Thierry Aury, secrétaire départemental du PCF Oise
Hommage à Lucienne Fabre-Sébart
16 avril 2018
Chères Claire, Renée, Hélène, Claudie,
Et vous toutes et tous de sa famille qu’elle aimait tant,
Chers amis, chers camarades,
Mesdames et messieurs,
« Elle est de celles qui marquent ceux qui ont eu la chance de la rencontrer » écrivait il y a quelques jours, un journaliste, dans un article consacré à la disparition de Lucienne Fabre-Sébart.
Nous sommes très nombreux et nombreuses qui aurions pu prononcer les mêmes mots, à commencer par les milliers de collégiens et lycéens qui ont eu la chance de pouvoir l’entendre et échanger avec elle, sur son engagement dans la Résistance, et en fait, sur une vie de résistance.
Oui, c’est une figure de l’histoire de l’Oise, de l’histoire de notre pays que nous accompagnons aujourd’hui jusqu’à sa dernière demeure, et Alain Blanchard, au nom de l’Association Nationale des Amis des Combattants de la Résistance, retracera après moi, le parcours héroïque et courageux qui fut le sien, aux heures les plus noires de notre histoire.
Et, en même temps, ce qui nous revient depuis l’annonce de son décès, ce sont d’innombrables souvenirs d’une femme simple, généreuse, d’un enthousiasme contagieux, amoureuse de la vie et des autres, restée d’une incroyable vivacité d’esprit et d’un optimisme résolu, comme lorsqu’elle interpellait amicalement le Maire d’Angicourt, il y a quelques mois, lors de sa remise de la Légion d’honneur, en lui disant : « un jour, il faudra que je vous parle de tous ces braves de la commune qui ont hébergé des résistants clandestins… et il faudra qu’on publie quelque chose ! ».
« On avait fini par la croire immortelle » me disait l’une de ses filles.
Mais si Lucienne nous a quittés, son exemple restera et va et doit continuer de nous inspirer
Dans un livre à la jeunesse intitulé « La Résistance, la Liberté en héritage », le militant ouvrier, communiste et syndicaliste, André Tollet, devenu Président du Comité Parisien de Libération, disait : « il faut remettre en mémoire ce qui pourrait s’oublier, non pour rêver au passé, mais pour en tirer des enseignements pour le présent et l’avenir (…) pour que soient offerts à ceux qui nous suivent, d’autres gloires que celles de la guerre et de la lutte contre l’oppression ».
Ces phrases auraient pu être de Lucienne qui n’eut de cesse, tout à la fois, qu’on n’oublie pas le sacrifice de ces femmes et de ces hommes , ses camarades, souvent jeunes, tombés pour notre Liberté, et d’appeler, d’encourager, de toutes ses forces, les générations d’aujourd’hui à s’engager dans les combats d’aujourd’hui, pour la justice, la liberté et la paix.
Lucienne était restée jusqu’au bout l’enfant révolté par les horreurs de la guerre dont son père, ancien combattant, parlait, « ce cœur qui haïssait la guerre » et contraint de « battre pour le combat et la bataille » selon le vers célèbre de Robert Desnos, poète et résistant.
Elle sera de toutes les actions contre les sales guerres coloniales et de toutes les mobilisations pour la Paix et le désarmement, dans ce monde devenu une dangereuse poudrière.
Elle sera de toutes les actions solidaires avec d’autres peuples souffrant de la guerre ou du fascisme.
Lucienne était aussi restée jusqu’au bout la jeune ouvrière, travaillant dur et révoltée par l’exploitation de celles et ceux qui produisent les richesses mais ont tant de mal à vivre correctement.
70 ans après les « heures ensoleillées du Front populaire » et des grandes grèves, en 2006, elle se souvenait, disait-elle dans une interview, « comme d’hier », de « cette explosion extraordinaire », de « cette occupation des usines et des rues par la classe ouvrière », de « cette immense solidarité, de cette grande affection qui m’est restée toute ma vie »… et évidemment aussi de cette escapade, au Tréport, pour voir la mer, rêve impossible jusque là !
Inspirée par l’exemple de son père, confortée par ce formidable mouvement populaire où les communistes jouent un rôle moteur, c’est à cette époque qu’elle rejoint les Jeunesses communistes.
Et elle demeurera fidèle jusqu’à son dernier souffle, à cet idéal communiste de sa jeunesse.
Un communisme qui était fait pour elle d’abord, d’un refus viscéral de toutes les injustices, de tous les racismes, de la conviction profonde de l’égalité entre tous les êtres humains et de la possibilité pour toutes et tous de vivre dignement si les richesses naturelles et issues du travail, n’étaient pas détournées, gaspillées, dilapidées par une poignée d’accapareurs et de prédateurs.
C’est pourquoi elle défendait car elle le croyait plus actuel que jamais, le programme du Conseil National de la Résistance, elle qui avait fixé l’an passé, la date de la remise de sa Légion d’honneur, au 27 mai, date anniversaire de la création du CNR.
Un programme qui proclame notamment, à rebours de toutes les régressions actuelles, la nécessité « d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », « le retour à la Nation de tous les grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques », ou encore « un plan complet de sécurité sociale (…) avec gestion appartenant aux représentants des intéressés » et « la sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d’atelier » etc.
Oui Lucienne sera dans nos cœurs, le 19 avril, le 1er mai et lors de toutes les prochaines mobilisations pour la défense des services publics et des intérêts du monde du travail attaqués aujourd’hui !
Et s’il est bien une leçon à retenir de la vie de Lucienne, c’est bien celle du refus constant de la résignation : refuser de baisser les bras, relever la tête, affirmer sa dignité d’être humain, même quand on est peu, même quand on n’est pas sûr de gagner.
Il en fallait du courage et de la volonté, en cette année 40, terrible, où la plupart des « élites » avaient fait « le choix de la défaite » pour reprendre une expression de l’historienne Lacroix Riz, il en fallait à cette petite ouvrière pour s’engager dans la Résistance, car comme elle le disait l’an passé : « résister c’était exister, résister c’était continuer les luttes ».
Comme il en fallut du courage et de la volonté à celui qui allait devenir son mari, « l’homme de sa vie », Raymond, emprisonné comme communiste, dans les bagnes de Vichy, durant 4 années de souffrances, évadé et engagé lui-aussi dans la Résistance, Raymond qu’elle rencontra à la première école centrale du Parti communiste français, organisé après la Libération, en novembre 44.
Raymond avec qui elle aura 4 filles, à qui ils transmettront ces mêmes valeurs de résistance et de lutte pour l’émancipation humaine.
Le courage et la volonté, c’est aussi quand les coups viennent d’où on ne les attend pas, comme dans la chanson de Ferrat où le « joli nom camarade » devient « un nom terrible à dire » : comme en cette année 1950, dans cette période de plomb de la guerre froide, où son mari Raymond, membre du secrétariat fédéral du PCF, est démis de ses fonctions et exclu, injustement, avant d’être réintégré, discrètement, 10 ans plus tard.
Cette injustice là, Lucienne ne la supportera pas non plus, et, tout en restant profondément communiste, et totalement engagée notamment à l’Union des Femmes Françaises et au Secours Populaire Français, elle décidera de ne plus reprendre sa carte du PCF, tant que des explications ne seraient pas données sur cette exclusion injuste.
Et c’est en 1997, qu’à la suite de la reconnaissance officielle par le Parti communiste, sur le plan national, du tort causé à des militants et responsables communistes , exclus injustement, et du refus désormais de toute exclusion pour des motifs de désaccord politique, que Lucienne acceptera de reprendre toute sa place dans notre Parti : je me souviens encore, avec émotion, de l’accueil chaleureux qui lui fut réservé alors par l’Assemblée départementale des vétérans du Parti communiste animée alors par Berthe Vittori et Emile Hérisson.
Cette « invincible espérance » pour reprendre la formule de Jaurès, en un monde meilleur, malgré tous les obstacles, les revers, les déceptions, à travers d’innombrables combats, petits ou grands, héroïques ou ordinaires, pour plus de justice, de liberté et de paix, fut comme un fil rouge de toute la vie de Lucienne, la résistante, la militante dont les yeux pétillants de vie continueront de nous accompagner.
Je voudrais conclure par la fable écrite par le résistant Jean Paulhan, au cœur de la clandestinité, et qui je crois résume la philosophie de vie de Lucienne :
« Et je sais qu’il y en a qui disent : ils sont morts pour peu de chose. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois assez mal composé). À ceux-là il faut répondre : « C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement des doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de chose, dis-tu. Oui, c’est peu de chose. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. »
Merci Lucienne !
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