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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du vendredi 5 novembre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du vendredi 5 novembre 1920

 

 

AVANT LE CONGRÈS

NOTRE CRISE - par Raoul VERFEUIL

La publication par l'Humanité des 21 conditions a fait l'effet d'une véritable douche sur un grand nombre de camarades de province, sinon de Paris, disposés pourtant à adhérer à la IIIe Internationale.

Je viens de parcourir une certaine quantité de sections, la plupart rurales il est vrai, j'y ai rencontré do vieux militants qui depuis vingt ans s'acharnent à recruter pour le Parti dans un milieu extrêmement difficile, où presque tout le monde aujourd'hui est propriétaire, et qui ont cent fois plus de mérite que nous à être socialistes et à le demeurer.

Ils admirent la Révolution russe et la défendent de toute l'ardeur dont ils sont capables. Ils font mieux : ils l'expliquant aux paysans avec lesquels ils vivent, et à la classe desquels ils appartiennent parfois ; ils redressent les mensonges de la presse bourgeoise, détruisent les calomnies dont sont l'objet les bolcheviks, effectuent les mises au point nécessaires, instruisent les travailleurs des champs de la grandeur do cette Révolution en attendant de la leur faire aimer et de les gagner non seulement à sa cause, mais à celle de la Révolution sociale mondiale elle-même.

Ils ne sont pas hostiles non plus à la IIIe Internationale vers laquelle les pousse surtout leur cœur, pour employer l'expression d'un camarade du Gers qui s'est livré dans sa région à un véritable apostolat.

Non seulement ils ne sont pas hostile à la IIIe Internationale, mais ils l'aiment, parce qu'ils la considèrent un peu comme 1a fille de la Révolution russe et parce qu'elle est - à leurs yeux comme aux nôtres - la seule Internationale socialiste.

Ils voulaient y entrer, ils allaient - avec presque tout le Parti - y entrer quand, patatras, sont arrivées les fameuses conditions.

Le résultat c'est que la perplexité, les hésitations et le trouble sont grands chez ces camarades qui eussent, il y a deux mois seulement, voté d'enthousiasme l'adhésion.

Une chose surtout les inquiète : la scission qu'ils croient voir au bout des controverses actuelles, qui ne se fera pas, nous l'espérons, mais qui semble bien être exigée par l'Internationale communiste.

Il en coûte de mettre sur pied un parti de 180 000 membres ; il en coûte de mettre sur pied seulement une section dans certains coins du pays où - il y a encore quelque dix ans - on accueillait parfois à coups do pierre ou de bâtons le propagandiste socialiste.

Une section rurale, il faut dans certains cas la reformer à trois ou quatre reprises avant de la constituer définitivement, et encore ne vit-elle souvent que, d'une vie relative et précaire. Ce sont ces efforts qui risqueraient d'être annihilés, en même temps que seraient déchaînées entre frères d'armes de la veille les querelles empoisonnées qui divisèrent jadis les anciennes fractions. .

Le gros bonnet radical ou réactionnaire se frotterait les mains, lui, de satisfaction.

C'est à cela que l'adoption de la 7e et surtout de la 21e condition, ce bouquet du joli feu d'artifice qu'on nous sert, risque de nous conduire (1).

Pourquoi ? Sous prétexte de « réformisme » et de « centrisme ». Le réformisme a été condamné à Amsterdam au mois d'août 1904, c'est-à-dire bien avant le 2° congrès de Moscou.

Le Congrès repousse (ou répudie) de la façon la plus formelle, dit la résolution d'Amsterdam, les tentatives révisionnistes tendant à changer notre tactique éprouvée et glorieuse basée sur la lutte de classes et à remplacer la conquête du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie par une politique de concession à l'ordre établi.

Que cette résolution n'ait pas été respectée pendant la guerre, nous le savons mieux que quiconque, mais je dis que depuis le congrès de 1918 le Parti s'est ressaisi et qu'on n'a pas le droit de lui reprocher d'être réformiste. Une hirondelle ne fait pas le printemps et le citoyen Albert Thomas n'est pas le Parti. Il est du reste indispensable que le cas d'Albert Thomas, directeur du Bureau international du Travail, soit examiné par le prochain Congrès, et celui de quelques autres aussi dont nous sommes disposés, comme par le passé, à respecter les opinions même réformistes, mais qui n'ont pas le droit de violer par des actes les décisions du Parti.

La rupture « sans réserve et définitive dans le plus bref délai » avec le réformisme est effectuée depuis 1918. Si on le conteste, nous demanderons qu'on veuille bien nous donner une définition précise du réformisme ou de ce que l'on entend par là.

Quant au « centrisme », nous demandons aussi qu'on le définisse. 11 n'y a pas de centrisme ; il y a une majorité composée d'éléments divers parmi lesquels se trouvent des communistes aussi éprouvés et aussi authentiques qu'à l'extrême gauche et qui a pratiqué, depuis qu'elle a la direction du Parti, une politique peut-être insuffisante, mais qui ne pouvait pas ne pas-être telle. La politique, a-t-on dit, c'est l'art des possibilités ; c'est exact même pour les socialistes, qu'ils soient français ou qu'ils soient russes. La majorité issue du Congrès de 1918 a fait ce qu'il était possible de faire. Ceux qui la critiquent en France n'ont pas fait ni même seulement proposé de faire autre chose, et le verbiage, s'il passe parfois pour être de l'action, n'en sera jamais que la caricature.

À quoi bon alors ces anathèmes, ces ostracismes ? Que l'on frappe, non pas pour leurs opinions mais pour leurs actes, des camarades de droite dont la présence dans nos rangs est de moins en moins désirable, peu d'entre nous s'y opposeront. Que l'on veuille faire d'immenses coupes sombres qui pourraient aller d'ailleurs jusqu'à l'extrême gauche, nous serons nombreux qui nous y opposerons franchement. Des épurations, soit : la scission, jamais.

Les paroles de Zinoviev à Halle nous laissent heureusement l'espoir que les choses pourront s'arranger. Vous avez demandé, Zinoviev, de vous indiquer sur quels points portaient nos réserves ? En voilà un, parmi quelques autres, Mais procéder ainsi, c'est déjà négocier. Plus j'y réfléchis, plus je crois que c'est la seule façon de résoudre la crise dont souffre notre Parti.

Ceux qui, de part et d'autre, s'y refuseraient prendraient une responsabilité que nous sommes un certain nombre à ne pas vouloir endosser.

Raoul VERFEUIL

(1) L'article de notre camarade Verfeuil a été écrit AVANT la publication, par l'Humanité, de la motion des partisans de l'adhésion du Parti à la IIIe Internationale. (N.D.L.R.).

 

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COMMUNICATIONS

PARTI SOCIALISTE

14e Section. - La 14e Section invite ses membres à venir voter samedi 6 novembre sur l'adhésion à la IIIe Internationale. Le vote aura lieu à 9h30 du soir, sans discussion ainsi qu'il a été décidé à la dernière réunion.

Seuls les membres statutairement à jour de leurs cotisations prendront part au vote. Le trésorier sera à leur disposition jusqu'à 21h15.

15e Necker. Le vote sur la question de l'Internationale aura Ijeu samedi, à la Section, rue Cambronne, 18. Pourront prendre part au scrutin les camarades ayant adhéré au Parti avant le 6 mai et ayant payé la cotisation de juillet et un timbre de solidarité.

Bagnolet - Le président et le secrétaire de la Ligue des Droits de l'Homme, la Commission exécutive du groupe sociajiste, le bureau du cercle l'Avenir socialiste, les membres du conseil municipal sont priés de se réunir salle de la coopérative à 20h30. Ordre du jour : Meeting du 10 novembre.

 

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FÉDÉRATION DU CHER

Section de Vierzon

Ce soir vendredi, à 20h30, salle du Casino, grand meeting avec le concours de Marcel Cachin : La Révolution russe.

 

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Comité pour la reconstruction de l'Internationale

Réunion de la Commission des résolutions, à 17 heures au Populaire, 12, rue Feydeau.

- Réunion plénière du Comité, à 20h30, au Populaire, 12, rue Feydeau. Mise au point de la résolution pour le Congrès de Tours.

Le secrétaire : Paul Faure.

 

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Après le Congrès de Halle

UNE LETTRE DE LOSOVSKI

Une camarade qui revient de Berlin nous apporte les rectifications suivantes de notre ami A. Losovsky (Dridzo), chef de la mission syndicaliste russe en Allemagne.

Nous tenons à faire observer que la dépêche contre laquelle s'élève Dridzo n'émanait pas du correspondant particulier de l'Humanité, mais de l'agence Havas. Nous sommes, comme tous les journaux, dans l'obligation absolue de recourir aux informations des agences : tout ce que nous pouvons faire, et nous n'y manquons pas, c'est de mettre en garde nos lecteurs contre la valeur de ces informations non-socialistes, souvent même anti-socialistes, en indiquant soigneusement Ja source (Havas ou Radio) dont elles émanent. Mais l'Humanité n'est responsable que des informations de ses correspondants particuliers.

C'est avec le plus grand étonnement que j'ai lu dans l'Humanité du 18 octobre, un compte rendu du discours que j'ai prononcé à Halle. On me fait, dire que j'ai « renouvelé l'attaque sur les syndicats et que les communistes veulent mettre la main sur eux ». Ce compte rendu est plutôt fantaisiste :

1° Je ne pouvais pas renouveler l'attaque, puisque je n'ai parlé qu'une seule fois au Congrès ;

2° Je n'ai pas « attaqué » les syndicats, mais leurs leaders, lieutenants de la bourgeoisie ;

3° Je n'ai pas dit un seul mot concernant les rapports entre le parti communiste et les syndicats ; il m'a donc été impossible de parler de la « main mise » sur les syndicats par je Parti ;

4° Tout mon discours a été consacré à l'Internationale syndicale d'Amsterdam ; j'ai attaqué violemment le Bureau international du travail, avec son directeur Albert Thomas et l'Internationale syndicale d'Amsterdam. Or, sur ce sujet délicat, pas un mot dans le compte rendu !

La seule vérité, c'est que j'ai prononcé un discours à Halle.

A. LOSOVSKY.

 

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LE DÉSAST​RE DE WRANGEL - par Paul LOUIS

Le désastre de Wrangel a été foudroyant, comme jadis ceux de Youdenitch, do Koltchak et de Denikine. L'inquiétude qui se manifeste dans les organes officieux atteste la gravité du coup. Lorsqu'on nous annonce que l'aventurier a reculé de 200 kilomètres on est certainement au-dessous de la vérité, et quand nous nous rappelons les espoirs que les contre-révolutionnaires avaient mis en lui, nous concevons qu'ils éprouvent la plus amère, la plus douloureuse des déceptions.

Si Odessa et le Donetz étaient tombés entre ses mains, comme ils le prévoyaient et le prophétisaient, ils eussent pu chanter victoire. La Russie Soviétique, privée de grains, de métaux et de combustibles eût traversé la phase la plus critique do son histoire, et cette phase, nous avons pu appréhender qu'elle ne s'ouvrit.

Mais les Commissaires. du peuple ont montré, une fois de plus, leur rapidité d'action et leur sens d'organisation. Avec les médiocres moyens dont ils disposent, en un pays dont Wells dépeint la détresse, ils ont fait merveille. 140 100 hommes d'après les uns, 180 000 hommes d'après les autres, ramenés à toute vitesse de Pologne ou d'ailleurs, ont foncé sur les troupes bigarrées de Wrange! qui n'ont pu subir le choc, Comme une armée asiatique, les effectifs du baron balte ont plié et reculé en déroute.

Il faut que cette défaite soit décisive pour qu'aujourd'hui la presse gouvernementale d'occident exprime une telle tristesse. Un à un, les condottieri du tsarisme s'écroulent en dépit de toute l'assistance qu'on leur prodigue. Si Wrangel a pu mettre à l'abri son armée dans la presqu'île de Crimée - ce qui n'est point assuré, - il devient impuissant et inoffensif, et ses soldats qu'il ne saurait nourrir, la population civile, qui vivra comme dans une forteresse investie, ne pourront plus compter que sur un ravitaillement extérieur : grave problème. La capitulation sera peut-être avant longtemps l'unique solution.

Nous saisissons aujourd'hui sur le vif l'imposture dos agences tsaristes ou autres, qui nous montraient les foules de la Russie méridionale agenouillées sur le passage de Wrangel, la révolte se propageant contre les Soviets, une gigantesque force blanche se levant le long du Dnieper. La légende est morte. D'un coup do sabre, les rouges l'ont tranchée.

Que pense-t-on à Paris de ce revers inattendu ? Comment croit-on y remédier ? Quels espoirs garde-t-on ? Quelle sera l'attitude du haut commissaire qui a été, auprès de l'aventurier, comme un annonciateur du désastre ? Et quelles sanctions prendra-t-on contre les hommes qui, une fois de plus, ont trompé le gouvernement et, avec lui, une partie du peuple français sur les chances du soudard balte, qui ont aggravé le déshonneur de la politique républicaine et coûté encore des centaines de millions au pays ? Je vais plus loin : que dire de ce gouvernement ?

La République des Soviets pourra célébrer, dans l'enthousiasme de la victoire révolutionnaire, la grande date de novembre 1917.

Paul LOUIS.

 

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LA RETRAITE DE WRANGEL CONTINUE

Zurich. 4 novembre. - Dons le secteur de Crimée, nos troupes continuent à presser l'ennemi, qui se retire après des combats acharnés vers la Péninsule. - (Hav.)

Tchitcherine et Rakovski protestent contre l'annexion de la Bessarabie

Selon un radiotélégramme de Moscou, Tchitcherine et Rakovski ont adressé aux représentants des gouvernements alliés une protestation contre le rattachement de la Bessarabie à la Roumanie. Ils font observer que cette question ne peut être résolue sans la participation des représentants de la Russie et de l'Ukraine.

Nous avions fait prévoir, il y a quelques jours, cette légitime protestation. Il convient également d'observer que tous les partis russes sans exception ont condamné la décision de l'Entente.

Une note de Tchitcherine à la Lettonie

Riga, A novembre. - Tchiteherine a envoyé par l'intermédiaire du représentant bolcheviste à Riga, une nouvelle note au gouvernement letton, protestant contre l'enrôlement en Lettonie des soldats destinés à renforcer l'armée de Wrangel. - (Radio.)

Le général Semenov prisonnier

Copenhague, 4 novembre. - On annonce que le général Semenov, qui s'était évadé de Tehita par voie des airs, a été capturé quelques jours plus tard par des insurgés, au moment où un accident de moteur l'avait forcé à atterrir. - (Radio.)

 

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La délégation de l'Internationale Syndicale en Allemagne

D'après une dépêche d'une agence berlinoise reproduite hier par plusieurs journaux et notamment par le Matin sous le titre « l'Internationale syndicale reconnaît que l'Allemagne n'exécute pas les réparations », Fimmen, secrétaire de l'Internationale syndicale aurait fait certaines déclaration au correspondant de cette agence relatives à l'occupation du bassin de la Ruhr. Cette publication a parue déplacée et controuvée au bureau de la C.G.T. qui nous communique la note suivante :

Une note d'agence parue dans les journaux d'hier matin, reproduit une prétendue interview du camarade Fimmen, secrétaire de l'Internationale syndicale, qui est de nature à défigurer le caractère de la délégation syndicaliste qui se trouve actuellement en Allemagne et dont font partie nos camarades Jouhaux et Merrheim.

Le sens des paroles prêtées à Fimmen et gui laisse supposer que la Fédération syndicale internationale légitimerait une occupation éventuelle du bassin de la Ruhr est à coup sûr dénaturée.

Il appartiendra aux délégués de dire à leur retour quel fut le but de leur enquête et quels enseignements ils en ont tirés.

Le Bureau confédéral.

 

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Comité des syndicalistes révolutionnaires

Syndicat des métaux

Grand meeting demain samedi, à 20h30, grande salle de l'Union des Syndicats, 33, rue de la Grange-aux-Belles, sous la présidence d'honneur des emprisonnés. Présidence effective de Le Pen, assisté de [Clochet] et Fargues :

Le syndicalisme révolutionnaire. Après le Congrès d'Orléans. Anniversaire de la Révolution russe.

Orateurs : Barthe, des terrassiers : Tommasi, de la voiture-aviation ; E. Dondicol, des employés ; L.-O. Frossard ; Sébastien Faure ; Marcelle Brunet, de l'enseignement. ; V. Godonneche, secrétaire du Comité central des C.S.R. ; Jouve, du bâtiment : Victor Labonne, des métaux : Carrére, des travailleurs municipaux.

Entrée gratuite.

 
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LAMENDIN EST MORT

Lille, 4 novembre. - Hier soir est mort, à l'âge de 68 ans, à Neuville-sur-Escaut, Arthur Lamendin, ancien député socialiste du Pas-de-Calais, ancien conseiller général et maire de Liévin, fondateur du Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, et ancien membre du Conseil supérieur du travail.

À l'annonce de sa mort la population de Liévin, où les funérailles auront lieu dimanche, a arboré des drapeaux cravatés de crêpe. - (Havas.)

 

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L'élection à la ​Maison-Blanche - par Marcel CACHIN

Le parti républicain triomphe aux Etats-Unis, comme il y a un an le Bloc National l'emporta, en France et la Coalition en Grande-Bretagne. Phénomène général chez tous les peuples « victorieux » ! La réaction capitaliste partout ramasse ses forces et peut provisoirement agir sur une opinion qui n'aperçoit pas encore les conséquences profondes de la guerre.

Le parti républicain représente, dans l'Amérique du Nord, la conservation sociale sous sa forme la plus brutale. Il est le parti de l'expansion impérialiste et des grandes affaires, des trusts et des banques. Il est violemment dressé contre toutes les revendications ouvrières.

Son candidat Harding, à la large face béate d'homme arrivé, « candidat de cinéma », disait je ne sais quel journal, personnage terne et de programme flottant, sans accent personnel, est le produit direct du boss du parti. C'est un automate entre les mains des chefs de la « machine », et en particulier d'Elihu Root, éminence grise du congrès qui fit de Harding son candidat.

Pourquoi l'« éléphant » l'a-t-il emporté si aisément sur le « baudet » démocrate ? Par réaction contre la politique wilsonienne que d'ailleurs l'ancien président n'eut pas le courage de mener jusqu'à son terme.

Puis l'Amérique a voulu signifier qu'elle entend n'être liée à l'Europe par aucune obligation ni aucun engagement diplomatique ou militaire. Et par dessus tout, par opposition à la menace des mouvements des prolétaires qui, là-bas comme dans tout l'univers, restent inquiétants malgré les apparences.

L'argent a joué un rôle important dans cette élection. Elle a coûté, dit-on, 20 millions de dollars, soit 100 millions de francs, soit 300 millions au tarif de notre change français. Décidément, c'est encore plus cher que chez nous, et nos profiteurs du Bloc National s'en sont, malgré tout, tirés à meilleur compte.

Aux États-Unis sévit plus que jamais le culte du Dollar. En ce moment les journaux du pays nous révèlent de multiples scandales, de vilaines opérations de maisons de jeux ou de débauche, le krack Ponzi, de malpropres affaires où sont impliquées d'importantes sociétés de sports, là-bas florissantes. Or, dit-on, les dupeurs sont généralement considérés par la masse du public comme d'heureux gaillards. Ce n'est pas l'heure de la moralité publique ; c'est celle de la fièvre de l'argent et de la corruption.

Dans la nation américaine où les femmes sont généralement plus cultivées que les hommes et où leur influence sociale est grande, un amendement récent à la Constitution vient de leur accorder le suffrage. Pour la première fois, près de 27 millions de femmes étaient inscrites sur les listes. Dans quelle proportion ont-elles voté ? A-t-on écarté de l'urne, comme on le prétend, les électrices noires ? (Il y a 15 millions de nègres aux États-Unis.) Nous n'avons pas encore de réponse précise à ces questions. Cependant, il apparaît à l'examen des résultats mêmes du scrutin que le suffrage féminin a été conservateur.

Quant au Parti socialiste américain, il faut convenir que son influence continue d'être très restreinte dans la nation du capital le plus concentré.

Sans doute le fait s'explique par des causes diverses. Pour mener une élection présidentielle en un pays de 105 millions d'habitants (c'est le chiffre du dernier recensement), il faut des ressources immenses dont le socialisme est partout dépourvu. Puis, les ouvriers sont encore fixés pour la plupart au stade exclusivement trade unioniste avec Gompers. Enfin des querelles d'ordre ethnique viennent compliquer le problème des classes, en ce pays immense où se juxtaposent, sans se fondre encore, les nations et les races les plus opposées.

C'est ce qui explique le triomphe momentané de la ploutocratie outre- Atlantique. Mais les présents événements économiques et leurs répercussions fatales ne laisseront pas longtemps les Etats-Unis en dehors du courant universel qui, en tous pays, ébranle en leur fond les institutions du capitalisme.

Marcel CACHIN.

P.-S. - Dans un récent article, nous disions que la dette de la France vis-à- vis de l'Amérique et de l'Angleterre s'élevait à 270 milliards.

En réalité, il s'agit de la dette totale des peuples Alliés vis-à-vis des deux pays anglo-saxons. Dans ce total, la part de la France est de 70 milliards environ.

 

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L'élection américaine

LA FIN D'UN RÊVE - par Alix GUILLAIN

Un électeur du parti républicain, interrogé sur les raisons qu'il avait de donner son suffrage à Harding, et sur la portée de son vote, fit la réponse suivante ; « En votant pour Harding, je voterai pour la classe dans laquelle je suis né, je voterai pour un gouvernement dans lequel les éléments décidés et énergiques prédomineront sur des raisons d'ordre sentimental, telles que celles qui dictent l'attitude des socialistes, vis-à-vis de la classe ouvrière. »

Cette anecdote que raconte le Saint Louis Star, nous semble être le meilleur commentaire qu'on puisse faire du résultat dos élections présidentielles en Amérique. Et il n'y aurait pas lieu peut-être d'en dire plus, si considéré d'un certain point de vue, le choix do M. Harding comme président des États-Unis ne révélait pas une signification historique.

Le triomphe du candidat républicain signifie la fin du wilsonisme : rien n'est plus clair. C'est la fin d'un rêve qui à un moment historique hanta bien des esprits.

« Les gars d'Amérique ne sont pas nés pour être sacrifiés dans une guerre qui aurait un autre objet que la défense de leur pays ». Voilà ce que M. Harding n'a cessé de répéter au cours de sa campagne électorale. Vingt-huit nations ont les yeux tournés vers l'Amérique, elles attendent aide et secours de la grande République, disait-on au candidat républicain. « Qu'est-ce que cela peut bien signifier répondait-il, si ce n'est que c'est sur les États-Unis, et sur les États-Unis seuls, que les vingt-huit autres nations comptent pour qu'ils leur sacrifient chair et os, pour qu'ils leur livrent hommes et munitions pour qu'ils les aident à rester ce qu'elles sont aujourd'hui. Et dans leur idée ce n'est pas comme un facteur de paix, c'est comme une force armée que doit agir l'Amérique ».

C'est de quoi M. Harding ne veut pas entendre parler, il ne veut pas « hypothéquer » l'Amérique, il ne se croit pas en droit d'engager la jeunesse américaine dans des aventures dont personne ne saurait prévoir l'issue. « Je suis patriote, dit-il, et tout dévoué à mon pays. Dieu a voulu que ce soit par la voie du patriotisme que l'homme atteigne à la perfection et contribue à mener le monde à la meilleure forme de civilisation possible ».

Son adversaire, M. Cox, que la Nation définit comme un provincial sentimental, aimant les effets mélodramatiques, et [imbu] des traditions qui ont été conservées dans les petites communautés religieuses, pensait autrement : « L'Amérique ne peut pas rester isolée, car ce n'est qu'une partie de ce monde, que régit la divine providence ! »

La bourgeoisie aux allures sentimentales et philanthropiques s'adonnant à un internationalisme de teinte mystique a été vaincue ; c'est le capitalisme au geste franc et brutal, l'américanisme sans phrases qui l'a emporté.

Tout ceci ne veut pas dire qu'en Amérique on ne parlera plus désormais de la Société des Nations. Les mots ont 1a vie dure et résistent mieux aux temps que les choses. Des télégrammes d'agence nous font d'ores et déjà prévoir qu'on ne cessera pas de si tôt de parler de la Société des Nations. Il y aura une Société des Nations sans « superstructure » internationale, comme nous l'explique si bien M. Nicholas Murray Butler dans sa brochure sur « le parti républicain et la politique internationale ».

Après la tragédie, c'est la comédie qui commence, mettant fin au rêve que caressait M. Wilson. M. Wilson figurera dans l'histoire comme une sorte de Necker du capitalisme.

Est-ce à dire que, parce qu'un faux idéal vient de s'effondrer, les citoyens du pays des Abraham Lincoln et des Walt Whitman, dans leur ensemble, reviendront à une politique étroitement réaliste ? Ceux qui croyaient en Wilson ont été déçus, terriblement déçus, jamais déception no fut plus cruelle. Maintenant que c'est la fin brutale du rêve, beaucoup d'entre eux ne chercheront-ils pas un idéal nouveau, et où pourront-ils le trouver, si ce n'est dans le socialisme ? Les passages de la Nation que j'ai cités l'autre jour prouvent qu'un certain nombre d'entre eux sont déjà dans la bonne voie. Serait-ce trop dire que do prétendre que les élections présidentielles qui viennent d'avoir lieu ont été pour Debs sinon un succès politique, du moins une victoire morale ?

Alix GUILLAIN.

 

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La majorité républicaine au Congrès américain

New-York, 4 novembre. - Il semble maintenant certain que les républicains auront au Sénat une majorité minima de dix voix ; une majorité de plus de cent voix leur est assurée à la Chambre des représentants. - (Havas.)

 

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UNE LETTRE DE RO​SA LUXEMBOURG À SONIA LIEBKNECHT

La lettre ci-dessous a été adressée de la prison de Breslau, en décembre 1917, par Rosa Luxembourg à la veuve de Karl Liebknecht. Elle est d'une beauté édifiante et précise la grandeur d'âme de la pauvre Rosa assassinée par des officiers. Sa simple lecture permet en même temps de se rendre compte de l'importance de la perte faite par le prolétariat et le socialisme allemands.

Il y a maintenant un an que Karl repose au Lackau. J'ai souvent pensé à lui ce mois-ci. Et il y a exactement une année que vous étiez avec moi à Wronke et que nous partagions votre bel arbre de Noël.

C'est pour la troisième fois que je passe la fête de Noël en cellule. Mais il ne faut pas prendre ce fait au tragique. Je suis toujours aussi calme et joyeuse. La nuit dernière, je suis restée éveillée pendant longtemps ; jamais je ne m'endors avant une heure. Comme je dois cependant me mettre au lit à dix heures, je rêve à toutes sortes de choses dans les ténèbres.

La nuit dernière donc, je pensais à ce phénomène remarquable que je ne cesse de vivre dans un joyeux enivrement, et ce sans aucune raison particulière. Par exemple, je suis ici dans une sombre cellule, couchée sur un matelas dur comme la pierre. Partout autour de moi règne, ainsi que toujours, un silence sépulcral. On s'imagine être enseveli. Une tache de lumière provenant du bec de gaz qui brûle toute la nuit devant la prison vient se plaquer au plafond, De temps en temps me parvient le bruit assourdissant d'un train qui passe au loin, ou plus près de moi, sous la fenêtre, j'entends la toux rauque de la sentinelle qui, pour se dégourdir les membres, fait une douzaine de pas dans ses lourdes bottes. Le sable grince si désespérément sous ses pieds que toute la désolation et l'impuissance de la vie en retentit dans l'obscurité triste de la nuit.

Je suis ici seule, dans le calme, enveloppée dans les plis nombreux du manteau noir de l'hiver - les ténèbres l'ennui, l'absence de liberté - et cependant mon cœur bat d'une joie intérieure inconnue, incompréhensible. J'éprouve les mêmes sensations que si j'allais par les prairies, sous un soleil lumineux et radieux. Et dans la nuit, étendue sur mon matelas, la vie me fait sourire, tout comme si je connaissais un charme secret quelconque pour changer instantanément toute laideur et toute tristesse en beauté rayonnante et en joie puissante. Constamment je cherche en moi la cause de cette joie, et ne la trouvant pas, je me mets à rire de moi-même. Je crois que le secret n'est nulle part ailleurs que dans la vie.

Le toucher du velours est doux, les ténèbres impénétrables ont également leur douceur : il s'agit de s'en rendre compte. Et du bruit que fait le sable humide grinçant sous le pas lourd de la sentinelle se dégage une mélodie merveilleuse de la vie - pour qui sait écouter.

Dans de pareils moments, je pense à vous et désirerais être à même de vous faire profiter de cette clef magique pour que toujours vous puissiez reconnaître, et dans n'importe quelles conditions, la beauté et la grandeur de la vie, afin qu'il vous soit donné de vivre dans le même enivrement que moi, de l'enivrement ressenti lorsqu'on va par les prairies.

Loin de moi la pensée d'essayer de vous pousser à l'ascétisme et vers des joies imaginaires. Je vous souhaite au contraire de goûter à toutes les joies réelles que procurent les sens. Ce que je voudrais, c'est vous insuffler ma joie intérieure, qui est inépuisable. Je serais désireuse d'apprendre que vous traversez Ja vie enveloppée d'un manteau brodé d'étoiles vous protégeant confire tout ce qui est mesquin, trivial, décourageant.

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O petite Sonia, j'ai ressenti ici une douleur poignante. Dans la cour où ii m'est permis de me promener de temps en temps, arrivent souvent des camions militaires remplis de ballots do vareuses et de chemises de soldats - plus d'une fois tachés de sang. Ils sont déchargés là, distribués dans les cellules, raccommodés par les détenus, pour être ensuite renvoyés à l'armée. Récemment un camion de ce genre traîné par des buffles au lieu de chevaux est arrivé. C'était la première fois que je voyais ces animaux de près. Ils sont plus larges et plus puissamment bâtis que nos bœufs, avec la tête aplatie et les cornes recourbées horizontalement. La forme du crâne, tout noir, se rapproche de celle de nos moutons. Ils ont de grands yeux doux. Ces buffles viennent de Roumanie - des trophées de guerre. Les soldats conduisant les camions disent qu'il est très difficile de dresser ces animaux habitués à la liberté et surtout de les rompre pour en faire des bêtes de trait. On les bat d'une manière effrayante - de sorte que le vœ victis s'applique bien à eux. Rien qu'à Breslau, il y en aurait une centaine. Et ces animaux qui ont brouté l'herbe des riches pâturages des hautes terres roumaines, ne reçoivent ici qu'une nourriture misérable et insuffisante. Ils sont exploités sans aucune commisération, obligés de trainer toutes de lourdes charges. Aussi périssent-ils rapidement,

Il y a plusieurs jours, donc, un de ces camions était si lourd que les buffles n'arrivaient pas à passer la seuil du portail. Lo conducteur, un soldat hrutal, se mit à rosser les pauvres bêtes avec le manche de son fouet, jusqu'à ce que le directeur de la prison le rappelât à l'humanité, en lui demandant s'il n'avait aucune compassion pour les animaux : « personne n'a de compassion pour nous autres hommes », répliqua le soldat dans un vilain rire. Et il se remit à maltraiter les buffles de plus belles.

Finalement, les bêtes réussirent à franchir l'obstacle. Mais sur la peau de l'une d'elles, le sang ruisselait… Petite Sonia, tu sais que quand on veut parler do quelque chose de dur et de résistant, on a l'habitude do faire allusion à la peau du buffle. Et pourtant celle-ci saignait… Pendant le déchargement du camion, les animaux épuisés restaient tout à fait tranquilles. Celui dont le sang coulait regardait droit devant luj et donnait l'impression, avec sa face noire et ses yeux sombres et doux, d'un enfant qui pleure.

Son regard était exactement celui d'un gosse qui aurait été puni sévèrement sans savoir pourquoi et qui se demanderait comment échapper à la violence brutale dont il venait de souffrir. Mes larmes coulèrent. Les propres larmes de la bête. Impossible à quiconque de ressentir une angoisse plus terrible, pour un frère chéri, que celle qui m'étreignait alors, devant mon impuissance à secourir cette souffrance muette.

Combien éloignées, à quelle extrême distance se trouvaient les libres, les opulentes prairies de Roumanie perdues à jamais ! Et quel changement avec là-bas dans l'éclat du soleil, le souffle dés vents ! Où était donc le chant mélodieux des oiseaux, l'appel musical des pâtres auxquels le pauvre buffle avait été habitué ?

Ici la ville étrangère, hideuse, des étables humides, un foin nauséabond, mélangé avec de la paille pourrie ; des hommes étranges, terribles; et des coups - le sang coulant de la chair meurtrie...

O buffle, mon frère, nous sommes tous deux si impuissants sous le joug qui nous étreint - la douleur qui t'accable est la mienne, l'impuissance qui te frappe est la mienne et 1e désir qui t'anime est le mien également.

Cependant les prisonniers déchargeaient le camion et transportaient son contenu à l'intérieur du bâtiment. La sentinelle, les mains dans les poches, se promenait dans la cour d'un air fier, la figure grimaçante et sifflant un air populaire.

Et l'image de toute la guerre glorieuse passa alors devant mes yeux…

Petite Sonia chérîe, sois sans inquiétude et qu'une franche gaieté t'anime en dépit de tout cela. C'est la vie, et nous devons l'accepter d'un cœur brave, jamais découragés, toujours souriants.

 

 

Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du vendredi 5 novembre 1920

- Avant le Congrès : « notre crise », par Raoul Verfeuil

- vote dans des sections ; meeting à Vierzon avec Marcel Cachin ; réunion du Comité pour la reconstruction de l’Internationale, pour préparer la résolution pour le Congrès de Tours

- correctif de Losovski, chef de la mission syndicaliste russe en Allemagne, suite à un article paru dans l’Huma

- le désastre de Wrangel ; Tchitcherine et Rakovski protestent contre l’annexion de la Bessarabie ; le général Semenov prisonnier

- la délégation de l'Internationale syndicale en Allemagne

- meeting du comité des syndicalistes révolutionnaires

- Lamendin est mort

- « l’élection à la Maison-Blanche », par Marcel Cachin

- « l’élection américaine : la fin d’un rêve » - par Alix Guillain

- « une lettre de Rosa Luxembourg à Sonia Liebknecht »

 

 

le 04 novembre 2020

 
 

Il y a cent ans : L'Humanité au jour le jour

 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)