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N° spécial de Oise Avenir ! Urgences de l'hôpital de Creil : le chef de service démissionne ! Le Docteur Loïc Pen répond à nos questions - 24 décembre 2018

Urgences de l’hôpital de CREIL : le chef de service démissionne !

Le Docteur Loïc PEN répond à nos questions.

Oise Avenir a interviewé le docteur Loïc Pen, chef de service des urgence du groupement hospitalier public du Sud de l’Oise qui refuse de poursuivre son rôle de chef des urgences. Le docteur Pen, aux urgences de Creil depuis 2003, syndicaliste, a été interviewé dans plusieurs émissions de télévision, de radio, et  fait l'objet de plusieurs articles de presse au sujet de la crise des urgences. C’est également l’auteur, au nom de la CGT, de l'accord sur le temps de travail des médecins urgentistes de Creil. Cet accord imposé après trois mois de grève des urgentistes de Creil en 2005 sera finalement repris et généralisé à tous les urgentistes de France en 2015 par Marisol Touraine après un mouvement national animé par l’AMUF et la CGT médecin.

OA : Qu’est ce qui motive votre décision de quitter vos responsabilités au sein des urgences ?

LP : La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la fermeture annoncée de la maternité de Creil. C’est la première fois en France qu’on fermerait une maternité de niveau trois (apte à prendre en charge les accouchements les plus complexes).

Conséquence de cette fermeture, on demande aux urgentistes d’assumer les accouchements inopinés qui se présenteraient aux urgences de Creil. Hormis les médecins smuristes, qui ont une petite expérience, aucun des médecins actuellement en poste aux urgences ne sait pratiquer un accouchement en sécurité.

OA : Mais cela arrive dans d’autres urgences en France…

LP : C’est vrai, mais outre le fait que les urgences de Creil sont déjà totalement saturées, il faut regarder l’environnement de notre hôpital. Nous sommes dans un bassin de population cumulant des problèmes sociaux et de mobilité. Notre population a également un mauvais accès aux soins et une faible éducation à la santé. De plus, je le disais, ce n’est pas une petite maternité que l’ARS veut fermer, c’est une maternité à 1 500 accouchements, dans le bassin de vie présentant la plus forte démographie de l’Oise… Des grossesses mal suivies, un risque d’un grand nombre d’accouchements inopinés, des urgences saturées, des professionnels non formés,  tous les ingrédients sont présents pour des accidents graves.

OA : Ne peut-on former les urgentistes ?

LP : En guise de formation, on nous propose un cours théorique puis de monter en salle d’accouchement pour apprendre, cela pourrait même se faire sur notre temps de garde aux urgences nous dit-on. Outre le fait que cette proposition révèle la méconnaissance totale de ce que sont les gardes aux urgences, on n’a pas vraiment le temps d’enfiler des perles, elle n’est absolument pas sérieuse. Les sages femmes sont formées pendant 4 ans pour accoucher et elles nous disent qu’elles refusent de gérer au sein de l’hôpital des accouchements inopinés (et donc potentiellement à risque élevé), seules, sans l’appui potentiel d’un obstétricien et d’un anesthésiste.

Et nous en deux heures de cours et quelques passages au bloc obstétrical, nous en serions capables. Les urgentistes doivent être Superman ou Wonder Woman je pense. Et tout ça doit se faire fin janvier !

Je ressens cette proposition de formation faite par l’administration comme un moyen de se dédouaner des accidents potentiels, pas comme une solution de prise en charge des femmes et des enfants en sécurité.

OA : Vous disiez que la maternité est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, il était donc déjà bien plein ?

LP : En effet, Creil n’est pas un cas isolé, l’actualité récente vient encore de nous le rappeler avec le drame aux urgences de la Riboisière. Mais notre situation s’est particulièrement tendue depuis un an et demi avec la fermeture d’une centaine de lits sur l’ensemble de l’établissement. Nous manquons cruellement de lits pour hospitaliser nos patients. Ils stagnent dans les urgences, et cela entraine une augmentation de la charge de travail. Il s’en suit des baisses de qualité dans les prises en charges, une augmentation des délais d’attente et donc des risques, un personnel médical et paramédical au bout du rouleau.

Nous payons une logique d’austérité pour la santé, et l’organisation de la pénurie médicale dans le pays. 

J’ai discuté avec mes collègues à l’occasion de ma décision de démissionner de la chefferie de service. Nos urgences, sont déjà en grandes difficultés, et nous considérons collectivement qu’il n’est pas possible de nous demander de gérer les accouchements inopinés en plus.

À ce titre, je refuse de prendre la responsabilité d’organiser l’application d’une décision qui n’est pas la mienne et que je considère dangereuse.

La dégradation des conditions de prise en charge aux urgences est déjà ancienne et rien ne me semble aujourd’hui aller dans le sens de sa possible amélioration.

La politique de santé actuelle va dans le sens de l’ aggravation et d’une logique de privatisation. En effet, cet affaiblissement volontaire du service public sert à dégager le marché pour la santé privée à but lucratif. 

Je ne vois plus désormais de possibilité pour les responsables médicaux d’infléchir les choix qui nous sont imposés, dans le cadre institutionnel.

L’alternative est donc claire, soit je me fais le relais de choix que je réprouve, soit je démissionne. C’est cette deuxième solution que j’ai choisie.

OA : Il n’y aurait donc plus rien à faire pour retrouver un système de santé public pour tous et toutes ?

LP : Bien sur que si ! J’ai juste dit que je ne pensais plus possible d’infléchir les choix libéraux dans le cadre de l’institution. Je pense par contre qu’il faut faire monter nos exigences dans un cadre de lutte, syndical et politique. 

De l’argent, il y en a, il suffirait de traquer la fraude aux cotisations sociales pour récupérer 20 milliards d’euros pour la sécu, il suffirait de faire cotiser le capital comme le travail pour en récupérer 20 autres et je ne vous parle pas des 40 milliards de CICE de cette année ou des 80 milliards de fraude fiscale.

La France n’a jamais été aussi riche de son histoire, on devrait crouler sous un pognon de dingue et ça n’a jamais été aussi mal réparti. 

L’argent, c’est le nerf de la guerre, nous en avons besoin pour notre matériel vieillissant ou absent, pour rénover ou reconstruire nos locaux. Mais aussi dans les facs et les écoles pour former plus de professionnels de santé.

Mais c’est à une réforme complète qu’il faut s’atteler, basée sur l’interdiction du privé à but lucratif dans la santé. Nous devons repenser notre modèle qui pourrait s’appuyer sur des centres de santé en ville, conventionnés avec les hôpitaux publics et les hôpitaux privés participant au service public, avec de véritables maillages territoriaux par canton, appuyés sur les besoins des populations et non pas sur la restriction de l’offre. 

Bref, je ne vais pas quitter mon gilet rouge, et en ce moment, j’y rajouterai bien un peu de jaune.

 

 

le 24 décembre 2018

Reportage de F3 Picardie du 26 décembre

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« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)