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Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du dimanche 24 octobre 1920

L'Humanité, journal socialiste quotidien

À partir du site internet Gallica, de la Bibliothèque nationale de France

 

L'Humanité du dimanche 24 octobre 1920

 

À MOSCOU ?? - par Léon BLUM

J'en suis convenu dans mon précédent article, et je le répète. Le vrai débat, ou même le débat unique, est de décider si les règles d'organisation, si les principes doctrinaux, si les commandements d'action énoncés par le Congrès constituant de Moscou ont ou n'ont pas une valeur universelle. Ces règles, ces principes, ces commandements ont été visiblement tirés des enseignements de la Révolution russe dont ils théorisent les résultats expérimentaux. Mais devons-nous ou non les accepter comme les statuts communs et impératifs du Socialisme International ? Devons-nous ou non les reconnaître en tant que directions nouvelles s'imposant au Socialisme français, ? Telle est la question essentielle posée devant le Parti.

Qu'on y consente ou qu'on s'y refuse, tel sera le sens de l'adhésion ou du refus d'adhésion. Adhérer à la IIIe Internationale, cela voudra dire qu'on se soumet, en pleine franchise d'esprit, sans réticence, sans restriction mentale, aux dogmes nouveaux formulés à Moscou. Si nouveaux qu'il a fallu décorer d'un autre nom le Parti qui les professe. Refuser d'adhérer, cela voudra dire que, sans chicaner le moins du monde aux Russes le droit d'adapter leur propre doctrine ou leur propre tactique aux conditions spécifiques de leur pays, on se refuse à ériger les résolutions de Moscou en règles générales du Socialisme Universel, qu'on se refuse, par conséquent, à remanier de fond en comble, pour les ajuster à ce type nouveau, notre doctrine acquise et nos modes traditionnels d'action.

Si je ne me fais illusion, c'est bien sur ce terrain que Frossard posait le problème. C'est aussi, ce me semble, ce qu'entendait le Comité de la IIIe Internationale dans la note qu'il a récemment publiée. Sous le nom d'Internationale communiste on a créé un organisme nouveau, régi par des principes nouveaux. Il s'agit avant tout de dégager le sens, le contenu des principes, et, suivant qu'on les accepte ou qu'on les rejette, qu'on se dispose ou se refusé à s'y soumettre, de s'incorporer ou non à l'organisme.

Puisque nous sommes d'accord, autant qu'il me semble, pour définir ainsi le débat, je compte donc que nous serons également d'accord pour le débarrasser d'un certain nombre de controverses qui n'y touchent, ou n'y devraient toucher ni de près ni de loin, mais qui pourtant - je suis fâché de le constater - ont, jusqu'à présent, rempli une place démesurée dans la propagande orale bu écrite des partisans de l'adhésion.

Il est bien entendu qu'on ne nous présentera plus désormais l'adhésion comme la seule manifestation valable de notre solidarité avec la République russe. Un socialiste peut sentir en soi le plus vif amour pour la Révolution russe, être résolu à la protéger par tous les moyens, sans convenir pour cela le moins du monde que les méthodes révolutionnaires russes soient applicables au socialisme français. C'est ce que Rappoport soutenait avec nous pendant la campagne électorale. C'est ce que Paul Louis, si je ne me trompe, répondait aux amis de Loriot et de Souvarine qui, au Conseil national de Boulogne, essayaient pareillement de nous persuader que le seul moyen d'attester une sympathie sincère à nos camarades persécutés et embastillés était d'adhérer nous-mêmes à la IIIe Internationale. Pressemane a déjà fait remarquer, et l'argument est typique, que l'aide la plus énergique, la plus efficace qui ait jamais été apportée à la Révolution russe lui est venue du prolétariat anglais, unanime cependant pour repousser l'adhésion. En vérité, laissons cela. Soyons désormais d'accord pour laisser cela. Il s'agit de deux ordres d'idées qui n'offrent nul rapport, proche ou lointain,, et qu'on ne peut essayer d'insinuer l'une par l'autre que dans la chaleur des réunions publiques,et grâce à une sorte de subterfuge sentimental.

Cessons aussi, n'est-ce-pas, cette controverse oiseuse sur le plus ou moins d'étendue, sur le plus ou moins de solidité des réalisations socialistes en Russie. il ne s'agit en aucune façon de savoir que le régime bolchevik a échoué ou réussi. S'il a échoué, sa faillite ne prouve rien, puisque l'expérience a été manifestement faussée par un certain nombre de circonstances exceptionnelles, telles que le blocus. S'il a réussi, son succès n'a pas plus de valeur démonstrative, puisque le problème posé est précisément de savoir si les mêmes méthodes, pratiquées ailleurs, dans des conditions politiques et économiques différentes, procureraient le même résultat. Je sais bien que, dans un sens ou dans l'autre, ce thème prête, lui aussi, à des développements avantageux pour grands meetings. Mais il faut résolument le bannir d'une discussion raisonnée.

Si l'on voulait poursuivre ce travail de déblaiement préalable, il faudrait s'attaquer à toute une série d'équivoques du même ordre, dont on a, depuis deux mois, par précipitation ou par tactique, encombré le terrain du débat. Pourquoi vient-on nous répéter obstinément que l'exemple de la Révolution russe prouve la nécessité de la prise du pouvoir par le prolétariat ? Est-ce donc en cela que les doctrines de Moscou contiennent un apport original ? Est-il un seul socialiste pour contester que toute transformation sociale soit subordonnée à la conquête du pouvoir politique ? C'est le premier article de notre catéchisme traditionnel, et s'il suffisait de le marmotter une fois de plus pour adhérer à Moscou, l'adhésion serait unanime. Pourquoi déguiser les partisans et les adversaires de l'adhésion en partisans et adversaires du système parlementaire d'une part, du système soviétique de l'autre ? Cette opposition, est vide de sens, puisque le système soviétique, est inconcevable avant la prise du pouvoir par le prolétariat - Zinoviev en convient formellement - et qu'après cette prise de pouvoir je ne sais pas un seul socialiste qui ait envisagé la prolongation du parlementarisme actuel.

Pourquoi surtout ressasser, avec cette obstination farouche, que le débat pour ou contre, l'adhésion se réduit à une sorte de conflit entre l'esprit réformiste et la volonté révolutionnaire ? Non, mille fois non, personne n'a le droit de poser, ou plutôt de fausser ainsi la question, et il y a dans l'usage de cet argument quelque chose qui révolte. On a connu, autrefois, dans la doctrine socialiste, une théorie qui se nommait réformisme, ou plus exactement révisionnisme. Ce qui la caractérisait, c'est ceci : sans renier le moins du monde l'idéal révolutionnaire de transformation intégrale, elle le jugeait si lointain, si peu accessible, que la conquête des réformes intermédiaires devenait du coup l'objet essentiel de l'activité sociale. Mais il ne peut plus être question de ce réformisme, puisqu'il est mort, mort depuis quinze ans, et l'on peut dire, que l'homme qui lui a porté les coups mortels se nomme simplement Karl Kautsky. Il n'y a plus aujourd'hui en France de réformisme. Il n'y a plus qu'un Parti qui, aux termes du pacte d'unité, est « un parti de lutte de classe et de révolution » et qui a inscrit dans son plus récent programme - celui d'avril 1919 - « Plus fermement que jamais, le Parti socialiste déclare que le but final de son action est la Révolution Sociale... »

Convenez-en donc, Cachin, Dunois, le conflit n'est pas entre lé réformisme et l'esprit révolutionnaire. L'ensemble du socialisme français, que vous le vouliez ou non, est aujourd'hui, était hier, un socialisme révolutionnaire. J'ajouterai même ce que mes camarades m'ont entendu dire cent fois, non seulement dans des réunions de section, mais dans des réunions électorales, c'est que je ne connais pas, pour ma part, deux espèces de socialisme dont l'un serait révolutionnaire et l'autre ne le serait pas, puisque Socialisme et Révolution sont deux mots de presque identique contenu et qu'on pourrait comme appliquer l'un sur l'autre. Ce qui s'oppose aujourd'hui, convenez-en, ce sont deux collections différentes de la Révolution, celle que le Parti français avait constamment précisée depuis quinze ans, celle que Moscou vient de formuler. Les Russes eux-mêmes le déclarent. Relisez la condition 6 : « La majorité actuelle du Parti socialiste français doit débarrasser ses rangs de ces éléments qui ne veulent pas suivre la nouvelle voie révolutionnaire... » Ce qu'il s'agit de décider, c'est si nous acceptons théoriquement cette nouvelle conception révolutionnaire et si nous la jugeons pratiquement applicable à l'action socialiste dans notre pays. Opposons donc clairement les deux conceptions l'une à l'autre, c'est là le franc-jeu. Mais que personne n'essaye plus d'altérer ce débat présent en ranimant les querelles éteintes, que personne ne s'arroge plus le droit de traiter de contre-révolutionnaires et de réformistes ceux qui persistent à concevoir la Révolution sociale comme Vaillant, comme Guesde, comme Jaurès - ou même comme Karl Marx et Engels.

Léon BLUM.

 

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LE DEVOIR SOCIALISTE - par Henri BARBUSSE

Je demande à mes camarades de l'Humanité l'hospitalité de leur journal pour me permettre de m'adresser à tous les combattants du Parti, et exprimer une opinion sur la lutte qui divise en ce moment les socialistes français.

Que les jeunes ou vieux militants ne me considèrent pas comme un intrus dans le débat parce que je ne me mêle pas de politique directe et immédiate, et que les deux organisations auxquelles je me consacre : l'Internationale des Anciens Combattants et Clarté, poursuivent leur œuvre en toute indépendance vis-à-vis des partis politiques quels qu'ils soient.

Cela ne veut pas dire que ceux au nom de qui j'ai l'émotion fraternelle de parler lorsque je parle ne se préoccupent pas de politique. Comment, pour des hommes positifs cela serait-il possible dans le tourbillon compact des événements actuels ? La politique est, à travers la vie collective, le mécanisme réalisateur. Elle est mêlée, intimement à l'humanité. Séparer la question politique de la question économique, de la question sociale, de la question morale c'est à notre sens, enfantillage et sophisme, et nous avons souvent reproché, a certains « intellectuels » de gauche de tracer une frontière entre le rêve et l'action et de jouer le rôle d'une classe aristocratique et anarchique dont le moins qu'on puisse affirmer est qu'elle est inutile.

Cela ne veut pas dire non plus qu'il y ait désaccord de principes entre nous et le socialisme orthodoxe. Au contraire : chacun a, ici-bas, sa mission et sa besogne, et l'intérêt même de l'idéal commun est que les efforts s'harmonisent vers lui au lieu de se mêler confusément. En tant que Clartistes et qu'Anciens Combattants organisés, nous nous efforçons d'ensemencer, par une propagande positive et documentée, la vérité sur les faits et sur les idées ; nous nous attachons à redresser la mentalité incertaine du public, c'est-à-dire de la multitude, dispersée. Ce travail de préparation intellectuelle et morale, ce travail primordial et indispensable de véracité doit être conduit avec des moyens appropriés, en dehors de l'action politique, directe, jusqu'aux jours prospères où les idées vraies et justes se changeant en actes, les partis politiques justes et vrais récolteront ce qui a été semé là où ils n'ont pas aujourd'hui accès.

Notre conception de la religion sociale, à nous qui ne voulons pratiquer, au-dessus des chapelles et des églises, que le théisme de la vérité, nous fait un devoir de juger les réalisateurs politiques : les réalisateurs d'aujourd'hui et les réalisateurs de demain.

Le moment, nous semble venu de dégager des évidences élémentaires que trop de socialistes perdent de vue. Nous les voyons pris dans l'engrenage de discussions qui se traînent, se morcellent et se rapetissent chaque jour. Ils embrouillent les grandes questions avec les petites, et l'idée essentielle qui appartient à tous les honnêtes gens, est en danger. Dans ce chaos, il faut refaire de la simplicité avec une pure et brutale énergie.

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À l'heure actuelle, le devoir socialiste est aussi net qu'il est impérieux et pressant. Tous les vrais socialistes doivent se rallier sans réserves aux extrémistes, parce que les extrémistes ont raison.

Ils ont raison dans leur doctrine, dans la lettre de leur loi. Le communisme international édicte l'internationalisme absolu. Ce seul article est capital, il contient en puissance tout l'ordre nouveau. La vie malfaisante du capitalisme est entièrement basée sur la division en nations de la masse humaine : les concurrences nationales sont la justification et le prétexte de toutes les espèces de guerres et d'oppressions. Il n'y a pas, sur l'internationalisme la moindre réserve à formuler. N'en acceptons aucune, jamais. Il n'est pas de demi-nationalisme. La patrie est contre l'humanité. La défense nationale, ni rien de national ne compte au regard de la grande cause unique des hommes. Il n'existe pas au monde de collectivités ou de personnes assez étrangères les unes aux autres pour que la loi de justice ne leur convienne pas également à toutes.

Ils ont raison, et de cela vous convenez tous, d'accorder la seule réalité sociale à la production, d'abattre par là, d'un seul coup, tous les privilèges, de faucher enfin la tyrannie artificielle et sinistre de l'argent. Ils ont raison de supprimer en même temps que le parasitisme d'une classe, celui des parlements et des gouvernements. En dehors de ces principes de structure, les autres dispositions du communisme sont d'ordre accessoire ; elles ressortissent aux conditions d'application, non de dogme, et susceptibles de corrections et de nuancement.

Il n'y a qu'une question de dosage qui se rapetisse instantanément et devient relative après cette réserve formidable et péremptoire que toute acquisition doit correspondre directement à un travail individuel réel. Il ne faut donc pas mêler ces problèmes subsidiaires aux grandes directives de la cité idéale et ne pas mettre en question à tort et à travers l'évidence des unes à propos des complications pratiques des autres. C'est déformer fallacieusement, par manque de mise au point, une conception irréfutable. Le système est, dans ses cadres, logique, droit et sûr. Il adapte mieux qu'on ne l'a jamais imaginé jusqu'ici, le respect de l'individu à l'intérêt général. C'est l'expression la plus généralement sincère du socialisme, du contre-capitalisme. Ils ont raison, à côté de la doctrine proprement dite, dans leurs méthodes dominatrices. Les hommes de Moscou ont bien fait, s'ils l'ont fait, de maintenir depuis trois ans par la force la dictature de la Raison. Toute révolution impose une constitution par la force. Quelle omniscience surnaturelle et magique décrétera, le laps de temps au delà duquel ce maintien d'un ordre nouveau cesse d'être juste !

Ils ont raison de dire que si l'on veut la suppression des classes, il faut vouloir la dictature du prolétariat. C'est une coupable naïveté que de se figurer qu'il existe un autre moyen de réaliser l'équité sociale pour tous.

Ils ont raison de dire que la révolution universelle est nécessaire et qu'il faut y tendre, et ils n'ont jamais dit que la révolution devait être immédiate là où-elle n'est pas prête, inévitable ne veut pas dire prématurée : ils n'ont pas mêlé cette absurdité à cette évidence.

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La violence reste haïssable pour une doctrine qui est l'organisation même de la paix et de la solidarité, mais ce ne sont pas les persécutés qui ont inventé les violences. La guerre civile nous assaille depuis des siècles. En se servant de la violence, les martyrs de la vieille société saisissent, pour se défendre, une arme ensanglantée par leur propre sang. Et il faudrait être en proie à un mysticisme dangereux pour croire que la violence cédera Jamais à l'unique beauté de la raison.

Ils ont raison d'être intransigeants et implacables envers le réformisme. Le réformisme est la seule machination dont puisse mourir le socialisme, son poison spécifique. C'est fausser la mentalité de ceux qui se dressent pour échanger les données de la construction sociale que de leur faire croire que cet immense et parfait changement peut résulter de combinaisons diplomatiques où l'ancien régime subsistera par parties, c'est-à-dire subsistera dans ses assises, c'est-à-dire subsistera intégralement. L'homme loyal n'a pas le droit d'imaginer un arrangement où l'abus recevrait des satisfactions et des garanties. Toutes ces demi-réalisations ne peuvent être que des représentations théâtrales éberluant l'opinion, tandis que le statu quo continue dans la coulisse et que de nouveaux cataclysmes sont en formation - ainsi que cela s'est passé durant le demi-siècle de régime « progressif » qui joint la guerre de 1870 à celle de 1914. Malgré leurs titres pompeux, la Société des Nations, les nationalisations, le Bureau international du Travail, sont des manifestations totalement conservatrices.

Ils ont raison enfin de poser des conditions strictes à la reconstitution de la vraie unité socialiste. C'est un des signes sensationnels de la sagesse des Bolchevistes que ces restrictions minutieuses qui sont manifestement contre leur intérêt immédiat. L'unité qu'il importe de bâtir à travers les essais avortés et les pactes déchus, celle qui grandira et s'égalera un jour au monde, doit être profonde et sans tache. Une laborieuse unité pleine de concessions s'effriterait au premier contact des choses. À quoi bon le nombre si c'est pour s'y ensevelir ? Le parti de la vie n'a pas à s'encombrer de partisans moribonds. Que ceux-là aillent rejoindre les radicaux paralytiques et les réactionnaires tricolores. Il faut se montrer tel qu'on est ; il faut avouer

Ils ont raison... Ils sont pondérés, scientifiques et conséquents, extrémistes parce que raisonnables, et s'ils prétendent toujours et partout envisager d'ensemble les questions, c'est parce qu'ils sont pratiques et que leur génie est créateur.

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Il n'y a rien, dans la charte de la IIIe Internationale qu'un socialiste sincère et qu'un citoyen probe ne doive accepter, non seulement avec confiance, mais avec soulagement et reconnaissance.

Si l'on peut mal comprendre, lorsqu'on se place au-dessus des cahots de la lutte quotidienne, des chocs des discours et des articles, que toute une partie des socialistes français éprouvent tant de difficultés à reconnaître ailleurs la vérité qui est en eux, quelle angoisse de constater l'aveuglement de ces mêmes hommes devant ce qu'on pourrait appeler la réalité du socialisme !

Le socialisme n'existe presque pas. Il traverse ce moment de sa destinée où il est juste assez constitué et explicite pour que ses ennemis comprennent tout ce qu'il représente. Il y a dans chaque pays une petite et pauvre élite qui se débat, écrasée et persécutée, et là où elle n'est pas frappée à la tête, assommée, elle est circonvenue par le mensonge démocratique que le capitalisme reprend à son compte. À côté du capitalisme, le socialisme est encore d'une puérile faiblesse. Un de nos camarades américains nous citait cette phrase terrible et positive émanant d'un puissant organisme de propagande capitaliste : « Nous avons les églises, nous avons les écoles, nous avons les journaux, et par conséquent nous avons les électeurs, les gouvernements, les armées et les juges ». Cela est mathématiquement vrai. Le capitalisme représente encore partout la souveraineté absolue, la puissance réelle. Le parti socialiste qui systématise la révolte de l'esprit et de la sensibilité contre l'injustice monstrueuse, ne se manifeste encore ici-bas que par une sorte de rêve épars et errant, de mysticisme précis. Nous savons bien que la vérité triomphera de tout, que le nuage deviendra orage et s'abattra et que l'avenir est à nous. Mais cette prédiction est grave et lourde à supporter. Bien des cataclysmes nous séparent du paradis de l'avenir, et l'attente est faite de la misère, de la souffrance et du sang des hommes.

Et pourtant, il s'est trouvé à notre époque, où la barbarie inonde encore le monde et pénètre les cervelles et les cœurs des multitudes, où elle encage la conscience générale, il s'est trouvé un pays où par un hasard miraculeux de circonstances, le grand rêve humain est éclos. Dans une humanité encore toute pliée par la tradition et gardant comme des chaînes la trace de ses chaînes, l'affranchissement est né avant terme. La vérité vaincra, oui. Mais, je le répète, ne nous payons pas trop de mots et d'échéances futures, et ne mêlons pas l'hommage que nous devons aux révolutionnaires russes, d'espoirs trop béats et trop faciles à énoncer du bout des lèvres. Cette phalange de sauveurs n'a montré jusqu'ici son existence qu'en saignant. Elle est affreusement menacée. On a essayé de nous faire admettre qu'il pouvait y avoir des dissentiments au sujet dé la guerre de Russie, entre des Millerand et des Lloyd George ; on nous a parlé de trêves, de paix : odieuses balivernes destinées à distraire ou à diviser l'attention. En réalité, il y a une coalition indissoluble de tout l'impérialisme international, de tous les puissants, de tous les riches, de tous les rois, à la tête de tous les peuples armés, environnés de tous les vieux mensonges universels, contre la Russie libérée. Jamais cette guerre sociale ne cessera que par l'écrasement du socialisme ou par l'écrasement du capitalisme.

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Lorsque, sur tous les trônes du monde, se sera installé, au complet, un tsarisme plus ou moins déguisé, lorsque le genre humain, d'un pôle à l'autre, sera rentré - pour combien de générations - dans l'emprisonnement de « l'ordre » capitaliste où nous sommes tous poussés pêle-mêle, que vaudra cette marotte bouffonne de la conquête graduelle et gracieuse du pouvoir par le peuple, du progrès opportuniste, que vous laissez peu à peu prendre la place de l'idéal violemment clair ? Ce jour-là, le socialisme aura à ressusciter tout entier, et tout le martyre accompli en Russie sera à recommencer !

C'est la simplicité effrayante de ces conjonctures que vous méconnaissez en marchandant votre fraternité à ceux qui incarnent la fraternité. La classe ouvrière n'est-elle pas de force à sauver la Révolution russe qui tant de fois l'a appelée désespérément à l'aide ? Soit, admettons que cela est discutable. Ce qui ne l'est pas, c'est qu'elle n'a jamais fait pour elle ce qu'elle pouvait faire, et que, par foules, socialistes et syndicalistes, à l'abri de leurs belles paroles, ont manifesté vis-à-vis de la précieuse existence de la République des Soviets, une ingratitude qui confine à l'aberration.

À l'imitation de la dégoûtante hypocrisie des réactionnaires, on pèse, on mesure chez nous les résultats du bolchevisme, résultats acquis en pleins champs de bataille, en pleines ruines, avec la faim et la peste dans les entrailles des étendues vivantes, au milieu des horizons malfaisants, à travers la trahison et le sabotage incalculable. On peut émettre hardiment et sans scrupule cette vérité que, dans les conditions où ils ont travaillé, les réalisations des communistes ont une profonde signification, mais que leurs lacunes et leurs insuffisances n'eu ont aucune.

Sachant ce que nous savons, nous n'avons plus ni le loisir, ni le droit de nous attarder à ce jeu d'enquêtes, non plus que de discuter sur telle on telle concession de deuxième ou de troisième ordre, de telle ou telle exclusion ou question de personne, d'égards ou de cérémonial, alors qu'il s'agit présentement de la vie ou de la mort de l'idée pour laquelle nous devons vivre et pour laquelle nous devons être capables, s'il le faut, de mourir.

Henri BARBUSSE

 

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ON ENTERRE AUJOURD'HUI JOHN REED À MOSCOU

Nous avons appris avec une profonde tristesse la mort de notre camarade John Reed, membre du Comité exécutif de la IIIe Internationale, où il représentait le parti communiste américain.

John Reed est mort de la fièvre typhoïde à l'âge de 33 ans. Journaliste américain de grande notoriété et attiré de bonne heure par l'idéal socialiste, il collabora pendant quelque temps au « Liberator ». Lorsqu'éclata la révolution russe, il se rendit comme journaliste en Russie et ne tarda pas à abandonner toute autre activité pour se donner exclusivement à la cause bolcheviste. Il écrivit alors un livre intitulé « Ten days that shook the World » (dix jours qui secouèrent le monde), et qui, d'après les dires mêmes de Lénine, est le meilleur livre qui ait été écrit sur la Révolution russe par un étranger. La citoyenne Lénine en avait entrepris ici traduction en russe.

Il revint ensuite en Amérique où, il collabora puissamment à la fondation du parti communiste américain, puis réussit à rentrer une deuxième fois en Russie où il assista, comme représentant du parti communiste américain, au deuxième Congrès de la IIIe Internationale, et au Congrès de Bakou.

Lo corps de John Reed a été exposé toute la semaine au Temple du Travail à Moscou, où une garde d'honneur, composée de soldats de l'armée rouge, l'a veillé jour et nuit.

Il sera enterré aujourd'hui en grande pompe, le dimanche ayant été choisi pour les funérailles, afin que tous les travailleurs pussent rendre les derniers honneurs à celui qui leur sacrifia sa vie.

Il sera inhumé dans l'endroit le plus sacré de la Russie, près de la porte nord du Kremlin, sous laquelle jamais un Russe n'était passé sans se découvrir.

C'est ainsi que les Russes donnent un droit de cité, dans la terre qu'avaient consacrée toutes les traditions de leur histoire, à un camarade qui, le premier, était venu de l'étranger lutter avec eux pour la cause universelle du prolétariat.

 

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AU CONGRÈS DE HALLE

LE DISCOURS DE LONGUET

Halle, 16 octobre. - (De notre correspondant particulier.) - À l'ouverture de la séance du matin, après une intervention nouvelle de Losowski, Longuet monte à la tribune, salué par les longues acclamations de l'aile droite.

Longuet dit en substance que la préoccupation capitale du Parti français est de sauver son unité, parce qu'il ne veut plus revivre les tristes heures de la division. Il sait que les ouvriers ne sont pas portés vers la Révolution russe par le sentiment seul, il se refuse à donner des armes à la bourgeoisie en critiquant la Révolution russe, mais il se refuse d'une manière aussi catégorique à considérer les méthodes russes comme valables pour l'Europe occidentale.

Les conditions de Moscou correspondent à une philosophie toute particulière, la philosophie russe, et la IIIe Internationale doit être une internationale russe. Je sais que dans votre majorité vous êtes pour les conditions, mais je dis qu'il est plus facile de les accepter que de les remplir. Peut-être perdrez-vous à cela quelques illusions. Pour la France et l'Angleterre, elles sont inacceptables. Frossard l'a déclaré à Orléans en ce qui concerne Les syndicats. Au lieu de vouloir détruire les syndicats, pourquoi ne travaillez-vous pas à remplacer leurs chefs par de bons indépendants. Appleton a été remplacé : ne pouvez-vous pas aussi remplacer Legien ?

Nous avons en France des milliers de paysans, sans qui et contre qui nous ne pouvons pas faire la Révolution. La tactique que par amitié pour la Russie nous avons suivie aux élections n'a fait que renforcer la bourgeoisie qui chez nous est déjà la plus forte de l'Europe. Détruire l'unité ouvrière, c'est ajourner la Révolution et faire triompher le capitalisme.

Les sectes communistes qui existent en Russie, en Angleterre, en Amérique, en Espagne, ne sont pas le prolétariat. On ne peut pas faire entrer le grand arbre de l'Internationale dans le pot de fer de Moscou. Nous avons donné à la Russie les plus grandes preuves d'affection, mais en réponse on nous a montré le bâton. Je veux conclure avec les mots de Marx : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! - et non pas : Prolétaires de tous les pays, divisez-vous !

Le discours de Longuet est salué par l'aile droite avec des hoch d'honneur.

 

L'ALLOCUTION DE ZINOVIEV

Après le vote.final. Zinoviev monte à la tribune et dit :

Camarades, un seul mot : soyez les bienvenus , dans la IIIe Internationale. Une partie de ceux qui se sont séparés aujourd'hui reviendront à nous. Les autres nous n'en avons pas besoin, ils sont allés à la bourgeoisie. L'événement d'aujourd'hui aura son écho en France, en Angleterre, dans le inonde entier. La classe ouvrière allemande s'est libérée la première des éléments réformistes.

Au nom du Comité exécutif, je vous prie d'envoyer immédiatement un délégué au Comité exécutif.

Les bourgeois sont si bêtes qu'ils se réjouissent des scissions dans le prolétariat. En réalité cette scission ne présente aucun danger pour lui, puisqu'elle le débarrasse des agents de la bourgeoisie.

Le Parti Indépendant a montré qu'il y a en Allemagne des ouvriers qui réfléchissent. Encore une fois, soyez les bienvenus. Allez dans le pays et dites aux travailleurs : Vous êtes maintenant membres de l'Internationale communiste ! Vive le Parti Indépendant, qui est aujourd'hui un vrai Parti communiste. Vive le Parti communiste unifié d'Allemagne ! Vive la Révolution mondiale !

 

UN ARTICLE DE PAUL LEVI

Halle, 18 octobre. - (De noire correspondant particulier) - Le docteur Paul Levi commente dans la Rote Fahne la scission du Parti Indépendant : « La tâche future de l'ancienne aile droite du Parti Indépendant est à sa place dans le Parti socialiste majoritaire. Au milieu de ces prolétaires ignorants, de ces petits bourgeois qui s'enfoncent économiquement tous les jours davantage, les Indépendants de droite peuvent faire un travail « d'éclaircissement » dans le sens du programme d'Erfurth. La décomposition du Parti socialiste majoritaire, la dissociation de toutes les forces qui s'y sentent aujourd'hui entravées et y forment l'aile gauche, telle est la tâche de l'aile droite des Indépendants.

« Nous, nous retrouvons les camarades dont nous nous sommes séparés il y a deux ans. Il est possible que la clarification dans leurs rangs eût été plus rapide si nous étions restés avec eux, mais la séparation n'a pas été inutile. Notre Parti est passé par l'épreuve de l'illégalité, il a acquis l'esprit du communisme par un dur combat intérieur, et il constitue aujourd'hui une troupe de lutteurs unie comme pas une. »

 

L'EXPULSION DE ZINOVIEV

La fraction minoritaire du groupe des députés Indépendants au Reichstag qui compte 60 députés sur 82, a protesté contre l'expulsion de Zinowiev et Losowski, et réclamé le retrait immédiat de l'arrêté d'expulsion. La Freiheit élève la même protestation.

 

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LE DÉ​PART DE ZINOVIEV ET LOSOWSKY

Berlin, 23 octobre. - Zinoviev et Losowsky et les autres membres de la délégation soviétiste, expulsés d'Allemagne sont partis, ce matin pour Stettin, accompagnés d'A. Hofman. Un fort détachement policier les accompagnaient de leur hôtel jusqu'à la gare où un service d'ordre avait été organisé.

Zinoviev et Losowsky ont été salués au départ par un représentant des Soviets à Berlin, Victor Kopprou et par les communistes. Aucun incident ne s'est produit.

La délégation soviétiste s'est arrêtée à Stettin à destination de Reval ; le gouvernement suédois s'étant opposé à son passage par la Suède. (Havas.)

 

Centenaire du PCF, au jour le jour : L'Humanité du dimanche 24 octobre 1920

 

 
 
 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)