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Progressistes n° 27 de janvier, février et mars 2020

Édito d'Amar Bellal, rédacteur en chef de la revue Progressistes

 

De l’art de s’opposer en temps de crise et de danger majeur

Dans cette crise, la tentation est forte de justifier par des arguments scientifiques que l’État pourrait faire autrement et beaucoup mieux, qu’il pourrait concilier toutes les attentes, que grâce à des campagnes de tests massifs, grâce à des avancées de la médecine on n’aurait pas besoin de mesures aussi drastiques que le confinement massif et prolongé, et pour conforter cette conviction on avance même pour preuve l’exemple de certains pays qui n’ont pas pris de telles mesures. On peut répondre ce qui se dit déjà parmi les spécialistes : rappeler qu’il y a une vraie difficulté scientifique, que sans remèdes et sans vaccin on ne voit vraiment pas comment faire autrement que de prendre les mesures que l’on sait : confinement, pratique des tests ciblés, tentatives prudentes de reprise et de déconfinement plus ou moins partiel pour éviter la mort économique et sociale (deux mois c’est long), le tout avec un virus qui réserve encore des surprises. C’est difficile à entendre, car on aimerait bien un discours « clé en main » mettant tout cela sur le dos du capitalisme. Certes, on ne peut pas nier que le système en profite, quoique pour les actionnaires c’est surtout une baisse énorme de leurs profits (mais il leur reste suffisamment pour se gaver tout de même), et ils chercheront à se refaire une santé sur le dos des salariés. C’est aussi pour eux une grande source d’inspiration, avec cette expérience grandeur nature du travail à distance, qui ne sera pas utilisée au bénéfice des salariés prioritairement, loin de là. Mais dire que tout vient d’eux et que toutes les mesures prises visent à augmenter les profits – on entend souvent cette petite musique – est excessif et ne permet pas de prendre la mesure des difficultés bien réelles de la situation.

L’État est face à des injonctions contradictoires. Il déconfine ? c’est trop tôt et irresponsable. Il confine ? il veut tuer la vie sociale. Il a l’idée d’annuler le premier tour des municipales ? il instrumentalise la pandémie contre la démocratie. Il maintient le premier tour ? il joue avec la vie des Français. Il interdit les rassemblements ? c’est liberticide et inefficace, pour preuve l’intervention policière au canal Saint-Martin, à Paris, au début de mois de mai ; il les autorise ? il ne veut pas prendre de décisions fortes et prend le risque d’une deuxième vague ; il ferme les restos ? c’est une mesure excessive ; il les rouvre ? c’est beaucoup trop tôt et met en danger les salariés. Il maintient les écoles fermées ? il entérine les inégalités face à l’enseignement à distance ; il pense à les rouvrir ? il met en danger les enfants et dénature l’école...

Il faut avouer que, tout adversaires politiques qu’ils sont, on n’aimerait pas être à leur place en ce moment. Et on peut penser aussi que, si nous étions aux responsabilités – un gouvernement bien de gauche, entendons-nous bien –, on s’en sortirait certainement mieux, mais pas beaucoup mieux. Une chose est sûre : en amont, on n’aurait pas cassé les hôpitaux comme ils l’ont fait depuis des années, et cela joue dans la gestion d’une crise. On serait aussi certainement plus équipés en matériel de toute sorte, plus prévoyants aussi, quoique lors des premières pandémies des années 2000 nous ayions joint nos voix aux moqueries et reproches ciblant la ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, lorsqu’elle passa commande massive de masques et de vaccins : on n’y voyait que la main des industriels, des lobbies...

On peut même penser qu’un pouvoir de gauche – débarrassé de certaines idées antivaccin et antiscience, mieux vaut le préciser – et ayant donné plus de moyens à la recherche pendant des années aurait à disposition en ce moment un remède, ou en tout cas une connaissance suffisamment forte de la famille des coronavirus pour avancer plus vite. Mais là aussi, prenons le cas de la Chine, qui met pourtant des moyens massifs dans ce domaine, ayant été échaudée par le passé : elle n’est pas plus avancée. Preuve qu’en science, la volonté ne suffit pas, on n’obtient pas des résultats sur commande, même avec un financement important (cela dit, si on ne finance pas, c’est beaucoup plus simple : on est vraiment sûr de ne rien trouver).

On s’en sortirait certainement mieux, mais on se heurterait globalement aux mêmes problèmes – virus nouveau, pas de remède immédiat, fonctionnement d’une société moderne qui n’est plus du tout habituée à ce genre de pandémie – et on se prendrait certainement les mêmes critiques, incompréhensions et attentes contradictoires des gens... On peut ajouter que s’opposer à un gouvernement en temps de crise inédite, avec un danger majeur et imminent, c’est tout un art. Il faut soigner la critique, ne pas tomber dans la caricature et savoir relever les bonnes décisions, celles qu’on aurait nous-mêmes prises si nous étions aux responsabilités, celles qui pourraient être améliorées, tout en n’aban- donnant pas la critique de fond, en dénonçant les insuffisances de financement de la recherche, en relevant l’importance des services publics, de l’outil industriel... et de la nécessité de dépasser le capitalisme pour affronter les grands défis de ce siècle.

 

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Au sommaire de ce n° 27 :

 

 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)