nombre d'occasions la bataille électorale pour pénétrer à la Douma.

 

Les conditions

Frossard passe ensuite à l'examen des conditions, qu'il faut examiner, certes, mais « avec le désir d'en accepter la plus grande partie ».

La centralisation du pouvoir socialistes ? Guesde, lui-même, en a proclamé, il y a longtemps, l'inéluctable nécessité.

L'action illégale ? Est-il un révolutionnaire véritable qui puisse en condamner le principe :

Nous en avons fait pendant la guerre. Nous en ferons encore si la dictature bourgeoise nous oblige à y avoir recours. C'est la bourgeoisie elle-même qui nous contraint à l'illégalité en violant sa propre légalité. L'illégalité, elle devient par la volonté de la bourgeoisie une arme de self défense que le prolétariat n'a pas le droit d'abandonner.

Les comités directeurs secrets ? Mais les statuts de l'Internationale communiste ne sont pas faits que pour le Parti français. Il a fallu penser aux conditions spéciales de chaque pays.

 

Les exclusions

Frossard a fait au début de la discussion pour l'adhésion des réserves formelles. Il va s'en expliquer :

Les exclusions ? Si l'Internationale voulait faire peser sur Longuet, Paul Faure et quelques autres les responsabilités de l'action menée par la majorité du Parti socialiste, Frossard déclare :

Je n'accepterai pas de souscrire à l'exclusion d'un homme comme Longuet qui a été un des moments de la conscience socialiste pendant la guerre. Je ne puis souscrire à ce que je considérerai de ma part comme une indignité et un déshonneur. (Applaudissements).

 

L'action syndicale

Les rapports avec l'organisation syndicale ? Il est certain que l'organisation syndicale n'accepterait aucune subordination à un parti politique, mais une entente, un rapprochement sont indispensables. Les minoritaires syndicalistes l'ont compris. Ils se sont déclarés prêts à collaborer avec un parti vraiment révolutionnaire.

Les noyaux ? Mais dans le Parti, n'ont-ils pas toujours existé : Vie socialiste, Reconstruction, Comité de la IIIe ?

Certains majoritaires syndicalistes ne l'ont-ils pas pratiqué, Chanvin, du Bâtiment, ne les préconisait-il pas, dès 1918, dans les organisations du Bâtiment ?

Puis, avec véhémence et émotion, Frossard déclare :

On a colporté, on a écrit dans la Vie Socialiste que Cachin et moi avions pris notre position actuelle pour conserver nos fonctions. Je tiens à dire que lorsque le Parti comme je le lui demande aura adhéré à la IIIe internationale je quitterai mon poste.

« Non ! Non ! » crie la majorité du Congrès. 

Puis Frossard revient à son sujet :

On invoque maintenant la Charte d'Amiens pour maintenir les distances entre la C.G.T. et nous. On ne l'invoquait pas pour collaborer pendant la guerre au Comité d'Action.

Il n'y a pas de révolution possible si l'entente n'existe pas. Réaliser cet accord, c'est encore de l'action révolutionnaire.

Le changement de titre ? Frossard ne le veut pas immédiatement pour ne pas risquer une équivoque favorable à un nouveau parti qui prendrait l'ancien titre en déclarant qu'il continue les traditions du Parti socialiste.

Après avoir indiqué que dans un message aux ouvriers français, qui sera bientôt publié, Zinoviev indique que leur liberté d'action et leur autonomie de Parti leur sera garantie, Frossard conclut :

Je vous demande d'adhérer à l'Internationale communiste dans l'esprit que je viens d'indiquer à cette réunion. J'ai combattu pour l'Unité, mais faut-il continuer à vivre dans cette atmosphère d'impuissance, d'inaction et de division ?

Qu'est-ce que l'Unité dans le désaccord sur la doctrine et les méthodes, l'Unité où personne n'abdique son point de vue devant les décisions délibérées en commun ?

Puis s'adressant avec émotion aux camarades dont il ne conteste pas la valeur socialiste ni révolutionnaire et qu'il craint de voir à Tours quitter le Parti, Frossard les adjure de réfléchir avant d'entrer dans cette voie qui préparerait les pires déchirements pour le socialisme.

Autour des idées qu'illumine la Révolution russe, l'Unité réelle, de pensée et d'action peut se réaliser. Si nous en sommes capables, foulant aux pieds nos divergences subalternes et faisant taire nos polémiques secondaires nous pourrons rétablir dans un avenir prochain la possibilité des réalisations révolutionnaires indispensables !

De longs applaudissements saluent la péroraison de Frossard et le citoyen Léon Blum prend la parole.

 

LÉON BLUM

L'objet essentiel du discours de Léon Blum est de montrer que la doctrine de l'Internationale communiste est tout à fait nouvelle et différente de celle du socialisme traditionnel.

L'Internationale communiste s'est donné, dans une série de textes, une constitution.

La doctrine définie au 2e Congrès est cohérente, puissante, solide. De cette doctrine procèdent logiquement l'organisation de l'Internationale et sa tactique.

Blum et ses amis n'acceptent ni la doctrine, ni l'organisation, ni la tactique de la IIIe Internationale. C'est pourquoi ils refusent d'adhérer à celle-ci.

 

Critique de l'organisation de la IIIe Internationale

L'orateur explique combien l'organisation de l'Internationale communiste, très centralisée, est différente de celle du Parti français actuel dont les statuts sont conformes aux principes démocratiques.

On fait tout dépendre du Comité directeur. Toute l'Internationale est un parti hiérarchisé où la discipline la plus stricte est maintenue, ou l'homogénéité est conservée - grâce à la suppression de la Représentation proportionnelle, du droit d'édition, etc.

Blum montre ensuite, par la citation d'une thèse de Lénine, que les organisations clandestines doivent être formées, même en France.

Certes, je n'entends pas enfermer le Parti dans l'action légale, mais action légale et organisation illégale sont deux choses.

Quant au document lu par Renoult, Blum considère qu'il ne concède pas une représentation à la minorité :

Vous réservez un tiers à la minorité, mais à la minorité qui accepte les thèses !

Et d'ailleurs, qu'est-ce que c'est que cette manière de faire une question de principe de l'existence du Comité directeur, puis de remettre ensuite le principe en question !

 

Les rapports des syndicats et du Parti

Léon Blum rappelle qu'en France le souci de l'unité ouvrière avait abouti à établir entre le Parti et les syndicats un modus vivendi résultat d'un compromis entre les conceptions de l'ancien P.O.S.R. et celle du vieux P.O.F.

Le but des deux organisations étant identique, mais leurs moyens d'action différents, elles vivaient côte à côte entièrement autonomes. Ce système vaut ce qu'il vaut, mais enfin il est en vigueur depuis des années.

Tout cela est entièrement brisé.

Blum lit passage de la motion Cachin-Frossard relative au syndicalisme. La majorité du congrès applaudit :

Applaudissez ! dit Blum - mais ne parlez plus d'autonomie syndicale.

Et avouez que, là encore, vous adhérez à une doctrine neuve, toute différente de notre doctrine traditionnelle.

 

La conception communiste de la révolution

Blum ayant essayé de montrer que l'organisation de la IIIe Internationale et sa conception du syndicalisme sont nouvelles, va tenter d'établir que toutes deux procèdent d'une idée particulière de la révolution :

On a dit que le débat sur la IIIe Internationale était un débat entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Je ne pense pas ainsi. Pour moi, qui n'est pas révolutionnaire n'est pas socialiste.

Cependant il faut définir le mot révolutionnaire :

La révolution c'est d'abord la transformation même du mode de propriété. Mais il faut joindre à cette première idée, l'idée que cette transformation ne peut pas être le résultat d'une évolution régulière.

Il y aura une solution de continuité dans l'évolution économique, - voilà le deuxième point de la définition de la révolution.

Et enfin (troisième point !) la transformation du mode de propriété ne peut avoir lieu avant que le prolétariat se soit emparé des pouvoirs publics.

Voilà quelle est la conception à laquelle Blum reste fidèle. Il ne lui importe pas de préciser si la transformation se fera par la force ou non.

Cela dépendra des circonstances. Si nous sommes résolus à ne pas négliger les occasions de force, je suppose que vous, vous n'êtes pas disposés à refuser les occasions légales !

Blum définit alors les deux déviations contre lesquelles cette doctrine socialiste traditionnelle de la révolution a eu à lutter, le révisionnisme et l'importance exagérée donnée à la conquête des pouvoirs publics :

Le révisionnisme est l'illusion qui fait croire que le prolétariat pourrait faire sa révolution sans avoir préalablement conquis les pouvoirs publics.

Mais l'illusion contraire est également dangereuse. Elle mène à penser que la conquête des pouvoirs publics est l'œuvre essentielle. Or l'essentiel ce n'est pas cette conquête, mais ce qui la suivra.

Blum insiste sur les conséquences de cette distinction :

Si l'élément essentiel de la révolution est la transformation économique même, vous devez donner vos soins non seulement à ce qui prépare la conquête du pouvoir, mais à ce qui contribue à la transformation économique.

Or, le principe même du communisme, affirme Blum, c'est cette idée qu'avant la conquête du pouvoir, aucun travail d'organisation sociale n'est utile.

L'orateur ayant ainsi atteint le fondement de la doctrine communiste, montre comment s'étagent ses conséquences :

Parce que l'éducation et l'organisation sont impossibles avant la prise du pouvoir, - on aura surtout en vue cette prise de pouvoir.

Pour prendre le pouvoir, le Parti devra devenir uniquement une armée apte à l'attaque.

Et cette attaque est conçue, - selon le mode blanquiste - à main armée, par petits groupes, que la masse sans doute suivra…

Léon Blum explique alors qu'il n'est pas souhaitable que le prolétariat s'empare prématurément du pouvoir.

Il est préférable de prendre le pouvoir quand l'organisation et la propagande auront préparé les cadres. C'est le seul moyen d'éviter des années et des années de violences et de rendre possible l'instauration alors quasiment instantanée de la société collectiviste.

Et notre camarade ajoute :

Notre but n'étant pas la conquête des pouvoirs publics, mais la transformation économique, nous avons surtout égard à celle-ci et ne sommes pas disposés à sacrifier le but au moyen.

Blum commente alors brièvement les passages de la motion Paoli-Blum relatifs à la dictature du prolétariat et à la défense nationale. Il fait des réserves sur la thèse communiste relative aux colonies dans la mesure où elle tendrait à imposer une certaine politique musulmane aux divers partis socialistes. Puis il aborde la question de l'Unité du Parti.

 

L'unité du Parti

Notre ami rappelle qu'il est entré dans la vie publique en 1905 pour contribuer à la fondation de l'unité socialiste. Et dix ans après, il y est rentré à nouveau parce qu'il crut que l'Unité était en péril. C'est dire quel intérêt il attache à la concentration des forces socialistes.

Il continue ainsi :

Renoult me disait un jour dans une réunion : « Si vous êtes la majorité, nous nous inclinerons. Prenez le même engagement ! »

Je trouve cette façon de poser la question tout à fait sophistique.

Renoult, si vous étiez minorité et que vous restiez avec nous, vous auriez une représentation garantie dans tous les organes du Parti. Vous resteriez avec nous comme les kienthaliens y furent, à l'abri de notre liberté.

Et nous ? Si nous restons dans le parti, comment y resterons-nous ? Comme otages ou comme esclaves ? (Applaudissements.)

J'ai combattu les thèses de la IIIe Internationale, je les combattrai encore. Je suis un centriste et un homme qui a combattu l'adhésion. M'exclurez-vous ?

 

Intervention de L.-O. Frossard

Blum a posé cette question en s'adressant aux camarades du Comité de la IIIe groupés autour de Frossard et de Renoult.

Frossard monte à la tribune et répond ainsi :

Frossard. - Je vais faire une réponse claire et précise.

C'est le droit de Blum de prendre telle attitude qu'il jugent conforme aux intérêts généraux du Parti. Le Parti prononcera. Mais lorsque le Parti aura arrêté sa politique, c'est le devoir de Blum de faire la politique définie par le Parti. S'il est prêt à se conformer dans l'action publique aux décisions de nos Congrès, il ne peut pas être question de prendre des mesures de proscription.

Et je dis à tous les camarades : cela a toujours été la règle dans le Parti que la minorité devait s'incliner devant la politique du Parti. Mais, depuis la guerre, nous sortons des congrès non seulement sans rien abandonner de nos idées, mais défendant publiquement notre attitude.

Le résultat c'est notre impuissance mutuelle absolue.

Blum répond en ces termes :

Blum. - Il y a plusieurs façons d'exclure : l'une franche, l'autre déguisée et presque hypocrite.

Il eut été plus franc, plus chic, de vous en tenir à la formule des articles 7 et 21, au lieu de nous donner cette absolution sur le passé…

Si je pouvais un jour accepter les thèses de Moscou, est-ce que je ne les accepterais pas tout de suite ?… Après Tours, comme aujourd'hui, je jugerai cette doctrine fausse et cette tactique dangereuse.

Renoult. - Verfeuil, Longuet, entendez-vous cela ?…

Longuet. - Je suis inscrit, je m'expliquerai à la tribune.

Blum. - Je suis un socialiste. Si je mène la campagne que je mène n'est-ce pas parce que nous sommes devant des problèmes insolubles ?

Qu'on dise franchement que nous sommes indésirables plutôt que de nous demander un assentiment que nous ne pouvons pas donner. Votre tactique est peut-être habile ! Mais c'est nous qui, vous ne pouvez le nier, sommes dans le socialisme traditionnel.

Léon Blum est chaleureusement applaudi par ses amis. Hermitte a la parole.

 

LA FIN DE LA SÉANCE

Hermitte (16e) expose ensuite les raisons qui l'ont décidé avec quelques amis à présenter un amendement à la motion du Comité de la IIIe Internationale (motion lue par Heine à la séance du matin).

Nous avons constaté que les chevaux qui menaient la voiture allaient moins vite que ceux qui poussaient à la roue.

Il déclare que leur motion ne s'oppose pas systématiquement à celle du Comité de la IIIe. Mais elle veut indiquer qu'il faut aller à Moscou franchement et sans réticence.

La séance est ensuite levée et la suite de la discussion renvoyée à dimanche prochain.

 

Deux motions de solidarité

Le Congrès a adopté au cours de la journée la motion suivante présentée par les 7e et 18e sections et par la section de Nanterre.

Le Congrès fédéral de la Seine adresse à l'ouverture de ses travaux son salut aux armées victorieuses de la République russe des soviets qui, en triomphant des armées contre-révolutionnaires de l'aventurier Wrangel, donne à tous les socialistes du monde la plus haute leçon et, en infligeant à toutes les bourgeoisie coalisées, une défaite nouvelle, autorise toutes les espérances.

Le Congrès adresse aussi son salut aux camarades emprisonnés et s'engage à les défendre par tous les moyens.

Le congrès a également adopté, sur la proposition de délégués du 20e le texte suivant :

Le Congrès proteste contre toutes les poursuites intentées contre les citoyens du Parti ; Proteste contre les poursuites intentées à nos camarades de la Jeunesse communiste et contre le citoyen Reynaud ;

Décide de donner la présidence d'honneur de cette séance aux citoyens Loriot, Souvarine et Reynaud.

 

--

 

RÉS​ULTATS

3e section. - Pour l'adhésion sans réserves à l'unanimité.

Saint-Denis. - Pour l'adhésion sans réserves : 305 voix ; avec réserves : 4 voix.

Levallois. - Pour l'adhésion sans réserves : 159 voix ; pour l'adhésion avec réserves : 26 ; pour la motion Blum : 9 voix.

Issy-les-Moulineaux. - Pour l'adhésion sans réserves : 44 voix ; pour la motion Longuet-Paul Faure : 9 voix ; pour la motion Blum : 1 voix.

 

Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du lundi 15 novembre 1920

- « la première journée du Congrès fédéral de la Seine - Daniel Renoult lit un important document - Discours de L.-O. Frossard et de Léon Blum »

- résultats des votes pour la 3e section, Saint-Denis, Levallois et Issy-les-Moulineaux

- « l’Assemblée plénière de la Société des Nations », par Marcel Cachin

le 14 November 2020

 
 

Il y a cent ans : L'Humanité au jour le jour

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)