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Discours de Pierre Laurent lors du meeting franco-allemand - Montataire, 7 novembre 2018

Intervention de Pierre Laurent lors du meeting franco-allemand, Montataire

Journée du souvenir - 7 novembre 2018

 

Cher-e-s camarades et ami-e-s,

Cher Jean-Pierre et Ian,

Cher Thomas,

Je veux commencer par te remercier vivement, Thomas, de ta présence ce soir et de ta participation, toute la journée, aux hommages que nous avons rendus aux morts de la Grande guerre et aux pacifistes qui, aux côtés d'abord de Jean Jaurès puis d'Henri Barbusse, s'étaient levés pour dire « la grande paix humaine est possible » et s'opposer au sacrifice inutile sur l'autel de l'argent-roi et de l'impérialisme européen de dizaines de millions de morts.

Si nous commémorons, avec nos camarades allemands de Die Linke, le Centenaire de l’Armistice du 11 novembre 1918, ce n’est ni pour « fêter une victoire », ni pour « célébrer » une réconciliation qui tairait les causes véritables de ce premier vaste affrontement des impérialismes mondiaux que fut la Première Guerre mondiale. 

En 1914-1918, il n’y eut pas de victoire, il n’y eut que des victimes, des vies et des villes détruites,  des familles endeuillées, des peuples exsangues et humiliés.

Si nous commémorons, à travers ta présence Thomas, nos camarades allemands de Die Linke ce Centenaire c'est pour célébrer « le plus grand des combats » selon les mots de Jaurès, celui de l'exigence de paix et de fraternité entre les peuples.

Le Parti communiste français né du refus de cette immense et inutile boucherie de la Première Guerre mondiale avait fait sienne et n'a jamais oublié les mots d’Anatole France : « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. »

« Ces maîtres de l'heure, disait Anatole France, possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. »

Dans ce même article paru le 18 juillet 1922 dans l'Humanité et consacré à un livre, Anatole France rappelle en effet que « la guerre mondiale fut essentiellement l’œuvre des hommes d'argent, (...) ce sont les hauts industriels des différents États de l'Europe qui, tout d'abord, la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent. Ils en firent leur état, mirent en jeu leur fortune, en tirèrent d'immenses bénéfices et s'y livrèrent avec tant d'ardeur qu'ils ruinèrent l'Europe, se ruinèrent eux-mêmes et disloquèrent le monde. »

Et, cent ans après l'Armistice, voici les peuples du monde toujours aux prises avec ces femmes et ces hommes d'argent sans d'autre foi ni loi que celles du profit, de la domination et de l'exploitation. 

Le Proche et le Moyen-Orient, aux ressources pétrolières immenses, est dévasté depuis la fin de l'Empire ottoman par des guerres sans fin qui s'enchaînent et s'enchevêtrent les unes aux autres et qu'alimentent avec ardeur les ambitions impérialistes des puissances occidentales et de leurs alliés régionaux. Des fortunes colossales se sont construites sur des charniers sans fond et les humiliations de peuple entiers. 

Non, cent ans après l'Armistice, nous n'avons pas oublié que l'accession au pouvoir d'Hitler, Franco et Mussolini sur fond de ruine et de misère, de haine et de xénophobie, fut aussi rendue possible par le soutien actif des grands manias de l'industrie et des fabricants d'armements.

Ceux, les quelques-uns, qui aujourd'hui possèdent « usines, banques et journaux » n'ont pas changé d'optique ; ils préférèrent un Bolsonaro au retour de la gauche de transformation sociale au Brésil, ils préfèrent un maréchal Sissi en Egypte plutôt qu'un régime démocratique, ils préfèrent une guerre saoudienne au Yémen et une crise humanitaire historique plutôt qu'un Etat palestinien, ils préfèrent un Trump aux Etats-Unis plutôt qu'un Sanders qui parle de partage des richesses et de sécurité sociale, ils préfèrent un Mohammed VI plutôt que le respect des résolutions de l'ONU pour le peuple sahraoui et la justice sociale pour le Rif, ils préfèrent un Salvini en Italie et un Orban en Hongrie où les forces de gauche ont été réduites à l'impuissance...

Partout, les injonctions néolibérales d'ajustements structurels, d'austérité et de traités de libre-échange du FMI ou de la BCE, de la Commission européenne et de l'Eurogroup faisant payer, depuis la crise de 2008, la dette des banques aux peuples et aux Etats ont ouvert la voie au retour de la Bête immonde qui sait prendre mille visages mais elle fait partout la même politique.

La mondialisation de l’économie sous domination capitaliste nous a conduit à une guerre économique généralisée permanente pour assouvir les appétits insatiables des groupes  multi- et transnationaux qui ont à leur service des gouvernements et des présidents,  des dictateurs sanguinaires et des néofascistes à peine ripolinés. 

Ces grands hommes et femmes d'affaires n'ont aucun scrupule, ils montent des armées privées pour l'unique protection de leurs usines ou sites d'extraction, ils passent des deals sonnants et trébuchants avec des groupes armés et des milices qui font régner la terreur partout où elles s'implantent ; on disait souvent que l'argent n'a pas d'odeur et bien nous savons maintenant que le pétrole de Daech non plus, semble-t-il... 

Qu'importe que l'argent serve à armer des kamikazes qui s'exploseront dans un jardin d'enfants en Afghanistan ou au Nigéria, qu'importe qu'ils arment les bras d'esprits obscurantistes à Saint-Étienne-du-Rouvray ou à Tunis, qu'importe que l'argent serve à recruter des nouveaux mercenaires pour anéantir les forces syriennes démocratiques du Rojava qui ont sauvé tant de femmes et d'hommes de la mort et des viols en Irak... ou de l'argent qui sert même à armer des tueurs antisémites et racistes provoquant des carnages aux Etats-Unis 

Le pillage incessant des ressources naturelles et des richesses nationales, la conquête perpétuelle de part de marchés, la course effrénée au surarmement ne sont pas des sports de très très riches ; c'est la concrétisation d'une logique systémique qui piétine aussi bien l'humanité que la planète.

Et, ils leur faut absolument briser tout espoir de changement, tout envie de changer les règles de ce système froid, cynique et destructeur qu'est le capitalisme.

Mais des espoirs et des mobilisations capables de soulever des montagnes, il y en a et nous, femmes et hommes de paix et de progrès d'Europe et du monde entier nous en construirons de nouvelles. Je partage totalement la conviction de Karl Marx, nous la partageons toutes et tous ici, que « l'union des travailleurs fera la paix du monde ».

Il ne s'agit pas d'une croyance ou d'un vœu pieux. Il s'agit d'un projet politique en soi. 

La paix, la culture de paix, d'amitié et de fraternité entre les peuples est un projet politique quand la guerre demeure encore et toujours un business.

L'heure est venue de débarrasser le monde des armes de destruction massive et des armes nucléaires. L'heure est venue d'aller au-delà de la lutte contre la prolifération de l'arme nucléaire, mais de l'interdire tout simplement. 

À l’opposé d’un Donald Trump qui remet en cause des accords de désarmement en vigueur depuis plusieurs décennies, nous voulons agir pour que soit lancé ou relancé un processus de désarmement nucléaire. Nous voulons agir pour l’éradication et l’interdiction de l’arme atomique et de toutes les armes de destruction massive 

La politique de non-prolifération a sans doute atteint ses limites puisque, non seulement, il n’y a plus aucun progrès dans la réduction des arsenaux nucléaires mais sous couvert de maintenir le potentiel existant, les gouvernements développent des budgets faramineux pour moderniser et miniaturiser les armes nucléaires et que les plus puissants, les plus dotés, comme les Etats-Unis en sont avec Trump à remettre en cause les accords passés. 

Les mêmes États-Unis contraignent avec l'accord explicite de dirigeants des pays européens les pays membres de l'OTAN à consacrer 2 % de leur PIB à la Défense alors que, en France par exemple, on se cantonne à n'envisager une augmentation de l'Aide publique au développement qui est pourtant un des éléments de lutte contre les causes de guerres et de tensions, on n'envisage que de monter de 0,37 % à 0,55 % du revenu intérieur brut et en 5 ans de temps qui plus est... 

Dans une telle situation de blocage du processus du désarmement, un pas historique a été franchi lorsque 122 pays ont adopté en juillet 2017, en Assemblée générale de l'ONU, le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) qui répond aux exigences du TNP ; ce nouveau traité est ouvert à signature et ratification depuis un peu plus d’un an et pourra entrer en vigueur dès 2020, malgré l’opposition des puissances nucléaires – comme la France – et les pressions qu’elles exercent sur leurs alliés. 

Le désarmement nucléaire est une exigence universelle à laquelle notre pays, la France, se doit maintenant de répondre, avec clarté, en signant et ratifiant ce traité. 

La majorité de notre peuple y est favorable sans ambiguïté, et le Mouvement de la paix l'a mis en évidence au cours de l'été dernier dans une enquête d'opinion publiée dans le journal La Croix. Il n'y a pas d'autre chemin que celui de la dénucléarisation pour éviter la catastrophe. C'est un large mouvement populaire dans chacun de nos pays qui pourra imposer un tel choix aux dirigeants toujours plus enclins à conduire des politiques au service de leurs sponsors qu'au bénéfice de l'intérêt commun.

L'Europe elle-même, aussi bien au sein de l'Union européenne que par delà les limites de l'UE, doit devenir réellement un véritable espace de paix. L'intégration régionale dominée par les lois du marché a trahi l'aspiration des peuples européens à la paix. 

Arrimée à l'OTAN, la politique dite de défense et de sécurité européenne est agressive, intrusive, interventionniste et elle est à elle seule une source de fortes tensions en Europe même. 

Il n'y a d'alternative pour la paix mondiale, pour la sécurité humaine collective, que dans une dissolution à terme de l'OTAN et pour y parvenir nous voulons que les élections européennes à venir soient un grand moment de débat démocratique populaire qui place la paix et la coopération une des priorités absolues d'une transformation progressiste de l'UE.

Nos adversaires, les chantres du marché et de la finance, font de la guerre économique, quand ce n'est pas de la guerre tout court, l'alpha et l'oméga de toute politique. 

Eh bien nous, avec des centaines de millions d'Européens, nous savons que la coopération économique est garante de toute paix, que la redistribution des richesses, le partage des ressources naturelles dans le respect strict des écosystèmes, le commerce réellement équitable et des traités d'échanges mutuellement bénéfiques, l'investissement dans le développement économique, social et humain sont les vrais garants de la paix. 

Ce sont tous ces actrices et acteurs de la paix que nous voulons réunir dans une Conférence paneuropéenne de coopération et de sécurité collective ouverte à tous les Etats, et associant les peuples, de tout le continent.

Voilà, en vérité, une initiative qui ouvrirait un nouveau chemin, un nouvel horizon pour les peuples, et les femmes et les hommes, les travailleurs qui constituent les 99% de notre humanité.

Pas les ventes d'armes, pas les traités de libre-échange qui jettent des pêcheurs ruinés dans les bras de passeurs, pas les interventions et occupations militaires qui poussent des paysans à devenir des soldats de fortune, pas les optimisations et évasions fiscales qui font prospérer les voleurs en cols blancs et les mafieux, pas les plans d'ajustements qui font le beurre des géants de l'agrobusiness...

Plutôt que de nous laisser emporter encore plus en avant dans des logiques d'alliances militaro-politiques opportunistes et prédatrices, nous les peuples d'Europe et du monde avons le choix, si nous le décidons, nous avons, nous aurons le pouvoir d'inverser le cours des événements. Ce choix nous appartient, à nous femmes et hommes d'aujourd'hui. 

Oui, je l'affirme, nous en avons potentiellement le pouvoir, ensemble en agrégeant nos forces.

Lorsque la coalition ICAN, dont nous faisons partie, comme des dizaines d'organisations démocratiques dans le monde, a reçu le prix Nobel de la Paix en 2017 qui , à part ses militants et organisations membres ou partenaires, connaissait ICAN ? 

Ce prix n'est pas un trophée à poser sur le manteau d'une cheminée ou un selfie à poster sur Facebook, c'est un appel à la mobilisation générale pour la paix, le désarmement et la fin de l'arme nucléaire.

Avec les actrices et les acteurs de la paix, nous saurons imposer l'embargo sur les ventes d'armes françaises à l'Arabie saoudite – nous avons déjà réussi à forcer le président à sortir de son silence --, l'interdiction des ventes d'armement aux Etats engagés dans des conflits, agressifs ou interventionnistes.

Avec les actrices et les acteurs de la paix de Palestine et d'Israël, nous saurons contraindre Emmanuel Macron à la reconnaissance officielle de l'Etat palestinien et l'arrêt du soutien tacite de la France à l'Etat d'apartheid que Benjamin Netanyahu et sons gouvernement de colons est en train d'imposer en Israël.

Avec les actrices et les acteurs de la paix, nous saurons ramener la paix au Yémen, la démocratie en Turquie, la justice sociale au Rif et au Maroc : oui, nous décuplerons d'énergie pour que toutes les femmes et les hommes de paix voient leurs forces multipliées.

La grande leçon de la Première Guerre Mondiale, c’est Henri Barbusse qui nous l'a livrée dans le Feu et dans son action jusqu'à son décès en 1935, et celles des anciens combattants. La fin des combats ne suffit pas à assurer la paix et que la paix, la sécurité humaine collective en tout domaine, reste à construire, en permanence, dans chacun de nos choix.

 Au sortir de la Second Guerre mondiale, la Charte de l’ONU a inscrit la paix comme un projet politique, elle en a fait le pilier du droit international et elle a défini les conditions nécessaires à sa réalisation. La paix se construit par l'engagement des peuples, des citoyen-ne-s, des Etats, des collectivités territoriales... Elle se construit pas à pas, inlassablement.

En ces jours de Centenaire du 11 novembre 1918, c'est la voix de la paix qui doit se faire entendre, c'est la voix de la grande paix humaine qu'il faut écouter. 

 

 

 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)