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« Une autre politique de l'accompagnement du 3e âge est possible » - Saint-Maximin, 22 février 2018

Le 22 février 2018, l’association Espace Marx60 organisait une conférence-débat sur les thèmes du vieillissement, de l’autonomie et des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Deux intervenants ont été sollicités qui, en plus de leurs activités et responsabilités diverses, sont membres d’Espace Marx60 : Norbert Boulanger et Thierry Patinet. Cette conférence-débat intervient dans un contexte particulier, en plein mouvement social inédit des personnels des Ehpad, avec une première manifestation nationale le 30 janvier et une deuxième programmée le 15 mars.

Norbert Boulanger a débuté la soirée par une réflexion anthropologique sur le vieillissement et la place des personnes âgées dans notre société. Nous ne reproduisons pas ici sa riche intervention, dont le texte est téléchargeable ci-contre.)

Thierry Patinet a pris ensuite la parole, se concentrant plus particulièrement sur les Ehpad et la question du financement de la prise en charge dans les années à venir de la dépendance des personnes en perte d’autonomie physique, mentale et financière. À partir de son expérience personnelle, avec ses parents ayant vécu leur fin de vie l’un dans un Ehpad privé du groupe Korian, l’autre dans une structure associative privée non lucrative, et en reconnaissance du personnel remarquable qu’il y a rencontré, il s’est impliqué dans les Conseils de vie sociale (CVS), présents dans toutes les maisons de retraite. Dans les Ehpad publics, une autre instance existe, le Conseil d’administration. Face aux limites liées au financement et à la démocratie, particulièrement dans le secteur privé, il a créé l’association « Bien Vivre et Vieillir Ensemble dans l’Oise (B2VE 60) », affiliée à la Fédération Nationale des Associations et Amis de Personnes Âgées et de leurs Familles (FNAPAEF). Plus d’informations sur les objectifs de B2VE 60 sur le flyer de présentation téléchargeable ci-contre.

La prise en charge des personnes âgées va de façon graduelle du maintien à domicile à l’Ehpad, puis en unités de long séjour. D’autres dispositifs existent aussi, comme le Service d’Aide et d’Accompagnement à Domicile (SAAD) ou bien les Résidences pour Personnes Âgées (RPA), milieu « sécurisé » pour personnes ayant leur autonomie.

Abordons la question du financement de la prise en charge dans le futur. Tout d’abord, les personnes âgées ne sont pas qu’un « coût » pour la société, elles participent toujours du PIB. Qui finance ? La réponse varie, allant d’une prise en charge publique à 100 % via la Sécurité sociale (position du PCF ou bien de la FNAPAEF) à la position 100 % libérale, avec des usagers payant la totalité de la prise en charge à des groupes privés faisant des bénéfices record de cette marchandisation.

Quelques chiffres :

  • En 2010, 1/4 de la population française a plus de 60 ans. En 2060, c’est 1/3 des Français qui auront plus de 60 ans, la moitié d’entre eux ayant même plus de 75 ans.
  • En 2012, 1,2 million de personnes âgées dépendantes avaient le droit à l’Allocation Personnalisée d’autonomie (APA) - ce qui ne veut pas dire qu’elles la touchaient toutes. Le niveau de dépendance d’une personne âgée est quantifié par un Groupe Iso-Ressources (GIR), allant de 1 (perte d’autonomie le plus fort) à 6. L’APA est attribuée aux personnes ayant un GIR allant de 1 à 4.
  • L’âge moyen d’entrée dans les Ehpad est de 87 ans, avec une durée de vie moyenne dans ces établissements égale à deux ans. Cet âge moyen d’entrée de plus en plus élevé entraîne un taux de morbidité important et une dépendance importante, avec une majorité de GIR 1 et 2. C’est une des causes de la dégradation des conditions de travail et de la non-traitance ou maltraitance des personnes âgées en Ehpad : les ratio des personnels, fixés avec une population comprenant des GIR allant de 1 à 6, n’ont pas suivi l’évolution réelle des résidents.
  • La France compte 7 600 Ehpad, se déclinant en 25 % privé à but lucratif, 31 % associatif (privé à but non lucratif) et 44 % public. Dans l’Oise, la situation est différente, avec une part importante au privé lucratif (la moitié des 96 Ehpad) et 31 % public.

Le financement actuel dans un Ehpad se décompose en 3 parties, selon les dispositions contenues dans la loi du 24 janvier 1997 :

  • Les soins sont pris en charge par l’Assurance Maladie.
  • La dépendance est financée par le résident et le Conseil départemental, ce dernier versant l’APA et l’aide sociale. Des inégalités sur le plan national existent suivant les politiques menées par les conseils départementaux, en fonction du GIR.
  • Enfin, l’hébergement est payé par le résident et sa famille. D’après les chiffres de 2017, le coût moyen mensuel dans un Ehpad privé est de 2 670 euros et de 1 801 euros dans un Ehpas public ou associatif – à comparer par exemple au niveau moyen des retraites.

En France en 2016, 24 milliards de dépenses publiques ont été consacrées à la prise en charge de la dépendance. 100 millions d’euros supplémentaires par an sur le quinquennat sont annoncés par Macron. Le 30 janvier, pour tenter de désamorcer la journée de mobilisation nationale dans les Ehpad, la Ministre Buzyn a annoncé une rallonge de 50 millions d’euros.

Pour Thierry et la FNAPAEF, un texte fait office de référence, celui déposé en 2006 par l’alors ministre Philippe Bas, le plan Solidarité – Grand Âge. Le rapport parlementaire des députées Iborra (LRM) et Fiat (FI) sur les Ehpad sera présenté le 14 mars. (Il est depuis disponible sur le site de l'Assemblée nationale, la version pdf est téléchargeable ci-contre. Un article du Monde est à lire ici.)

 

Que faire, et plus particulièrement dans notre département ?

Comme on l’a vu, l’Oise a la particularité par rapport à la moyenne nationale d’avoir une dominante d’établissements privés à but lucratif, comptant pour la moitié des 96 Ehpad présents dans notre département. Une association comme l’B2VE 60 n’a aucune remontée d’informations de cette catégorie d’Ehpad sur le plan budgétaire ou bien sur les cas de non-traitance, voire de maltraitance – ce qui ne veut pas dire que ce soit simple au niveau des Ehpad publics et associatifs à but non lucratif. Le mauvais fonctionnement des CVS résulte d’une volonté manifeste dans le privé, et il n’y a pas moyen de rentrer en contact avec les familles. C’est possible dans le public par l’intermédiaire des conseils d’administration, mais les craintes de représailles sur les résidents empêchent le plus souvent les familles de parler. Thierry pointe également le manque de liaison entre une association comme B2VE 60 et les organisations syndicales. Pour finir, aucun contact n’existe actuellement avec le Conseil départemental ou bien Agence Régionale de Santé (ARS), le « préfet » en matière de santé. Ainsi, le Conseil départemental de l’Oise fait partie des trainards et n’a toujours pas mis en place le Conseil départemental à la Citoyenneté et à l’Autonomie (CDCA), instance remplaçant le Comité départemental des personnes âgées (Coderpa) suivant la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, dont découlent les décrets d’application actuels. Le CDCA fusionne les instances qui s’occupaient du handicap avec celles des personnes âgées.

B2VE 60 propose de mener une grande campagne d’éducation populaire et de sensibilisation pour permettre le recueil de témoignages et montrer qu’une autre politique de l’accompagnement du 3e âge est possible, financièrement et anthropologiquement. Un outil est la projection-débat de films et documentaires sur cette thématique dans les onze cinémas associatifs Art et Essai du département, et certain cinémas commerciaux.

 

Débat

Après ces deux interventions, le débat tournera autour des thèmes suivants : la place du retraité dans notre société ; les définitions et les différences entre dépendance et perte d’autonomie ; le financement de la prise en charge ; la vie dans les Ehpad.

Pour Claude Aury, les retraités, dans notre société, ne doivent pas être perçus comme « ne servant à rien » ou comme « un coût », s’opposant au travailleur, ni « être ghettoïsés » ajoutera Bernard Lamirand. C’est une volonté politique, en lien direct avec le capitalisme, de « nier la place du retraité et sa création de valeur », dira Claude. Thierry Patinet reprendra une expression d’Alain Badiou qui, dans le texte Penser les meurtres de masse, exprime l’idée que pour certains, capitalistes, « 50 % de l’humanité ne sert plus à rien », ne produisant et ne consommant pas. Au contraire, Hélène Masure dira que ce sont souvent des personnes actives, soutiens de famille, s’occupant de leurs parents, de leurs enfants et petits-enfants, faisant du bénévolat dans les associations, « la retraite est un temps d’épanouissement, notamment pour les femmes, c’est le temps des relations humaines », libérés du lien de subordination que représente le salariat. Françoise Thoer insistera sur l’importance du bénévolat des retraités dans les associations, à l'exemple des 3/4 des associations nogentaises portées par des retraités. Elle demande à ce que les bénévoles mentionnent bien le nombre d’heures qu’ils effectuent, comme c’est mentionné sur certains papiers, pour que l’importance de ce « travail invisible » émerge. Françoise mentionnera aussi une expérience qu’elle et d’autres essaient de mettre en place à Nogent-sur-Oise, celle de l’habitat participatif, un moyen de « mieux vivre sa fin de vie ». Le vieillissement n’est pas synonyme de perte, à quoi il est trop souvent rattaché. Norbert Boulanger et Claire Fabre affirmeront que « la retraite, ça se prépare toute la vie ». En 2010, la moyenne d’âge « en bonne santé » était de 63 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes, avec une augmentation des inégalités sociales, notamment par les moyens de se soigner.

Les débatteurs essaieront de définir, ou tout du moins de donner leur interprétation de la dépendance et des différences qu’ils font avec la perte d’autonomie : dépendance collective, homme comme animal social dépendant… Norbert Boulanger renvoie la notion de dépendance à l’utilisation de substances chimiques, au lien de subordination au patron pour avoir un emploi, à la cotisation chômage de l’État… et la perte d’autonomie à l’accident, au vieillissement. Pour Paul Cesbron, l’homme est fondamentalement dépendant, en tant qu’animal social, et aussi apte à l’autonomie, ce qu’il résume ainsi : « Autonome, je suis dépendant. » Hélène réagira en nommant la définition de l’indépendance de Paul « interdépendance sociale, ou vie en société » et que pour elle « la dépendance, c’est quand on n’a plus d’autonomie du tout, plus de maîtrise du corps et de l’esprit ». Il y a une grande part d’autonomie chez certaines personnes qui ont un handicap. Norbert rebondira en disant que plutôt d’interdépendance, c’est de complémentarité qu’il faudrait parler. Thierry Patinet dira que face à une personne ayant perdu son autonomie, c’est la notion d’altérité qu’on interroge. 

Claude Aury évoquera la nécessité d’un nouveau champ de protection sociale consacré à la dépendance, avec le débat autour de sa mise en place comme un 5e risque, qui a la préférence de Bernard Lamirand, ou bien comme une 5e branche de la Sécurité sociale. Concernant une des trois parties composant du prix de l’Ehpad, l’hébergement, il mentionnera la proposition du syndicat des retraités de la Fonction publique FGR-FP de sortir l’amortissement de l’investissement de la facturation au résident. 

Claude proposera aussi que la prise en charge de la perte d’autonomie par la Sécurité sociale ne soit pas réservée qu’aux actifs mais soit effective quelque soit l’âge. Hélène précisera en disant que la perte d’autonomie ne concerne pas que les plus de 60 ans, touchant aussi les personnes malades ou accidentées. Avant 60 ans, elles ont droit à une Prestation Compensatoire du Handicap (PCH), une contribution à l’aménagement logement, une allocation, en lien avec les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Ensuite, c’est le passage à l’APA qui généralement est faible, avec des aides à domiciles avec un nombre d’heures réduit et pouvant travailler pour un secteur associatif présentant par exemple des pratiques de management dures. Thierry Patinet indiquera que la FNAPAEF est pour faire sauter cette barrière de 60 ans, avec ce passage souvent synonyme de misère de la Sécurité sociale à l’APA. La formation des aides à domicile, qui subissent une très forte précarité, est parfois inexistante. Il citera comme la seule petite avancée de la loi de novembre 2015 l’amélioration de l’aide de 600 millions d’euros aux aidants à domicile, financée par la Contribution Additionnelle de Solidarité pour l’Autonomie (CASA) prélevée au taux de 0,3 % notamment sur les retraités « les plus riches ».

Pour Claire Fabre, il est scandaleux qu’aucune activité intelligente ne soit proposée dans les maisons de retraite, où les résidents se contentent « d’attendre le goûter », sans révolte aucune de leur part ou de leur famille. En plus d’être triste, cela peut être considéré comme de la maltraitance envers des personnes qui sont capables d’apprécier des tableaux, d’écouter des débats… Françoise Thoer modérera cette appréciation, témoignant de la réalisation d’activités culturellement riches par des animateurs remarquables dans des maisons de retraites à but non lucratif.

Hélène dira que le milieu associatif concernant la perte d’autonomie est souvent le seul endroit où trouver de l’aide et de l’information.

 

 

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Plan Solidarité-Grand Âge - 27 juin 2006

Rapport d'information en conclusion des travaux de la mission sur les Ehpad - Assemblée nationale, 14 mars 2018

Perte d'autonomie : propositions et positionnements du PCF (2015)

 
« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Saint-Just (révolutionnaire français, 1767-1794)